Jeudi Noir

  1. 8 juillet 1982. Demi-finale de la Coupe du monde de football. France-RFA. Des gradins chauffés à blanc, un public en extase. Au centre de l’arène, des athlètes aguerris et qui, bien évidemment, veulent faire parvenir leur équipe en finale. Mais le contexte autant que le déroulement du match vont les transporter bien au-delà de la simple rencontre sportive.
    Un roman soi-disant policier à propos d’une rencontre footballistique ? Mouais, mais de prime abord, guère de quoi être transporté. Pour les aficionados, le match est archiconnu, et aucun des ressorts habituels de ce type de littérature n’est plus présent, puisque le suspense s’est depuis plus de trente ans largement évaporé. Quant aux autres qui n’apprécient guère le ballon rond voire ignorent tout de cette épreuve, il est inutile de se lancer dans une telle lecture puisque le sujet ne passionnera probablement pas.
    De Michaël Mention, on connait déjà l’immense talent narratif et imaginatif qui s’est illustré, notamment, dans Sale temps pour le pays, Unter Blechkoller ou encore Adieu demain. Alors, lui accorde-t-on le bénéfice du doute ? Lui laisse-t-on une chance de chausser les crampons et nous narrer, à sa manière, cet épisode sportif ?
    Voilà, la lecture de l’ouvrage est terminée. Alors, au final, qu’est-ce que donne ce roman ? Superflu pour les groupies ? Inintéressant pour les rétifs à cette discipline ? Double erreur. Deux fois le carton rouge.
    Michaël Mention parvient à passionner les deux camps, et ce grâce à de multiples atouts. Une langue, tout d’abord, riche et fertile en sentiments suscités, jouant sur les mots, se jouant des codes traditionnels : il arriverait à rendre captivante une compétition de bilboquet. En faisant intervenir de multiples acteurs du match, en croisant leurs points de vue pour obtenir une vue scialytique sur l’événement. La manière de donner également vie aux divers protagonistes, comme autant de personnages d’un film choral, est étourdissante. L’auteur s’est vraiment documenté sur le sujet, a analysé l’ensemble de manière fine, au-delà des poncifs, et nous restitue le moindre instant, de la peur en entrant dans le chaudron assourdissant du Stade Ramón Sánchez Pizjuán à la peur paralysante des tirs au but, en passant par cette foule de sentiments contradictoires qui animent les joueurs. Ce match, par-delà le pur aspect sportif, est aussi un instantané de politique, entre espérance mitterrandienne et nation fendue par le Mur de Berlin. Sont également brassés, avec beaucoup de tact et de crédibilité des thèmes comme la fraternité, l’acceptation d’autrui, le racisme, la rédemption et la quête de reconnaissance d’une nation. Et c’est le souffle un peu court que passe un épilogue où sont regroupées dix citations de ceux qui ont vécu l’aventure de l’intérieur.

    De Michaël Mention, on a tout connu, un peu comme avec un être que l’on voit grandir. De ses débuts prometteurs avec La Voix secrète et Maison fondée en 1959, ses premiers pas décidés chez l’éditeur Rivages, et ses prochains écrits que sont le Carnaval des hyènes et ... Et justice pour tous. L’homme est indéniablement doué, sait transfigurer un épisode qui ne s'y prête apparemment pas en puissante épopée humaine. Il démontre qu’il sait jouer sur bien des surfaces de jeu, en somme. Alors, un roman noir sur une compétition de foot sans soûler les admirateurs ni exclure les récalcitrants du genre, est-ce possible ? Oui, la démonstration en est faite, et de la plus belle des manières qui soit.

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