La part du mal

  1. Le retour du fils trop dingue

    Durant l’hiver 1954, on retrouve Vivien Malet perforé par un croc de boucher à l’arrière d’un camion. Sur les marchés rouennais, il était connu pour être un drôle de drille : mentalement attardé, taillé comme un colosse, souvent gai et plutôt apprécié. Sur lui, on retrouve trois cents mille francs ainsi qu’un bijou. Comment a-t-il pu les obtenir et pourquoi le meurtrier ne les lui a-t-il pas volés ? Le commissaire Kléber Bouvier se voit confier l’enquête et va le mener à approcher le père de la victime, un être tyrannique aux noirs penchants.

    Gilles Delabie nous avait déjà charmés avec Les Communiants de Rouen, et il poursuit indéniablement à séduire avec cet ouvrage. Le récit est court et vif. On est entraîné par une intrigue classique dans son déroulement mais dense, faisant la part belle aux portraits des personnages, avec une finesse et une économie de mots que n’aurait pas reniées Georges Simenon. Cette terrible saison est aussi l’occasion de parcourir des bourgs abandonnés et fusillés par le froid, où les êtres humains meurent en un silence honteux. Lui-même rouennais, Gilles Delabie nous décrit avec une pertinence rare les us et coutumes des gens de cette région, en usant d’un vocabulaire approprié et typique des lieux sans jamais tomber dans l’impénétrable ou l’artificiel. Même refermé, on se souviendra longtemps de Vivien, pauvre hère, à la fois simplet et suffisamment adroit pour laisser une lettre accusatrice qui clôture presque l’ouvrage, de son père Gustave dont l’amoralité éclate de manière spectaculaire lors des ultimes chapitres, ou encore de l’épouse de Bouvier qui va recueillir un malheureux sans-abri avant de reconnaître dans ses traits ceux de l’homme qui l’a violentée durant l’Occupation allemande.

    Gilles Delabie n’en est qu’à son deuxième roman. Néanmoins, son talent littéraire, la justesse de ses observations humaines, l’intelligence de son récit ainsi que la manière éclatante qu’il a de mettre en exergue une histoire particulièrement glauque sont véritablement fascinants. Voilà décidément un écrivain bien né qui mérite amplement un plus large éclairage médiatique.

    /5