Scarface

  1. Ascension et chute de Tony Guarino

    Tony Guarino est un individu bien anodin qui vit dans le Chicago du début du vingtième siècle. Il est certes jeune et intelligent, mais il n’a pas encore tracé sa voie. Pour les beaux yeux d’une femme, Vyvyan Lovejoy, il tue Al Spingola, l’un des caïds de la ville. C’est le début d’une lente gloire qui le mènera au contrôle de la cité puis à sa déchéance.

    Ce Scarface est l’unique ouvrage traduit en français d’Armitage Trail, publié en 1930. Un monument, adapté deux fois au cinéma, d’abord par Howard Hawks puis Brian De Palma. On retrouve toute la saveur propre aux romans noirs de cette époque, ici agrémentée d’une langue belle, assez recherchée, et un goût indéniable pour les répliques qui claquent. L’auteur a longuement étudié le milieu interlope de la pègre de la capitale de l’Illinois avant de livrer cet opus brûlant. Aux côtés de Tony, on apprend d’abondants détails sur la mafia, ses méthodes, ses trafics, sans jamais que cette érudition ne lasse ou ne noie le récit. Celui que l’on surnommera « Scarface » en raison d’une balafre à la joue gauche récoltée lors de la Seconde Guerre mondiale est un personnage saisissant de réalisme. Un peu paumé, il tue un mafieux, grimpe les échelons du banditisme, se fait oublier quelques années en allant combattre avec un talent et un culot rares dans le maniement des armes et le commandement de ses hommes avant de revenir. Bien plus porté sur l’intelligence criminelle et la stratégie de développement de son entreprise que sur des gris bras qu’il n’a pas, il se fera adouber par un chef mafieux avant de prendre sa place et de développer son business. Un portrait remarquable, tout en nuances, où on le voit se frotter avec hardiesse aux gangsters du North Side, éliminer la concurrence, faire le dos rond quand les circonstances l’exigent, et souvent tomber sous le charme de femmes, parfois fatales, dont l’une d’elles contribuera à sa perte. Armitage Trail retranscrit avec une maestria inouïe les ressorts de la pègre, ses liens ambigus avec la police, les divers rapports de force s’engageant avec les rivaux. Dans le même temps, le lecteur aura du mal à concevoir que cet ouvrage ait presque quatre-vingt-dix ans : l’histoire est souvent émaillée de scènes d’action fort bien décrites et rondement menées, avec son lot de courses-poursuites, fusillades et autres affrontements très cinématographiques.

    Une œuvre maîtresse, ahurissante de maturité pour un écrivain d’à peine vingt-huit ans, et d’une prodigieuse modernité. Un des jalons du roman noir, que l’on ne peut que se plaire à découvrir si longtemps après sa parution originelle, et devant lequel on est empli de respect et d’estime, comme on saurait l’être pour un vieux monsieur qui a tant apporté à sa noble cause, ici littéraire. A noter sa remarquable adaptation en bande dessinée par Christian De Metter.

    /5