Pur

  1. Certains hommes sont plus égaux que d'autres

    Quelque part dans le Midi de la France, dans un futur proche.
    Patrick Martin perd sa femme dans un accident de la route dont il n'a pas vraiment souvenir. Il croit se rappeler d'une voiture – avec deux « Arabes » à son bord – le doublant juste avant la sortie de route, et d'un coup de feu. Mais la police est formelle, aucune trace de balle n'a été retrouvée, ni sur la voiture, ni sur la chaussée. Le capitaine Durantal se demande d'ailleurs si Patrick, qui a l'air de bien s'arranger avec ses problèmes de mémoire, n'est finalement pas pour quelque chose dans la mort de sa femme.

    Pur s'ouvre sur une belle description, à la fois aseptisée et poétique, caractéristique de l'écriture d'Antoine Chainas. Il nous présente Sophia, la femme de Patrick, vivant ses derniers instants. Le lecteur découvre ensuite au fil des chapitres de nouveaux personnages. Il y a Julien, un ado vivant dans la communauté sécurisée des Hauts Lacs dont le père est le « Révérend ». Il y a le capitaine Durantal, un policier obèse et désabusé, qui ne croit plus en rien, surtout pas à l'utilité de son métier, et dont la seule consolation est d'engloutir toujours plus à chaque repas. Il y a son adjointe, le lieutenant Alice Camilieri, jeune et terriblement ambitieuse. Partie dans la vie avec ce qu'elle considère comme un handicap – elle est métisse – elle est prête à tout pour progresser socialement, dusse-t-elle tremper dans les magouilles du maire. L'édile, lui, compte bien faire feu de tout bois pour se faire réélire et tant pis si ce n'est pas tout à fait moral ou légal, tant que ça ne se sait pas. La brigade a donc la pression et du pain sur la planche puisqu'en plus de l'affaire Martin elle doit aussi résoudre celle du « sniper de l’autoroute », lequel élimine depuis les hauteurs des conducteurs d'origine maghrébine, sans que cela émeuve vraiment grand monde d'ailleurs. Si l'intrigue, efficace, tient le lecteur en haleine, ce n'est probablement pas ce que l'on retiendra le plus.
    Abandonnant ici l'écriture atypique et aussi puissante que décriée de ses premiers romans, Antoine Chainas nous plonge dans des lendemains qui déchantent et qui ressemblent étrangement à aujourd’hui. La description de ces « gated communities » où les riches s'achètent à prix d'or un monde où il ne risqueront pas de croiser la populace miséreuse et son corollaire de désagréments fait froid dans le dos... Quant aux politiciens magouilleurs et de l'émergence de groupuscules violents d'extrême-droite, on n'a malheureusement aucune peine à y croire.

    En ayant fait le choix d'installer son récit dans un futur proche, Antoine Chainas fait avec Pur d'une pierre deux coups, proposant à la fois un roman noir efficace et un récit d'anticipation intéressant questionnant avec brio la question de la ségrégation sociale. Délaissant quelque peu les effets de style de ses début, il met son écriture au service du propos et de l'intrigue. Au final, sans conteste le texte le plus accessible de l'auteur. Un pur roman, peut-être aussi le plus abouti ?

    /5