Et tournent les chevaux de bois

(Ride the Pink Horse)

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  • 9/10 Le pitch de ce roman ne m'emballait pas plus que ça, mais tout ce que j'ai lu de Dorothy Belle Hughues jusqu'alors m'ayant au minimum intéressé, voire scotché dans le cas d'Un Homme dans la brume, me voilà lancé ! Et j'ai bien fait, car ce roman sorti en 1946 est impressionnant... à sa manière. On retrouve le grand point fort de l'auteure, à savoir sa capacité à nous enfermer dans la tête de son personnage principal, ce qui donne certes un récit décousu, maltraité à coup de phrases lapidaires et d'impressions jetées comme elles viennent, mais cette technique nous immerge aussi complètement dans les pensées, les peurs et les vices de Sailor, homme peu sympathique au premier abord, venu se faire payer ce qu'on lui doit. Et là on a donc droit à une véritable descente aux enfers, puisque la Fiesta au Nouveau-Mexique vue à travers les tourments et les quasi-hallucinations de Sailor est effrayante, elle prend aux tripes, elle donne la nausée, au point que certaines descriptions sont pratiquement des scènes d'horreur. Il ne se passe pas grand-chose, voire rien, on revient tout le temps aux même endroits et on croise tout le temps les mêmes personnages, à la manière d'un supplice mythologique, chacun luttant en vain contre son destin ou l'acceptant au contraire avec résignation. C'est beau et triste, c'est lancinant, ça sonne juste. Comme on ne connaît que ce que pense le personnage principal, et qu'il se ment aussi beaucoup à lui-même, énormément de points resteront dans l'ombre, mais quelle importance ? En parlant d'ombre, le ton du roman est noir, très noir, à la manière du hardboiled d'alors mais dégraissé d'une bonne partie de ses clichés, Hughues se permettant même de jouer avec celui de la femme fatale chère au genre. Bref, on est entre du Dashiell Hammett pour l'intrigue et du Jim Thompson / James Ellroy pour les personnages ambivalents et le côté poisseux, impitoyable et amer. Il y a pires comme comparaisons, et après ce livre je me demande encore pourquoi les romans de Dorothy B. Hughes restent toujours assez confidentiels, tant les quelques romans que j'ai pu lire d'elle me donnent la certitude qu'il s'agit d'une très grande écrivaine de Noir.

    20/07/2021 à 09:08 Horatio (294 votes, 7.5/10 de moyenne) 2