Styx

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  • 8/10 Le policier Éric Miera vient d’être condamné à perpétuité, avec une peine de sûreté de trente ans. Qu’est-ce qui l’a mené du commissariat au procès puis à la prison ? Récemment affecté à Paris, il intègre une brigade menée par Alain, flic de terrain. Éric côtoie alors les petits trafics, les dealers de banlieue, et lutte au quotidien contre des maux ordinaires avec ses coéquipiers. Quand Alain se suicide après avoir montré les symptômes d’une dépression, ses camarades sont sous le choc. Un carnet consciencieusement noirci par la victime et découvert par Éric va lui montrer l’envers du décor et l’amener graduellement vers le chemin de la perdition.

    Philippe Deparis signe ici un roman percutant, et même si l’étiquette présente sur la première de couverture le qualifie de thriller, il tient davantage du roman noir. L’auteur, policier expérimenté, connaît bien le milieu qu’il décrit, les procédures, les tensions internes des services, les chroniques de ce métier, et tout nous est restitué avec tact et intelligence. Éric compose un personnage intéressant, mais c’est après la découverte de ce fameux carnet secret que l’on prend toute la mesure de la déchéance qui va s’imposer à lui. Il va prendre conscience des petits arrangements, des corruptions et des collusions qui vont aboutir à bien des collisions. Progressivement, par paliers successifs comme on s’enfonce dans des eaux troubles, le héros va céder à tous les péchés capitaux aux côtés d’Hassan, dealer notoire, et de quelques-uns de ses coéquipiers. Sourdes addictions aux drogues, au sexe pas nécessairement tarifé, à la violence, à l’appât du gain : Éric va tout dévorer avant d’être consumé par ses propres démons. Son couple et sa famille explose en plein vol, ses principes moraux sont dévastés et laissés à l’état de ruines fumantes, et plus rien ne semble empêcher ni même ralentir sa chute. Malgré quelques passages peu crédibles et un nombre rédhibitoire de coquilles, Philippe Deparis nous offre un ouvrage saisissant, très sombre, ponctué de fusillades et de morts violentes. Cependant, il ne jette pas en pâture la profession de policier : sa préface rappelle la douloureuse question du suicide dans cette fonction lourdement impactée, et l’on sent clairement un net attachement de la part de l’auteur malgré l’acidité de certains propos.

    Un ouvrage âpre et enténébré, montrant la dérive d’un individu tout ce qu’il y a finalement de plus humain, et donc nécessairement soumis aux mirages de l’argent facile, des plaisirs de la chair et des dépendances toxiques. Pas de jugement péremptoire ni de bien-pensance, seulement la description certes fictive et littéraire d’un homme qui pourrait être n’importe lequel d’entre nous après avoir, au choix, franchi le Styx ou le Rubicon.

    11/06/2025 à 07:01 El Marco (3646 votes, 7.2/10 de moyenne) 3