Proies

  1. L’été en pente mortelle

    Tout laissait augurer un bel événement. Judith, Abigail et Alexandre sont partis en forêt pour y camper. Le long de la rivière Brûlée, la saison est agréable, les amis s’entendent à merveille et leur paquetage est complet. Mais un drame survient : un inconnu armé d’un fusil calibre .308 se manifeste, prend presque comme un jeu d’effaroucher les adolescents, jusqu’à ce que la plaisanterie prenne une tournure sanglante : un mort, un survivant et un disparu. A Rivière-Brûlée, le village adjacent, l’ambiance était festive pour la fête agricole annuelle, et rien ne pouvait laisser penser que l’excursion de ces trois jeunes gens aboutirait à la confusion, la peur, le sang et la mort. Et il ne faut désormais que peu de choses pour que la petite communauté n’implose.

    Andrée A. Michaud nous avait déjà régalés avec Lazy Bird, Rivière tremblante ou Bondrée, et elle nous revient avec ce roman noir d’une excellente tenue. Son style étonne et séduit très rapidement : les québécismes abondent tandis que le discours indirect libre est exploité à foison. Dans le même temps, l’écrivaine plonge le lecteur dans le drame dès les premières pages. Néanmoins, à la lecture du résumé de l’éditeur, on pourrait penser à une variation sur le thème développé dans le livre Délivrance de James Dickey, ce qui serait faux : il s’agit moins de la survie d’individus plongés dans une Nature hostile – même si cet élément fait partie du récit – que d’une analyse simple et hautement crédible des secousses qui agitent la communauté humaine dont ils sont issus. Avec des mots élémentaires quoique ciselés, Andrée A. Michaud nous montre à voir les réactions chez les habitants, des membres de la famille endeuillée aux proches de l’ado qui a disparu, sans oublier deux personnages ayant pris part à la tragédie, à savoir Gerry Nantel et Shooter Gobeil. Les sentiments humains sont parfaitement rendus, des attitudes poignantes aux émotions contradictoires, et l’auteure, avec une belle économie de moyens qui n’affaiblit nullement ce large panel de désarrois, nous narre finalement la désagrégation d’une microsociété et le poids effrayant de la culpabilité individuelle. C’est à la fois étourdissant et évident, simple et savamment construit, effarant et somme toute si rationnel.

    Un roman noir vraiment très bon, gorgé des errements, des fragilités et des bassesses des hommes ici dépeints. Une fresque – jamais caricaturale – de ce que nous sommes, sans artifice ni mystification.

    /5