Terres profondes

  1. Les crimes de nos pères

    Août 1978. Dans un village de l’Ardèche, quatre hippies se sont installés dans une maison, et ce serait un pâle euphémisme que de dire que leur présence pose problème aux autochtones. Ils sont jeunes, chevelus, excentriques, et ils déparent avec leurs mœurs enjouées. Au cours d’une nuit, on entend des coups de feu et ces hippies disparaissent. Quarante ans plus tard, Jack Sellier, policier en disponibilité et auteur de thrillers, pose ses valises dans ce même village pour écrire. Il est rapidement mis au courant de ce qui s’est déroulé par le passé, sans encore savoir qu’il va réveiller des spectres que l’on pensait enterrés à jamais.

    A Polars Pourpres, on a toujours apprécié les ouvrages de Patrick S. Vast. Béthune, 2 minutes d’arrêt, Potions amères, Nuits grises ou encore Noire campagne demeurent dans notre esprit pour leur intelligence, leur scénario solidement bâti, leur écriture simple et rudement efficace et leur immense crédibilité. Ici, l’écrivain nous régale à nouveau avec cet opus. On ressent littéralement la poisseuse ambiance de ce village, replié sur lui-même, peu enclin à l’intrusion de horsains dans son enclave, les méfiances et jalousies qui affleurent, et la violence qui ne demande qu’à jaillir. Dans ce roman noir intrinsèquement rural, on règle ses comptes au fusil de chasse, au gros plomb, sans fioriture ni atermoiement. Quatre décennies plus tard, Jack Sellier constituera l’étincelle qui viendra mettre le feu à une mèche que tout le monde imaginait inerte. De non-dits en racontars, de mots qui échappent en révélations, de flash-backs en volontés de taire ce qui jamais n’aurait dû s’accomplir, il va graduellement faire ressurgir un passé sombre, cruel et violent, avec cette ultime rencontre au cours d’un salon littéraire qui constituera le dernier jalon d’un chemin de sang. Au gré de ce pur roman noir, sec et particulièrement plausible, Patrick S. Vast crée une atmosphère pesante, lourde de silences et de secrets plantés et assumés par les autochtones, avec une magnifique économie de mots, sans le moindre temps mort, et d’une concision bienvenue.

    Même si l’on peut regretter un épilogue un peu trop happy end, l’auteur a écrit un livre réussi et efficace, au climat fangeux et délétère, dont on goûte chaque gorgée comme un whisky délicieusement malté, à la saveur de tourbe.

    /5