Occupe-toi d’Arletty !

  1. Des gueules d’atmosphère

    Jérôme Dracéna, ancien policier de la brigade criminelle devenu détective privé, en vient à trouver une cliente inattendue par l’entremise de son père, lui-même policier : Arletty. Cette dernière vient de recevoir un cercueil par la voie postale ainsi que des lettres de menace. Qui peut donc bien en vouloir à la célèbre actrice ? Est-ce parce qu’elle vit avec un officier allemand ? Un coup de la Résistance ? Chantage, peut-être ? En acceptant – avec joie – cette affaire, le détective privé n’a pas idée des eaux sombres dans lesquelles il va devoir patauger.

    Ce premier ouvrage de Jean-Pierre de Lucovich inaugure également une série consacrée à Jérôme Dracéna. Têtu, sagace, pratiquant la boxe avec panache et aidé de son ami Marcel, également prêt à jouer des poings, il est assurément l’un de ces personnages de fiction que l’on aura envie de retrouver dans d’autres enquêtes. L’intrigue est très intéressante, complexe, multipliant les suspects ainsi que les fausses pistes tout au long de ce livre, certes assez court, mais dense. Et au-delà de l’aspect policier de cet ouvrage, c’est aussi la peinture du Paris sous l’Occupation qui retient l’attention, surtout du point de vue des stars de cinéma. Il faut dire qu’elles sont nombreuses à apparaître dans ces pages : Carette, Pierre Fresnay, Jules Berry, etc. Un véritable panthéon du cinéma français de l’entre-deux-guerres et de l’Occupation. Mais on connaît également la joie de voir Arletty, actrice emblématique, gouailleuse et polissonne, caustique jusque dans ses travers, à qui Jean-Pierre de Lucovich offre un hommage vibrant en la rendant vivante grâce à son écriture empreinte d’une puissante déférence. C’est également l’occasion de croiser de sombres individus, comme des maîtres-chanteurs, les membres de la Carlingue, c’est-à-dire la Gestapo française, et plus précisément Henri Lafont, dont l’ombre plane sur tout le récit.

    Jean-Pierre de Lucovich sait faire revivre une sombre période tout en l’égayant d’individus croustillants issus du septième art, et plaque sur son histoire les codes du roman noir américain des années 1950 et 1960. Il en résulte un ouvrage prenant, où le distractif et le culturel s’emmêle avec maestria. On a hâte de poursuivre une telle lecture – atypique, efficace et divertissante autant qu’instructive – dans Satan habite au 21.

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