Adieu Gloria

(Queenpin)

  1. Des mains de fer dans des gants de velours

    États-Unis, années 1950.
    À vingt-deux ans, l'héroïne et narratrice du roman – dont on ne connaîtra jamais le nom – a une vie des plus ordinaires. Elle suit des cours de comptabilité le matin et les met en pratique l'après-midi en tenant les registres du Tee Hee, une discothèque appartenant à des amis de son père, chez qui elle vit encore.
    C'est après avoir accepté de maquiller les comptes à la demande de ses employeurs qu'elle est repérée par Gloria Denton, une femme aussi belle que dangereuse qui contrôle une bonne partie des activités interlopes de la ville. La reine du Milieu prend la jeune femme sous son aile et en fait son assistante. Grâce aux conseils avisés de son mentor, l'ex-comptable apprend vite. Seulement, lorsqu'elle rencontre un joueur flambeur, c'est le coup de foudre. Gloria lui avait pourtant dit de ne jamais mêler la passion aux affaires, mais c'est plus fort qu'elle, et les ennuis commencent...

    En faisant le choix de la narration interne – l'histoire nous est racontée par l'héroïne – Megan Abbott fait en sorte qu'une connivence s'installe rapidement entre celle-ci et le lecteur, qu'elle n'hésite d'ailleurs pas à interpeller, allant même jusqu'à se confier à lui.
    Adieu Gloria est le roman d'une métamorphose. Celle d'une jeune femme bien comme il faut que rien ne destinait à être une figure importante de la criminalité locale mais qui le devient néanmoins peu à peu.
    La façon qu'a la narratrice – et par derrière elle l'auteur – de nous raconter l'histoire, rétrospectivement, amène rapidement le lecteur à comprendre que les choses ne pourront aller que de mal en pis. En s'amourachant de Vic, un joueur patenté, magouilleur à la petite semaine, la jeune femme a mis un doigt dans l'engrenage. S'en suit une sorte de fuite en avant, inexorable, où chaque décision, chaque acte, ne fait que la rapprocher un peu plus d'ennuis plus conséquents. Une de ces histoires où le lecteur sent d'emblée que tout le monde ne va pas s'en tirer indemne.
    La trame du roman est extrêmement simple. Il n'y a pas d'intrigue policière à proprement parler et la tension, psychologique, repose principalement sur les liens unissant les trois personnages principaux : Vic, la narratrice et Gloria. Megan Abbott joue intelligemment avec les clichés du genre, en faisant de cette dernière un condensé de ce que pouvait être la femme fatale dans le roman noir américain des années 1950. Plastique irréprochable, goût prononcé pour les parures luxueuses, sang-froid extrême, assurance à toute épreuve, aucune hésitation quand il s'agit de faire ce qu'il faut pour que le business continue de tourner normalement... Pour garder la santé, mieux vaut être dans ses petits papiers. Au fil des pages, les rebondissements se succèdent jusqu'à un final mémorable, totalement dans l'esprit du roman.

    Bien que le scénario ne soit pas des plus complexes, la puissance narrative de l'auteur et l'intensité dramatique du récit suffisent à tenir le lecteur en haleine du début à la fin. Déjà remarquée en France à l'occasion de la parution d'Absente, son premier roman traduit dans la langue de Molière, Megan Abbott prouve avec Adieu Gloria, qui lui a valu le prestigieux Edgar Award, que le roman noir américain n'est pas qu'une affaire d'hommes.

    /5