Démolition

  1. Je te salue Cordélia pleine de grâce

    Cordélia est une star du cinéma porno qui meurt dans un snuff movie, ce genre de films dans lesquels les protagonistes agonisent sous les yeux des spectateurs après avoir enduré mille souffrances. Verlaine, un des plus ardents fans de Cordélia, tombe sur cet ultime spectacle et décide de la venger. Se joint à lui Vulcain, son acolyte, pour une terrible équipée de sang et de rédemption au cours de laquelle tous deux croiseront Van Gogh, un policier qui leur ressemble tant.

    Nada avait déjà marqué les esprits avec Hécatombe, un ouvrage dur et haletant. Autant le dire d'entrée de jeu : en noirceur, Démolition lui est bien supérieur. Exactions multiples, scènes de sexe particulièrement trash, violences décrites par le menu, coprophagie, pédophilie, inceste : Nada est décidément un auteur qui se permet de dépeindre bien des horreurs que nombre de ses pairs laissent dans l'ombre. Si ce roman est d'une incroyable férocité, l'aspect poétique qui s'en dégage paradoxalement est très fort : la langue est emprunte d'une prose élégante, et le choix des noms des protagonistes – Verlaine, Vulcain, Van Gogh – mettent en relief ce constitutif. Ce trio est incroyablement marquant : des anciens légionnaires devenus mercenaires, ogres brutaux en des terres inhospitalières, des homosexuels sachant préserver leur amitié par la chasteté, et un policier dévoré par la maladie, enclin à tous les excès, cherchant le rachat de ses fautes dans une dernière mission aux accents religieux. D'autres individus peuplent ce livre éprouvant, où le noir est une couleur, comme ces bourreaux d'enfants, organisateurs de parties fines où le sexe appelle le sang, vedettes du show-business perverties, politiciens laissant libre cours à leur perversion, et autres êtres cauchemardesques. Au fil du livre, la vendetta impulsée par Verlaine massacrera sans scrupules, fera éclater des trafics sans nom, brutalisera la morale, et balaiera bien des certitudes quant à l'humanisme de la société. Le récit est féroce, implacable, heurtera à n'en pas douter bien des âmes sensibles, jusqu'à l'écœurement, et s'achèvera au bout de trois-cents pages dans un chaos de sentiments et d'émotions lapidés.

    Démolition est une œuvre exigeante et singulière, à mille lieues des productions littéraires habituelles. Nada ne s'est plié à aucune règle – morale ou commerciale – en signant cet écrit intransigeant, aussi dérangeant que monstrueux. En écho à la barbarie de nombreux passages, vient l'éclat poétique de ces trois (anti)héros que sont Verlaine, Vulcain et Van Gogh, cette trinité d'individus liés par une initiale et une quête communes. Si le titre semble de prime abord bien lapidaire et passe-partout, il renvoie parfaitement à la lente entreprise de destruction de ces êtres qui se consument au fil des pages, jusqu'au stade terminal de leurs possibilités physiques et morales. Hécatombe, puis Démolition : il y a bien un fil conducteur dans l'œuvre de Nada, et cette nouvelle réussite littéraire, à la fois amère et éclatante, ne peut, le souhaite-t-on, qu'en appeler d'autres.

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