Que la bête meure

(The Beast Must Die)

  1. Ce soir je vais tuer l’assassin de mon fils

    Martie, le fils de Frank Cairnes, n’est plus. Il a été renversé par un chauffard six mois plus tôt et l’assassin a aussitôt détalé, sans le moindre remords. Depuis, celui que l’on connaît sous son nom de plume, Felix Lane, nourrit le secret espoir de retrouver le salaud qui a tué son enfant mais la police n’est pas parvenue à le retrouver. Mais cet auteur de romans policiers parvient, de fil en aiguille, à retrouver la trace de la passagère du bolide meurtrier puis du conducteur, un dénommé George Rattery. Aura-t-il le temps de mettre son œuvre de représailles à exécution, ou quelqu’un se substituera-t-il à son bras vengeur ?

    Si tout cela vous dit quelque chose, ça n’est probablement pas parce que le titre est extrait de l’Ecclésiaste mais plus probablement parce que vous en avez vu son adaptation au cinéma, et c’est aujourd’hui un bien bel hommage que rendent les éditions Archipoche en rééditant cet ouvrage majeur. Divisé en quatre parties, le livre hypnotise dès la première : racontée à la première personne, cette centaine de pages est tout simplement sublime. On y lit le journal intime de Felix Lane, et on est littéralement saisi par le talent et la puissance majeure de Cecil Day-Lewis qui a lui-même signé ce roman sous le pseudonyme de Nicholas Blake. La détresse d’un père en deuil, la rage que lui inspire la fuite du monstre, son appétit croissant de vengeance : avec des mots magnifiques et une prose édifiante, l’auteur nous remue complètement, des tripes au cerveau sans oublier, bien évidemment, le cœur. Mais l’aspect policier transparaît déjà : la logique de Felix, ses déductions, la cohérence de ses hypothèses et sa traque, tant psychologique que physique, sont autant de remarquables engrenages qui vont mener notre malheureux père de famille sur la piste de l’assassin de famille. Face à lui, ce George Rattery. Un butor, le monarque peu éclairé d’une famille à qui il inspire davantage la peur qu’une autorité légitime, un gouailleur sans égal et un sinistre personnage qui bat sa femme et humilie leur fils Philip. Cecil Day-Lewis dissèque les attitudes et les contradictions humaines aussi sûrement qu’un légiste autopsie des corps. Le coup de scalpel est net, chirurgical, sans la moindre bavure, et l’on est souvent amené à relire certains passages tant ils sont magnifiquement interprétés ou décrits. Le reste de ce récit datant de 1938 est à l’avenant : excellent. Les chapitres défilent au rythme d’émotions discordantes, de bouffées d’une haine pure envers George Rattery comme d’empathie pour le papa de la victime, et le côté polar n’est pas pour autant éconduit : à cet égard, les dernières pages où s’entremêlent un trouble poignant et les raisonnements de Nigel Strangeways et de son compère Blount sont tout bonnement mémorables.

    Un livre absolument remarquable de maîtrise et de sensibilité : les amateurs de Georges Simenon ou de Graeme Macrae Burnet ne pourront qu’être séduits voire envoûtés par ce jalon de la littérature policière.

    /5