Les Cicatrices

  1. Quand le « tueur en série » ne tue pas

    À Paris, un jeune homme de dix-neuf ans est retrouvé dans un sale état, presque mort. Torturé de manière atroce, il lui manque ses dix doigts, amputés, ainsi que sa langue, sectionnée. Mais le pire, c'est que celui qu'on ne peut donc même pas appeler un tueur a décidé de lui laisser la vie « sauve ». Les disparitions de jeunes hommes se suivent, et lorsqu'on en trouve un second dans un état critique, la police comprend qu'elle a affaire à un « mutilateur en série ». Serge Miller, le policier chargé de l'enquête, fait bientôt appel à Franck Marshall, un spécialiste des serial killers, lui-même rapidement assisté par Marc Dru, un psychologue.

    Comme dans de nombreux thrillers actuels, les chapitres alternent ici rapidement. Alors que les auteurs utilisent généralement différents types d'énonciations (jouant souvent avec la première et la troisième personne), Jac Barron fait le pari de l'emploi systématique de la première personne. De manière générale, le lecteur s'identifie surtout au personnage principal, qui nous est souvent donné à observer de l'intérieur. Ici, le choix énonciatif associé au nombre élevé de personnages suivis pourrait fort bien produire sur le lecteur l'effet inverse à celui escompté. Plutôt que de s'attacher aux divers protagonistes, celui-ci aura peut-être du mal à s'attacher à un seul d'entre eux. Difficile alors de s'émouvoir de ce qui leur arrive et de vibrer à leurs côtés. Pourtant, malgré ce point faible qui aurait pu être rédhibitoire, Les cicatrices est un thriller qui ne manque pas de qualités.
    Alors qu'on connaissait le thriller psychologique, la couverture met en avant le terme de « thriller psychique ». Peu importe l'épithète choisie, cet aspect du roman est fort réussi, l'auteur ne se contentant pas de décrire un simple profil psychologique pour chaque personnage. Il va plus loin, sondant leur âme en profondeur. Le « prédateur », initié à la torture dès l'enfance par son propre père est fort intéressant, tout comme la « proie », l'une des victimes dont on suit de près le calvaire. À ce propos, il convient de signaler que Jac Barron n'est pas un tendre avec ses personnages et que certaines scènes difficiles – tortures diverses et variées, fort détaillées, voire trop – pourraient bien ne pas convenir à tout le monde.
    L'intrigue est particulièrement soignée et les pièces du puzzle s'emboîtent petit à petit, jusqu'à un final inattendu, qui laissera plus d'un lecteur coi. Bien sûr, l'auteur aura auparavant pris le soin de nous mener par le bout du nez, en enchaînant les rebondissements et les fausses pistes.
    Enfin, et ce n'est pas la moindre des qualités de ce texte, Jac Barron propose d'intéressantes réflexions sur la société, notamment sur la norme ou l'identité, n'hésitant pas à parler de sujets assez peu abordés dans le polar, comme l'homosexualité.

    Si certains lecteurs pourront avoir des difficultés à s'identifier aux divers personnages, Les cicatrices n'en demeure pas moins un premier roman réussi. Profondément noir, dérangeant, critique, ce thriller de Jac Barron est le premier tome d'une trilogie, celle des Pulsions, qui sera complétée par Plasma et Impulsions.

    /5