Ca restera comme une lumière

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  • 7/10 Je viens de terminer la lecture du beau et du bon roman de Sébastien Vidal. 

    L’histoire est des plus classiques ? Et alors ? 

    Les évènements plutôt prévisibles (encore que) ? Je m’en fous.
    L’auteur est plus à l’aise dans les scènes contemplatives, l’intériorité de ses personnages, le bouleversement des coeurs, que dans les scènes de mouvement ou les dialogues ? Certes, certes.

    Mais l’essentiel est là. L’ensemble, c’est du solide. Construction, narration, la charpente est robuste, costaude comme les sculptures ou les mains du vieil Henri ; ça fleure bon le métier, l’expérience, déjà.
    C’est bien écrit, très bien même. L’écriture est virtuose, souvent virevoltante. Ample, métaphorique (mais accessible), gourmande (certains tiqueront sur le florilège d’adjectifs, moi ça me va) en un mot : généreuse. 
Il y a du lyrisme, du romantisme dans les mots de Sébastien. Pas étonnant, l’auteur doit être peu ou prou comme son Josselin, un grand sensible (j’ai pas dit émotif, hein).
    Ok, ok, avoir du style, c’est bien, mais comment on fait pour garder cette patine tout du long ? Sébastien, lui, a su faire. J’ai été frappé par la constance de la forme Il y a de la régularité, de l’endurance et on ne répétera jamais assez la difficulté de tenir la distance sur des centaines de pages. Garder le rythme, le mental, l’énergie, l’envie, …dans ce marathon qu’est le roman, c’est pas une mince affaire. 
Sébastien y parvenu intégralement ou presque (un poil moins enlevé les 100 dernières pages ? Je sais pas). 
Le roman n’a pas du être écrit d’une traite, impossible. 
C’est donc du bon boulot. Bravo pour ça. Et respect.

    J’espère que l’auteur ne m’en voudra pas, mais je ne croyais pas que sa plume fut aussi belle, affutée, inspirée. C’est vrai que ça pullule d’images, de comparaisons, ça peut donner le tournis (difficile de se réfréner, hein ?), mais malgré tout, j’ai été impressionné par cette exaltation qui imprégnait ces lignes même si c’est dans sa fulgurante simplicité que l’auteur m’a le plus saisi (« la tendresse comme jardinier des souvenirs » pour ne citer que celle que j’ai pensé à noter). Il y en a d'autres qui impriment la rétine durablement et je me suis promis de retourner à la (Del)pêche (uh uh uh) de ce genre de phrases simples et belles dans leur dénuement, leur dépouillement. 
L’auteur a sacrément bûcher sur le sujet de la soudure, c’est stupéfiant de crédibilité. Il a été bien conseillé, mais là encore, c’est vraiment un sacré travail de documentation. Les longs et nombreux passages sur le travail de soudure, c’est de la pure poésie. Sans jamais tomber dans la redite en terme de vocabulaire, c’est fort.
    Bon, le roman est vendu comme un roman noir. Faut bien attirer le chaland, mais pour moi ce n’était pas l’intention première (la « noirceur » - y a largement pire - se fera plutôt sentir dans l’accélération des 50 dernières pages.) Paradoxalement, c’est quand l’auteur n’abordait pas son intrigue mafieuse que mon intérêt a été le plus prégnant. 
La vengeance, le mystère de la disparition du fils Thévenet, ce n’est pas ce que je retiens du livre, j’ai largement préféré les moments intimistes entre Josselin et Henri, les échanges qu’ils soient verbalisés ou non (oui, la gestuelle - pression de mains sur les épaules, les sourires, les regards…- est également mise à l’honneur), c’est ce que j’ai plus aimé, d’ailleurs c’est dans ce registre que j'ai senti l’auteur plus à son aise (avec la descriptions de la nature, j’y reviens). Les thèmes de la transmission, du partage, de l’apprentissage et des liens qui unissent les êtres amochés par la vie, les drames, tout ça, ça m’a plu aussi. 
Il est aussi question de la famille, pas nécessairement celle du sang, mais celle qu’on se fait (Henri est un père de substitution au même titre que Erwan est le frère que Josselin n’a jamais eu).
    
Le roman, c’est également une pluie d’hommages plus ou moins conscients.

    Hommage à l’Art (on peut remplacer la soudure avec l’écriture, la peinture, …), au travail, au gout de l’effort, de la persévérance, à l’humilité.
    Hommage à l’amitié. On repense à plein de films (l’auteur est également très référencé niveau cinoche).
    Hommage à certains auteurs/artistes (je sais aussi que Sébastien est un lecteur et fan de Bouysse, sans doute de Ron Rash, peut-être un amateur du cinéma de Mallick aussi ?).
    On y retrouve donc l’amour de la nature, de la terre, la référence à la petitesse de l’homme face à cette immensité terrestre comme céleste ; cette envie viscérale de sublimer, voire de personnifier, la nature et ses créatures (la chouette comme fil blanc du récit)
    Mais plus que tout, ce qui m’a le plus séduit, c’est l’absence de tricherie. 
Pour lire ça et là les posts de Sébastien, pour savoir ce qu’il lit (ou chronique) comme bouquins, écoute comme chansons, je sais que le fond du roman n’est pas une posture ou une volonté opportuniste de suivre une mode, rien de factice dans ce qui anime l’auteur mais surtout l'homme. Ce roman est donc cohérent avec ce qu’il est et ce que j’imagine de sa vie (non, non, on ne poste pas des photos de radis ou de je ne sais quel cucurbitacées sur Facebook pour faire son écolo).
    Ce roman lui ressemble beaucoup. Dans ses convictions, ses revendications, ses colères. Il parle de l’absurdité de la guerre, du cynisme des dirigeants du monde, des affres du capitalisme, de l’ultra consumérisme etc… tout ces thèmes sont autant de cris de Sébastien dans la bouche de Josselin, de Henri, même dans celle de personnages secondaires (l’infirmière qui évoque sans qu’on lui demande la pénurie de lits). Alors, on pourrait aussi lui reprocher que parfois, le procédé contestataire porte préjudice à un certain naturel ou à certaines réactions des personnages. Je m’explique. Je pense aux dialogues, très, (trop ?) écrits et qui marquent de manière trop voyante (pamphlétaires allais je dire) les intentions de l’auteur. Encore une fois, beaucoup d’auteurs utilisent leurs personnages pour porter leur propos mais ici, c’était peut-être trop surjoué (Josselin et Henri parlent comme des livres). Il n’en est pas moins vrai que la sincérité de Sébastien est incontestable.
    Les personnages sont travaillés, approfondis, avec leur part d’ombre et de lumière. L’auteur a fait une place à chacun, tous ont leur part d’humanité (même le grand Charles, tout salaud qu’il est, on le sent tout de même sincèrement dévasté par la perte de son fils). 
Josselin est un beau personnage même si, là encore, pour un type traumatisé, meurtri par la guerre et ses horreurs, rongé par la culpabilité d’être en vie par rapport à Erwan, je me serais attendu à ce qu’il soit moins loquace, moins littéraire. Il parle et écrit bien (cf. Son échange épistolaire avec son ami décédé). On sait qu’il est abîmé, physiquement et psychologiquement, pas de doute, les failles et le traumatisme sont là. Mais je ne l’ai pas assez senti car l’auteur ne m’a pas laissé l’espace pour cela, les mots, nombreux, clairvoyants, ont trop souvent colmatées ces fameuses brèches. Pour ma part, je n’ai pas besoin de tant de confidences, de tant d’explications, j’aime bien qu’on me laisse des blancs, des cases à noircir. Mais c’est un parti pris de l’auteur, je respecte, mais ça m’a empêché de faire ses douleurs miennes.
    J’aurai bien encore deux-trois chipotages à faire, mais ça ne changera rien à mon avis général, comme je l’ai dit, au tout début : ÇA RESTERA COMME UNE LUMIERE de Sébastien Vidal est un bon et beau roman que j'ai lu en quelques jours.

    03/05/2021 à 00:33 schamak (104 votes, 6.1/10 de moyenne) 2