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8/10 Sur une demande de son éditrice, Geoffrey Le Guilcher accepte de s’infiltrer sous une fausse identité dans un abattoir. De ce milieu, il ne connaît pas grand-chose, et c’est avec un œil neuf et presque innocent qu’il se fait embaucher dans cette entreprise qui compte deux mille « damnés de la viande ». Une plongée, lente, graduelle, presque infernale, dans les tourments de cette usine à débiter, cette « Steak Machine ». On y apprend beaucoup d’informations, notamment parce que l’auteur s’est bien documenté sur le sujet (peut-être après-coup), a vu pas mal de documentaires (notamment de L214), s’est entretenu avec des gens versés dans le domaine (dont le député Olivier Falorni), et a consulté une belle quantité de rapports. Mais le plus intéressant, c’est le vécu. Les traumas physiques, avec les douleurs articulaires, tendineuses, osseuses, cette fabrique engendrant beaucoup (trop) de personnes handicapées. Ce sont également les épreuves, dès des heures indues du matin, voire de la nuit pas encore achevée, à tailler à la chaîne des bestioles dont certaines sont encore en vie (cf. les rapports de cette spécialiste de la souffrance animale ou encore les expériences de ces « hélicoptères » où les vaches encore vivantes et suspendues par une pattes peuvent salement blesser des débiteurs de bidoche). Pour l’écrivain, c’est aussi l’expérience des petits caporaux autant que de l’amitié qui se forge sur les nacelles de découpe, les cadences infernales, le fordisme qui s’est inspiré des pratiques des abattoirs de Chicago, les cauchemars de sang et de viande, les corps meurtris (autant ceux des bovins que des êtres humains), jusqu’au final où il va enfin pénétrer la partie réservée à la mise à mort des bovidés. Un témoignage fort, un coup de poing à l’estomac, saturé d’émotions contraires, faisant amplement réfléchir à la condition des animaux, à leur rang au sein de l’humanité, à notre rôle en tant qu’omnivores. Il y a peut-être quelques passages un peu plus mous dans le dernier tiers, des lacunes d’émotions dans les rapports entretenus avec les autres ouvriers de la viande, et, comme j’aurais apprécié, le point de vue de celles et ceux qui défendent ce fordisme de la découpe, mais dans le fond, ça n’est pas l’essentiel : voilà une expérimentation sombre, un coup de projecteur sur l’envers du décor de la boucherie, bien en amont dans ce que l’on a dans nos assiettes.
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