Celui qui sait

(The Abstainer)

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  • 9/10 Conquis par son précédent (et premier) livre, Dans les eaux du Grand Nord, je voulais savoir s’il s’agissait là d’un (magnifique) coup de chance du débutant, apprenti auteur, ou la découverte d’un auteur talentueux.

    Celui qui sait met en scène principalement deux hommes : un policier torturé, James O'Connor, chassé de la police irlandaise pour cause d’alcoolisme. Il a été « muté » à Manchester afin de traquer les Fenians, ces « terroristes » pour certains, ces « héros » pour d’autres, qui veulent déstabiliser par les armes et la force l’envahisseur anglais. L’autre figure principale de ce livre est Stephen Doyle. Ancien soldat de la Guerre de Sécession, il est revenu au pays et ne souhaite qu’une chose : venger les 3 militants irlandais pendus pour avoir tué un policier.

    James O’Connor est hanté : il a perdu sa femme, morte de maladie, et son fils, décédé encore bébé. Il s’était réfugié dans l’alcool, ce qui lui a coûté son poste en Irlande. Sobre depuis son arrivée à Manchester, il n’a que ce simple objectif : celui de traquer ceux qui veulent remettre en cause l’ordre établi. Peu importe qu’il s’agisse de compatriotes irlandais. Son rôle de policier lui tient à cœur. Il n’hésite pas à soudoyer des informateurs : il veut tout savoir et être « celui qui sait ».
    Et pourtant, O’Connor va voir sa vie perturbée. Il va se sentir responsable de la mort de ses informateurs, due à une négligence de sa part. D’autant qu’il semble avoir des sentiments envers la sœur d’une des victimes. Amour ou culpabilité ? Une déchirure pour O’Connor. Et quand son neveu débarque de New-York et se voit devenir l’appât idéal pour traquer Doyle, O’Connor va être encore plus contrarié.

    Car pour Doyle, toute fin justifie les moyens. Et dans cette lutte, il sait qu’il faut faire parler la poudre, et seulement la poudre. Car, le silence doit être roi, notamment pour les membres de cette Fraternité. Et Doyle n’hésitera pas à tuer pour assurer la réussite des attentats envisagés. Car l’honneur doit primer.

    Ian McGuire a confirmé, avec Celui qui sait, tout le talent découvert avec son précédent livre. Le lecteur ressent bien la tension dans ce Manchester de 1867 entre les Fenians et les autorités anglaises. Conspiration, trahison, enquête, chasse à l’homme côtoient l’odeur de la bière des tavernes et des peaux tannées des usines. Ian McGuire plonge le lecteur dans cette ambiance noire et sombre. Mention spéciale pour ces deux personnages et notamment pour ces passages où l’écrivain décrit avec merveille cette plongée d’O’Connor dans ses turpitudes sombres et ses anciens démons.

    11/08/2025 à 16:10 JohnSteed (701 votes, 7.7/10 de moyenne) 2

  • 9/10 Manchester, novembre 1867. Le lieutenant James O’Connor est en poste depuis peu de temps après avoir dû quitter la police de Dublin, et ses supérieurs comptent sur ses origines irlandaises pour obtenir plus facilement des renseignements auprès de ses compatriotes mancuniens qui souhaitent se soulever contre le pouvoir anglais. Dans le même temps, Stephen Doyle, un vétéran de la guerre de Sécession, vient d’arriver à Manchester où il est employé par les féniens – des nationalistes irlandais – pour commettre des actes terroristes. Le neveu d’O’connor, le jeune Michael Sullivan, débarque peu de temps après, et il pourrait être parfait pour infiltrer les rangs ennemis. Une étrange danse va s’orchestrer avec ces trois personnages. Une valse macabre.

    On connaissait déjà Ian McGuire pour son excellent Dans les eaux du Grand Nord, et c’est avec entrain que le lecteur se ruera sur ce nouvel opus. Autres lieux, intrigue et cadre différents, mais le charme opère de nouveau. L’auteur reconstitue avec un talent rare la misère du Manchester des années 1860, les luttes politiques teintées de rixes religieuses, ainsi que la géopolitique locale. Les personnages sont particulièrement réussis. O’Connor, ayant perdu femme et enfant de la pleurésie, est obligé de lutter pour ne pas sombrer à nouveau dans l’alcoolisme, et il a bien du mal à trouver sa place auprès de ses collègues ou de ses compatriotes – pas assez anglais, plus suffisamment irlandais. Doyle est une pure machine de guerre, entièrement consacrée à son art de dispenser la mort, physiquement marqué par le conflit américain et reconverti dans le mercenariat. La société de l’époque, vu du point de vue policier, est détonante, entre sombres trafics, maillages des indics, éthylisme et pauvreté endémiques. Le travail de documentation d’Ian McGuire est particulièrement solide et sa plume enténébrée restitue à merveille les obscurités ambiantes. Le final est d’ailleurs étonnant : l’écrivain refuse la confrontation tant attendue dans la Pennsylvanie rurale pour offrir un chapitre atypique, tout en ellipses et récusant ce que l’on pouvait attendre de cette conclusion, et l’effet n’en est que plus réussi.

    Un roman encore une fois singulier et efficace, d’une rare noirceur, confirmant les immenses qualités littéraires d’Ian McGuire.

    14/11/2024 à 06:58 El Marco (3678 votes, 7.2/10 de moyenne) 7