L'enfant dormira bientôt

  1. L’Instinct maternel

    Michel Béjart a vécu un drame épouvantable : il a découvert des nouveau-nés dans le congélateur de son domicile, juste avant que son épouse ne prenne la fuite et ne fasse un accident, laissant leur enfant unique handicapé. Bien plus tard, il est à la tête de la fondation « Ange » qui aide des couples démunis à adopter. Dans le même temps, deux nourrissons sont enlevés dans des maternités de la région parisienne, et c’est la commissaire Jeanne Muller, chef de la brigade de la protection des mineurs, qui mène l’enquête.

    Ce roman de François-Xavier Dillard frappe fort, très fort. Après Prendre un enfant par la main, on retrouve son enquêtrice Jeanne Muller pour cette nouvelle investigation aux portes de la folie et de la noirceur la plus intense. Ce protagoniste détonne d’ailleurs dans le paysage : grande gueule, peu adepte de la bien-pensance, fumant cigarette sur cigarette, conduisant une Maserati GranTurismo, elle aura fort à faire dans cette histoire qui se double d’une autre concernant Samira, sa jeune protégée, ancienne prostituée à la trajectoire de vie éclatée et qui aura besoin de son aide. Ce roman choral multiplie les personnages et les point de vue sur une histoire dont les diverses ramifications en viennent à s’unir avec brio dans le final, et les individus fracassés par l’existence ne manquent pas. Samira, victime de violences sexuelles dès son plus jeune âge, exploitée par l’esprit libidineux des hommes, et proie de personnages tous plus abjects les uns que les autres, même ceux qui semblent de prime abord plus chevaleresques. Jeanne Muller, policière tenace et efficace, entourée d’adjoints au verbe haut. Michel Béjart, croyant trouver une forme d’apaisement dans une poupée « reborn » afin de cicatriser son douloureux passé. Hadrien, son fils condamné à vivre en fauteuil roulant et ne s’adressant à son père que par des SMS. Une large palette d’êtres parfaitement croqués et d’une belle densité humaine, à laquelle François-Xavier Dillard adosse une belle intrigue, sombre et tortueuse, jouant sur les aspirations à la maternité/paternité, parfois dans ce qu’elles ont de plus extrêmes. Cependant, l’auteur ne tombe jamais dans le sordide ou le voyeurisme malgré les sujets abordés : on est constamment dans un implicite salvateur, et l’humour de Jeanne Muller, en enquêtrice délurée et efficace, vient nuancer la noirceur de l’ensemble.

    Un ouvrage d’une très bonne facture, âpre et redoutable sans jamais être glauque. Remercions François-Xavier Dillard pour la justesse de son ton, son tact ainsi que l’humanité qui traverse son roman, celle-ci s’observant avec d’autant plus de netteté qu’elle se juxtapose à des penchants d’une insondable cruauté.

    /5