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8/10 Dans un avenir très proche, l’île de Montréal a fait sécession et est désormais assiégée par l’armée fédérale. A l’intérieur s’est développée la Commune, sans connexion Internet, et défiante vis-à-vis du monde qui l’entoure, des milices et des troupes du Roy. Nikki Chanson, travaillant dans un vidéoclub spécialisé dans les films d’horreur, en vient à apprendre l’assassinat d’un raton laveur, découvert mutilé sur une balançoire. Parce qu’elle est fascinée par Sherlock Holmes et cherche à combler une existence assez vide, elle décide d’enquêter pour son propre compte. Avec ses amies Mommy, Kim et Mei, il se pourrait bien qu’elle mette rapidement le doigt sur quelque chose de beaucoup plus important, une affaire qui dépasse sa simple condition humaine.
Sabrina Calvo nous fait rapidement basculer dans un univers décalé, presque déjanté, proche du cyberpunk, tout en conservant de solides attaches dans le réel tel que nous le connaissons. Nikki attire rapidement l’attention et happe le lecteur avec son caractère : loueuse de cassettes VHS, intarissable source d’informations sur les nanars cinématographiques, espiègle détective improvisée, elle se débat dans cette enclave que constitue l’île de Montréal aux côtés d’autres protagonistes essentiellement féminins. Dans le même temps, elle fait des rêves récurrents où elle se voit dans une forêt en lambeaux, et ses hallucinations répétées vont vite se révéler plus graves que de simples cauchemars. Dans ce récit, on admirera la plume de Sabrina Calvo, parfois déstructurée, parfois poétique, mais qui jamais ne lasse ni ne rebute. Les personnages hauts en couleurs ne manquent pas, et l’écrivaine intègre diverses pistes et autres bizarreries dans son histoire. Des exemples ? Un psychopathe dont la tête est une ruche, des virées en réalité virtuelle, des graffitis découverts à côté des rongeurs sacrifiés, de la ventriloquie avec une chaussette devenue pour l’occasion une marionnette, d’anciennes expériences psychiatriques sur des patientes, des Amérindiens, etc. Une lourde ambiance paranoïaque – presque schizophrénique – que ne renierait pas l’immense Philip K. Dick hante les trois-cent-soixante pages de cet ouvrage excentrique, aussi atypique que marquant, ponctué de reproductions des tags, et parcouru d’un souffle littéraire d’une grande impétuosité. Tout au plus pourra-t-on lui reprocher, à la marge, un léger manque d’explicitations finales, mais cette forme d’épilogue ouvert obligera le lectorat à se forger sa propre opinion quant à l’arcane des « trois sœurs » et le devenir de nos héroïnes.
Un opus à tous les sens du terme merveilleux, qui a reçu le Grand prix de l'Imaginaire 2018 dans la catégorie Roman Francophone ainsi que le Prix Rosny Aîné la même année dans la catégorie Romans.19/05/2021 à 07:28 El Marco (3431 votes, 7.2/10 de moyenne) 2