Dans un Rouen bombardé durant la dernière guerre naît un marmot, un têtard, qui raconte avec ses mots disloqués : sa famille, sa vie dans son quartier peuplé de clowns de son âge et de personnages singuliers…
Élargir le fleuve impassible jusqu’à l’horizon pour que s’y engouffre l’océan couleur de catafalque, eau désormais infranchissable pour l’ennemi, se précipiter dans les abris et tant pis si on galope à schlague abattue sur la piste défoncée pour gagner l’autre bord et se terrer, on se bouscule, on saute, on s’éclabousse de soi sans pudeur lorsqu’une balle perdue trouve son maître ou sa maîtresse, la blessure est déjà d’encre, corrompue par la poudre, on se déchire par fragments d’intimité, et c’est ce puzzle de chairs poisseuses, de paletots et de leggins en charpie que charrie l’eau secouée de spasmes. Des chevaux arrachés aux quais y hennissent encore et leurs attelages les tirent par la queue vers les bas-fonds, les poissons se font fritures pour les temps difficiles. Nuit frémissante du fleuve sombre s’étirant jusqu’au delta, cet ultime système veineux incapable de filtrer ses eaux et d’en retenir la substantifique moelle.
Mon innocence n’était qu’une tétine de biberon voguant sur les pleurs de Chose Mère qui ne comprenait rien à la guerre, ou faisait semblant, je ne sais pas. Pourquoi, disait-elle, on n’était pas trop malheureux avant, et maintenant, avec toutes ces privations c’est encore pire.
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Soumis le 28/06/2020 par El Marco