Seule la haine

  1. Horreurs sur le divan

    Larry Barnay, psychanalyste, est retenu prisonnier dans son cabinet. Son séquestreur n’est qu’un ado de quinze ans, Elliot, qu’il rend responsable du suicide de son frère aîné, Simon. Mais Elliot est armé, déterminé, et avec un immense appétit de vengeance. Débute alors un échange entre ces deux protagonistes, avec force révélations… et d’incroyables rebondissements.

    Avec ce roman qui est déjà son cinquième, David Ruiz Martin nous régale. Et nous marque. L’exercice littéraire du huis clos est périlleux, au risque de rendre l’ensemble artificiel et longuet. Ici, ça n’est assurément pas le cas. Narré par Larry Barnay, le récit est immédiatement prenant. Grâce à une plume absolument excellente, offrant à nos duettistes une réelle densité humaine, on bascule dans une histoire dont on se doute qu’elle sera noire et asphyxiante. Graduellement, Elliot s’ouvre sur ses maux et explique comme son frangin a basculé, notamment en raison de deux adolescents surnommés Brad et Sam. Des monstres. De la graine de violence, harceleurs, incendiaires, commettant des atrocités au sabre sur des animaux avant de s’en prendre à de jeunes filles. Les abominations coulent des lèvres d’Elliot, emportant le lecteur dans un maelström d’horreurs, indicibles, insoutenables. David Ruiz Martin relate ces faits avec froideur, comme un entomologiste épingle des insectes sur une planche de liège. Il n’a nullement besoin d’émettre le moindre jugement, la plus élémentaire des morales : les faits parlent d’eux-mêmes, et l’on ne peut qu’être de fait effrayé. Mais là où l’ouvrage déroute, pour notre plus grand plaisir, c’est que l’auteur n’est pas que le metteur en scène de violences malheureusement ordinaires et barbares : c’est aussi, à sa façon, un illusionniste. On pensait avoir tout compris avec cet inventaire de déviances ? Perdu. La fin du chapitre 20 – environ la moitié du roman – rebat les cartes avec talent. Un rebondissement remarquable et qui n'est que le début de nombre d’autres. Dès lors, il faut s’attendre à être constamment surpris et désorienté puisque c’est une cascade de twists qui nous attend. Une série de manipulations mémorables qu’il serait grossier et maladroit de divulguer, mais qui portent indéniablement le sceau d’un écrivain habile, nous forçant à regarder l’une de ses mains pendant que l’autre nous prépare déjà un tour renversant. Et quand le livre s’achève, le lecteur, même chevronné, est à la fois éberlué de s’être ainsi fait prendre et étonné qu’un texte aussi court puisse porter en son sein autant d’intelligence et de noirceur. Il se paie en outre le luxe d’interroger avec pertinence nos consciences et les choix qui peuvent nous éclairer ou nous plonger dans les ténèbres.

    Un ouvrage particulièrement réussi et maîtrisé, prestidigitateur et suffocant.

    /5