Un petit boulot

(Since the layoffs)

  1. Tuer à la tâche

    Le moins qu'on puisse dire, c'est que Jake Skowran ne connaît pas une période faste. Son usine vient d'être délocalisée au Mexique. Conséquence : il a perdu son emploi, puis sa femme, partie voir si l'herbe n'était pas plus verte ailleurs. Malgré un regard lucide sur ce qui se passe autour de lui, Jake n'est pas du genre à baisser les bras. Plutôt du genre à accepter n'importe quel petit boulot pour gagner sa croûte. Alors quand un caïd local vient le voir pour lui proposer de tuer sa femme, le cas de conscience est vite vu. C'est payé combien ?

    Ceux qui connaissent un peu Iain Levison et son œuvre savent sans doute qu'il n'a pas connu Un petit boulot, mais plutôt des dizaines – quarante deux précisément, d'après son propre recensement. Né à Aberdeen, puis passé par les États-Unis et le service militaire, le retour au pays est rude. Le chômage le décide à retraverser l'Atlantique pour fuir la dèche écossaise. Tour à tour pêcheur en Alaska, peintre en bâtiment, conducteur de camions, déménageur et bien d'autres, l'auteur avait déjà raconté une partie de son parcours, non sans humour, dans l'excellent Les tribulations d'un précaire, ouvrage plutôt biographique bien qu'un peu romancé.
    Ici, c'est par le prisme du roman noir qu'il aborde le sujet de la paupérisation d'une grande partie de la population américaine. À l'instar du grand Donald Westlake dans le non moins grand Le Couperet, Iain Levison en rajoute, jusqu'à la caricature. Mais ne dit-on pas que plus c'est gros plus ça passe, surtout quand on a du talent ? Et l'habileté de la plume est là, bien présente, non seulement pour raconter l'histoire, dépeindre ces personnages, sans doute plus ou moins inspirés de son vécu et de connaissances, mais aussi pour instiller une bonne dose d'humour grinçant à cet ensemble. On suppose que Jake, c'est un peu – besucoup – Iain, les crimes en moins sans doute.
    Publié initialement en 2003, le roman ne met donc pas en scène la crise liée aux subprimes mais le vent tournait alors déjà, avec son lot de fermetures d'usines et de villes entières se retrouvant désœuvrées et livrées à elles-mêmes.
    En guise de couverture entre deux contrats, Jake se voit confier la caisse d'une petite supérette ouverte en permanence. On y travaille, beaucoup, on dort de temps en temps, un peu. Heureusement, ses collègues sont sympathiques comme ce jeune Asiatique parlant à peine l'anglais, qui n'aurait en principe même pas le droit de travailler de nuit. Le passage dans lequel un manager vient spécialement du siège de la franchise pour évaluer l'efficacité de la supérette est particulièrement croustillant. À l'image du roman en somme.

    Quinze ans plus tard, Un petit boulot n'a pas pris une ride. Il a d'ailleurs été adapté au cinéma en 2016, en France, avec Romain Duris dans le rôle principal. Avec son regard acéré et sa plume caustique, Iain Levison a depuis parcouru du chemin et publié quelques titres de grande qualité, oscillant toujours entre roman noir et critique sociale. Citons Une canaille et demie, Arrêtez-moi là! ou encore Pour services rendus, paru cette année, dans lequel il égratigne l'image des vétérans du Vietnam et la vanité du débat politique américain. Au train où évoluent les choses là-bas, gageons que l'auteur aura encore matière à écrire quelques opus. Chose curieuse à signaler, il semblerait que Iain Levison connaisse un plus grand succès dans l'Hexagone qu'aux États-Unis où ses derniers ouvrages n'ont même pas été publiés. Alors, merci Liana Levi !

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