La Malédiction du gitan

(The Gypsy's Curse)

  1. L’étrange destinée de Marvin Molar

    Marvin Molar n’est pas un homme que l’on oublie de sitôt. Hercule de foire au physique improbable, jeune et gagnant sa vie grâce aux exhibitions qu’il réalise avec son physique atypique, il est entouré d’autres personnages improbables. Une existence curieuse, sans véritablement penser au lendemain. Mais il se peut que la belle et désirable Hester ne catapulte Marvin dans le mur… et le meurtre.

    Harry Crews est un des écrivains américains les plus inclassables qui soient, à moins qu’il ne soit tout simplement le plus original, tout bonnement. Auteur d’ouvrages proches du polar (Le Chanteur de gospel ou La Foire aux serpents), mettant en scène des individus complètement abracadabrants (Le Roi du K.O.), vilipendant le consumérisme (Car), ou avec son lot de losers malheureux (Des Savons pour la vie), il s’est toujours intéressé à la face cachée de l’Amérique, avec ses antihéros, ses individus ambivalents, ses délicieux fêlés et ses freaks. Marvin Molar est né muet puis a également perdu l’ouïe, avec deux petites jambes ridicules de quelques centimètres, ne pesant qu’une quarantaine de kilos, et a poussé de la fonte comme un forcené jusqu’à obtenir des tours de biceps d’une cinquantaine de centimètres pour compenser ses handicaps. Il est entouré de Leroy, un brave boxeur qui est persuadé d’être un excellent sportif, Pete, un Noir qui a pris trop de coups sur le coin de la figure, et Al, son père adoptif, dont le physique de colosse a été massacré suite à une performance où il s’est fait rouler – volontairement – dessus par un véhicule. Un groupe homogène en raison de ses infirmités et errements, et hétérogène au vu de ce qu’ils attendent de la vie. Mais c’est la belle Hester, avec ses jambes et ses seins à se damner – même si Marvin, son fan numéro un, est le premier à reconnaître que son visage est beaucoup plus banal – qui va venir mettre le feu aux poudres, en raison de ses liaisons. Une écriture complètement folle, foutraque, presque hallucinée, où l’argot est la langue première. Des protagonistes extravagants qui se rencontrent, s’accolent, s’accrochent, se télescopent. Et des désirs également. Du sexe. Du muscle. De la testostérone. Des appétences criminelles et des jalousies. Les dernières pages constituent le feu d’artifice de ce roman détonnant, où explose la violence. Comme une évidence. Comme une nécessité. Comme un trop-plein que l’on vide après près de deux cents soixante pages d’appétits insatisfaits, de destinées contrariées, de vies stériles.

    Un opus aussi insolite que ne l’a été son auteur, sublime porte-parole des sans-voix, portraitiste des visages méconnus ou volontairement mis de côté. Ce livre ne plaira certainement pas à tout le monde, mais pour ceux qui apprécient les ouvrages qui cherchent moins à séduire qu’à frapper les esprits de manière durable, voilà une lecture qui en devient indispensable.

    /5