Les filles mortes ne sont pas aussi jolies

(Pretty as a Picture )

  1. Les fantômes de l’Île de Kickout

    Marissa Dahl est monteuse pour le cinéma. Douée bien que marginale et solitaire, elle parvient à se faire engager pour le prochain film de Tony Rees, réalisateur sulfureux et plusieurs fois oscarisé. Mais sur l’Île de Kickout où se déroule le tournage, des incidents se produisent : une atmosphère lourde, des comportements belliqueux, une aura de mystère… Il faut dire que le film en question évoque l’assassinat non résolu, bien des années auparavant, de Caitlyn Kelly, alors âgée de dix-neuf ans, retrouvée morte sur la plage d’un hôtel de luxe. Le meurtrier de la jeune femme serait-il tenté de repasser à l’acte ?

    Après Les Réponses, voici le deuxième ouvrage d’Elizabeth Little. D’entrée de jeu, le lecteur est secoué par le style de l’écrivaine : haché, émaillé des pensées intimes de Marissa, où le second degré et l’ironie foisonnent. Les chapitres sont d’ailleurs souvent séparés par des extraits d’interviews, postérieurs aux événements se déroulant dans le roman, tandis que le personnage central intrigue puis séduit. Cette jeune femme, décomplexée, parfois maniaque et au comportement proche de l’autisme dans sa relation aux autres, férue du septième art, multiplie les références cinématographiques, et n’a pas son pareil pour balancer des réparties bien senties, souvent très cocasses et caustiques, qui font merveille. Par exemple, sa relation avec Isaiah, son colosse noir, probablement ancien Navy SEAL, qui lui sert de protecteur sur les lieux du tournage, est un pur régal de décontraction et d’humour. L’histoire, intéressante, nous permet également de mieux connaître l’envers du décor, ses pratiques, les méthodes employées, les diverses professions à l’œuvre, ainsi que de nombreuses techniques tant de prises de vues que de montage. Sur un rythme plutôt lent qui sert le récit, avec une ambiance délicieusement anxiogène et ce huis clos sur un îlot du Delaware, Elizabeth Little nous régale, même s’il faut bien reconnaître que la chute n’est pas vraiment à la hauteur du roman. On aurait aimé être plus déstabilisé par l’identité du tueur – mais peut-être que ce manque de surprise vient du nombre finalement peu élevé de suspects – tandis que les mobiles retenus pour son acte ne sont guère étonnants non plus. Il n’en reste pas moins que ce livre au titre énigmatique et mémorable permet de passer un très agréable moment de lecture.

    Elizabeth Little a probablement privilégié la forme au fond, mettant en scène une Marissa Dahl particulièrement atypique, pétillante et attachante, qui contraste avec un déroulé davantage ronronnant que rugissant. Néanmoins, ce roman demeure prenant et efficace, en se doublant d’un bel hommage au monde du cinéma.

    /5