Mafioso

(The Mobster's Lament)

  1. New York la mafieuse

    New York, août 1947. On découvre dans l’hôtel Palmer situé à Manhattan quatre cadavres, des personnes atrocement assassinées à l’arme blanche. Le suspect est évident : Thomas James Talbot. Un Noir, amateur de magie vaudou. Son père, Michael, plus de soixante-dix ans, ancien détective privé, ne croit pas du tout à cette version. Il demande l’aide d’Ida Davis, également détective privée avec laquelle il a longtemps travaillé, notamment dans l’agence Pinkerton. Dans le même temps, Gabriel Leveson a amassé suffisamment d’argent grâce aux champs de courses pour partir au Mexique avec sa nièce Sarah. Mais la mafia qui l’emploie lui demande de retrouver deux millions de dollars que Bugsy Siegel aurait dérobé à la pègre lors de la construction du Flamingo, le casino de Las Vegas. Un point commun entre ces deux affaires va lentement apparaître : un homme, Faron, un tueur à gage psychopathe qui avait violé la sœur de Gabriel avant que cette dernière ne se défenestre.

    Après Carnaval et Mascarade, voici le troisième volet de la quadrilogie consacrée au City Blues Quartet, et ce n’est qu’un euphémisme que de dire que ce tome est au moins aussi bon que les précédents. Pourtant bien épais, ce livre de Ray Celestin séduit dès les premières pages, dès les premières lignes : « Venez voir tous ces vampires. Regardez-les traîner sur Times Square. Regardez ce grouillement empressé sous l’orbe des étoiles ». L’auteur nous balade dans le New York de l’immédiat après-guerre, développant sa puissante et envoûtante connaissance de la Grosse Pomme à travers une multitude d’anecdotes architecturales, musicales, cinématographiques, littéraires, géographiques et historiques. On a coutume de dire qu’un écrivain s’est beaucoup documenté, mais ici, évacuons le terme de « documentation », trop négligeable par rapport à ce qu’a accompli Ray Celestin. Dans le même temps, c’est aussi une incroyable radioscopie de la mafia italienne, maîtresse à peine masquée de New York, du pouvoir américain et de ses arcanes, entre luttes de pouvoir, coexistence de familles disjointes et coups bas pour récupérer l’entièreté de la main sur la ville. On voit défiler de nombreux personnages authentiques dans ce livre (et pas tous liés à la mafia), comme Dean Martin, Frank Sinatra, Louis Armstrong, Charlie Parker, Stanley Kubrick ou Ronald Reagan, sans parler de certains pontes eux-mêmes de la grande criminalité. Il est très intéressant de voir comment la mafia a réussi à infiltrer les milieux du cinéma, notamment sous prétexte de lutter contre l’influence des syndicats, ainsi que le port de la ville au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Parallèlement, l’intrigue est diablement bien construite, et les six cent trente pages de cet opus particulièrement bien écrit et profond permettent de déployer une structure dédaléenne, riche et passionnante, qui feront remonter nos trois protagonistes jusqu’à un épisode du passé que certains aimeraient tant conserver secret. Beaucoup de noirceur, de suspense, d’action dans cet ouvrage éblouissant, sans oublier l’émotion : certains passages se révèlent poignants, comme les relations tumultueuses entre Michael et son fils, ou encore un détail physique de Sarah qui va déboucher sur une révélation étourdissante.

    Quelque part entre le thriller et le roman noir, Ray Celestin nous livre ici un roman d’une somptueuse complexité et d’une magnifique densité humaine. Un pur joyau d’ébène, à lire absolument.

    /5