L'Envers de la Charité

  1. Charité mal ordonnée…

    Juin 1786, à Lyon. Antoine Léonard Toussaint est un chirurgien qui a gagné ses lettres de noblesse en devenant le promoteur de la « chirurgie judiciaire », ce qui s’appellera bien plus tard la « médecine légale ». Invité à donner une série de cours au collège de chirurgie, il est rapidement invité à aider les autorités locales afin de mener à bien une enquête : le recteur Coudurier vient d’être assassiné. En charge de l’apothicairerie de la Charité, le grand hôpital de la ville, il n’apprend que plus tard qu’un premier recteur avait déjà été tué.

    Après De sucre et de sang, Pascal Grand poursuit sa série consacrée à Toussaint, son personnage emblématique. On y retrouve la plume de l’écrivain, si riche et belle qui rend un hommage appuyé aux lieux, à l’époque et aux mœurs lyonnaises de cette fin du dix-huitième siècle. On prend ainsi un immense plaisir à se balader dans Lyon, avec l’auteur en tant que guide, sans jamais que cette balade ne se montre bavarde ou stérile. Indéniablement, Pascal Grand s’est beaucoup documenté, et cela se ressent sans mal au gré des pages. C’est ainsi toute une société qui apparaît sous nos yeux avides, avec un accent particulier déposé sur les métiers d’antan – disparus depuis – ainsi que sur le vocabulaire, propre à la fois à la période ainsi qu’à la cité. Toussaint, accompagné de sa fidèle épouse Hortense, vont être confrontés à un bien étrange complot où s’entremêlent jeux de pouvoir, étranges achats de terres, et une bien mystérieuse cargaison ayant disparu du bateau Marie-Angèle, faisant naître les racines de l’intrigue un siècle auparavant, au Nouveau Monde. Il y aura du sang, des viols, des enlèvements et des chantages (mais jamais de surenchère dans les violences, nous sommes dans un roman à suspense de bonne tenue), parce que l'épicentre de tous ces crimes est à la mesure des moyens mis en œuvre. A cet égard, on ne pourra que chaleureusement remercier Pascal Grand de nous gratifier d’une telle originalité : là où l’on pouvait craindre une énième histoire, déjà lue ou déjà vue tant et tant de fois en littérature ou au cinéma, il a su imaginer un récit particulièrement atypique, jouant sur une idée particulièrement surprenante et incroyablement crédible, où s’illustre, une fois de plus, l’intelligence et le savoir de l’auteur. C’est aussi l’occasion de découvrir, sous un angle nouveau, l’Hôpital de la Charité de Lyon, peuplé de filles et femmes prostituées, et où la religiosité officielle de l’édifice ne contrarie que peu sombres attitudes, comportements dictatoriaux et péchés de chair.

    Un très bon polar historique, savant, nerveux et diablement bien mené, propre à tailler des croupières à ses concurrents américains et anglo-saxons. Une excellente découverte.

    /5