Chemin de croix

  1. Anges et démons

    Le détective privé Patrick Kelly mène une existence heurtée : il a divorcé, son adolescente de fille file un mauvais coton, et il trompe son ennui en buvant des whiskies et en jouant des classiques du blues sur ses guitares. Sa profession ne lui permet que de côtoyer des maris cocus et autres insignifiances du monde. Aussi, quand une jeune nonne vient le voir pour récupérer un crucifix qui a servi à invoquer Satan en 1742, il accepte, d’autant que la perspective d’une rétribution avantageuse n’a rien pour lui déplaire. Mais il ne sait pas qu’effectivement, il vient de s’engager sur un éprouvant chemin de croix, et qu’il va être concerné à plus d’un titre.

    Hervé Gagnon signe ici un roman qui séduit dès les premières pages. L’auteur joue pleinement sur les codes du genre : à la manière d’un de ces blues qu’il idolâtre, on en connaît les accords, les gammes, les notes presque par cœur, et cet hommage n’en est que plus délectable. Mais le reste du récit va réserver de douloureuses surprises à cet enquêteur, déjà bien meurtri, puisqu’il est responsable de la mort d’une gamine sur laquelle il a fait feu lors d’une bavure. L’enquête prend alors une tournure plus sombre, avec cadavres massacrés, écorchés, éventrés, et autres tableaux sordides. La piste sataniste est également bien faite, loin des clichés du genre, et lorsque les poncifs se présentent, Hervé Gagnon les déboulonnent dans le dernier quart de son livre. Un terrible piège s’est graduellement refermé sur Kelly et il va éprouver les stations de ce chemin de croix de façon particulièrement âpre. L’auteur aura su façonner un protagoniste à la fois désabusé, faillible et doté d’un sacré tempérament, au verbe haut et à la gouaille croustillante, et c’est dommage que ce roman soit, à ce jour, le seul à le mettre en scène.

    Un ouvrage très réussi, qui se veut classique lors de son entame, mais qui dynamite intelligemment le genre par la suite. Le final, vraiment très réussi et efficace, marquera durablement le lecteur.

    /5