La Légende de Jack

Jack

  1. Londres – Montréal ?

    Trois ans après le dernier meurtre connu de Jack l’Eventreur, Montréal est parcourue d’un terrible frisson : Martha Gallagher, une prostituée, est retrouvée morte. Son corps n’est plus qu’un charnier de violences et de barbaries. Elle est d’ailleurs la première d’une longue liste de victimes, toutes étant de malheureuses professionnelles du sexe. L’insaisissable tueur en série aurait-il traversé l’Atlantique ?

    Ce premier opus de la série consacrée à Joseph Laflamme séduit immédiatement. Grâce à une écriture simple, sans fioriture, et néanmoins fort efficace, Hervé Gagnon dépeint habilement le Montréal de la fin du dix-neuvième siècle, avec son lot de misères sociales et de quartiers malfamés, où les pauvres hères côtoient des êtres interlopes. Joseph Laflamme est un personnage intéressant : orphelin, la trentaine, usé par la précarité et les abus de gin, vivant avec sa sœur Emma, ce pigiste n’est jamais parvenu à se faire une place au journal Le Canadien. Mais cette affaire, particulièrement sanglante et glauque, pourrait bien lui permettre de devenir célèbre. Au passage, remercions l’auteur de nous avoir épargné les clichés malheureusement si récurrents en la matière : Joseph n’est pas nécessairement un intrépide combattant de la liberté de la presse, et s’il ressent à un moment que sa vie et celle de sa sœur sont en danger, il ne mettra guère de temps à accepter de quitter le devant de la scène médiatique. Les ouvrages mettant en scène Jack L’Eventreur sont déjà assez nombreux pour que l’on puisse décemment implorer les nouveaux venus d’être originaux, dans le fond ou dans la forme. Hervé Gagnon le fait ici avec beaucoup d’habileté : la voie dans laquelle il s ‘engage n’est pas totalement innovante, mais il introduit quelques éléments intéressants, offrant au passage une relecture efficace de l’histoire de cet ignoble tueur en série, tout en assumant sans le moindre complexe le caractère purement fictif de cette intrigue. En entremêlant enjeux politiques, pratiques franc-maçonnes, lutte des polices et perversions sexuelles, il parvient à tirer son épingle du jeu. Notons au passage un coup de cœur pour l’un des protagonistes de l’histoire, même s’il est secondaire : Margaret Smith, policière de Scotland Yard, borgne et à jamais stérile après avoir échappé à Jack L’Eventreur, son mari ayant été lâchement abattu par le monstre.

    Lorsque l’on ressuscite des morts, il faut savoir éviter les banalités et le manque de tact. Hervé Gagnon a réussi cette gageure, accompagnant cette résurrection par l’avènement d’un Joseph Laflamme qu’il nous tarde déjà de retrouver dans d’autres opus.

    /5