Comptine mortelle

(Magpie Murders)

  1. Alan Conway est un immense auteur britannique. Alors que son éditrice, Susan Ryeland, entame la lecture du manuscrit du neuvième tome de la série consacrée à Fidèle Staupert, quelque chose cloche. Et cela va bien au-delà du fait que le livre est inachevé.

    Voilà un roman qui détonne. Anthony Horowitz, à qui l’on doit de nombreux livres pour la jeunesse ainsi que des enquêtes inédites de Sherlock Holmes (La Maison de soie et Moriarty) et de James Bond (Déclic mortel), signe ici un véritable bijou, en plus d’être sacrément original. Les quelque deux-cent-vingt premières pages sont l’ouvrage Epitaphe pour une pie d’Alan Conway. On y découvre avec ravissement une intrigue forte et prenante, digne des meilleurs whodunits d’Agatha Christie (avec de multiples clins d’œil à certains de ses livres comme Le Crime du golf, Un Couteau sur la nuque ou Le Meurtre de Roger Ackroyd, avec une ambiance pesante, un langage agréablement suranné (cela se passe en 1955), et tous les ingrédients du genre. Fidèle Staupert compose un efficace et prenant détective, de la trempe d’Hercule Poirot, brillant dans ses déductions et présentant suffisamment de fêlures pour être mémorable (un survivant d’un camp de concentration, et guetté par un mal médical mortel). A partir de l’accident d’une vieille femme de ménage puis la décapitation d’un homme, de nombreux événements vont venir nourrir sa réflexion : une histoire de trésor, un enfant noyé, un chien égorgé, une boucle de ceinture ancienne, etc.
    Puis vient la seconde partie de Comptine mortelle, tournant cette fois-ci autour d’Alan Conway, écrivain célébré par ses pairs (dont Robert Harris, Ian Rankin ou Phyllis Dorothy James, excusez du peu !), et qui cache une personnalité bien plus torturée et complexe que celle de l’auteur commettant régulièrement des best-sellers. Suite à son suicide, Susan va vite comprendre que l’affaire est bien plus complexe que prévu. Toujours en quête des derniers chapitres d’Epitaphe pour une pie, l’éditrice va devenir à son tour une sorte de limier et faire jaillir la vérité.
    La grande force de cet opus, au-delà du pitch (deux romans dans un seul, finalement), tient à l’incroyable talent et à la « souplesse » d’Anthony Horowitz, qui s’est glissé dans la peau d’un auteur de romans à énigme à l’ancienne, et avec une efficacité prodigieuse. Et, au-delà de la simple juxtaposition de deux livres, il parvient à créer des liens entre les deux, des passerelles, presque des histoires-miroirs, avec de belles corrélations entre certains personnages ou épisodes de l’existence des protagonistes, qu’ils soient réels ou fictifs. Des intrigues complexes, remarquables, finalement assez classiques quand surviennent les résolutions, mais brillamment tissées et au maillage remarquable.

    Un ouvrage fort et déconcertant, au postulat atypique, parfaitement construit, et dans lequel Anthony Horowitz se permet même le luxe de références à de brillants prédécesseurs ainsi qu’un rôle dans son propre livre, lors de l’épilogue.

    /5