Écume

  1. Ô sombres héros de la mer

    Il y a le père. Il y a le fils. La mère n’est plus. Le père et le fils partagent la même maison, le même métier – marin-pêcheur – le même bateau de pêche, les mêmes repas. Guère plus. Il faut dire que depuis la mort de la mère, le père est complètement mutique. Le fils ne va pas beaucoup mieux. Solitaires ensemble, les deux hommes n’ont de cesse de parcourir la mer, bravant les intempéries pour gagner leur vie. Peinant malgré leur travail harassant à joindre les deux bouts, ils acceptent de faire traverser la Manche à quelques passagers dont c’est là le Graal de toute une vie.

    Paru initialement dans la collection Territori en 2017, Écume ressort ces jours-ci avec une nouvelle – et jolie – couverture à l'occasion du dixième anniversaire de La Manufacture de livres. Ce qui frappe rapidement à l’entame de ce texte, c’est l’étendue lexicale de l’auteur. Ici, les termes rares ne le sont pas. Mais il ne s’agit en aucun cas de coucher sur le papier des mots peu usités pour l’esbroufe. Patrick K. Dewdney semble plutôt être un amoureux des mots, et on l’imagine sans peine réfléchir régulièrement au choix du vocable idoine. Tout au plus un lexique aurait pu être utile, en particulier pour les termes spécifiques à la pêche hauturière – les plus curieux ouvriront un dictionnaire avec le plaisir d’apprendre quelque chose.
    Le réalisme est saisissant et l’on se croirait sur le bateau avec les personnages. L’odeur du poisson, des machines, du sang… Lorsque l’un des protagoniste se blesse, difficile de ne pas ressentir soi-même cette douleur de manière viscérale tant elle est justement décrite. On souffre donc à côtoyer ces hommes fêlés, dont les blessures profondes semblent incurables. Ils semblent vouloir se noyer dans le travail (la mer) pour oublier l’absence de l’être cher (la mère). Mais ont-ils seulement conscience d’aller mal ? Et l’auraient-ils, éprouveraient-ils l’envie de se soigner pour aller mieux ? Rien n’est moins sûr.
    L’intrigue n’est pas « policière » - pas d’enquête – mais le suspense est présent, surtout dans la seconde partie de l’ouvrage, qui n’épargne pas plus les passagers du frêle esquif que les nerfs du lecteur.

    Très beau roman noir maritime, partageant quelques points communs avec le récent Rade amère de Ronan Gouézec, Écume est à même de procurer un réel plaisir de lecture. Quand bien même les protagonistes ne sont pas à la fête. Il donne aussi envie de se plonger plus avant dans la découverte de l’œuvre de Patrick K. Dewdney.

    /5