Sombre vallée

(Das finstere Tal)

  1. La neige était sale

    Dix-neuvième siècle, dans un village isolé des Alpes, tenu sous la coupe du vieux Brenner et de ses fils. Un homme arrive. Il s'appelle Greider. Un peintre. Un inconnu. Il s’installe chez une veuve et sa fille, et souhaite passer l’hiver qui se présente à croquer les paysages locaux. Ce sont bientôt les enfants de Brenner qui meurent les uns après les autres.

    Avec cette ébauche de résumé, il n’est guère besoin d’être un grand clerc pour reconnaître les ambiances et scénarios propres à certains westerns. De L’Homme des hautes plaines à Pale Rider en passant par nombre d’autres films, notamment de Sergio Leone, tout le monde voit déjà venir les passages obligés, voire les clichés : la communauté retirée, le magnat et sa famille autocratique, le horsain venu appliquer avec ardeur une vengeance, etc. Lorsque l’on lit ce Sombre vallée de Thomas Willmann, c’est indéniable, ces poncifs se produisent. Mais avec quel régal. Ce livre est en soi un paradoxe : le fond est connu, mais c’est ici la forme qui l’emporte. Un véritable festin de mots et de maux. Une écriture remarquable pour décrire ces paysages esseulés et enneigés. Le village recroquevillé sur lui-même, ses croyances ancestrales et ses propres couardises, assumées comme un élément de son ADN. La mainmise d’une dynastie cruelle et impitoyable, ayant élevé le droit de cuissage et des grossesses forcées au rang de dogme. Il faut attendre le quatorzième chapitre de ce récit et sa soixantaine de pages pour comprendre les origines exactes de l’immense rancœur de Greider à l’encontre des Brenner, avec un magnifique et terrifiant télescopage de deux époques pour un mal commun. Des scènes d’une violence brute surgissent de ce passage, mettant en exergue la bestialité des hommes, avec notamment ce gamin capable de trouver l’idée de briser physiquement un de ses congénères à coups de fléau, un prêtre se prêter à la terrible redite de la crucifixion, et des conseils zélés de cette meute de psychopathes quant à l’emplacement exact des clous à enfoncer dans une chair humaine pour s’assurer une correcte stabilité.

    Un récit glacé et glaçant, qui joue sur les codes traditionnels du western pour mieux les faire exploser par le truchement d’une langue marmoréenne. Une histoire quasiment privée de tout dialogue, uniquement fondée sur des descriptions remarquables de ces panoramas hiémaux et de ces personnages atypiques, où serpente, au milieu de la lâcheté des uns, la fureur des survivants. Un roman dont on n’a pas fini de mesurer l’insondable noirceur.

    /5