Qu’ils crèvent !

  1. Chronique guyanaise

    José et Gabriel sont deux policiers de la BAC de Cayenne. Un jour comme les autres, ils interviennent et arrêtent un cambrioleur alors qu’il sort à peine de la maison qu’il vient de visiter. Dans le même temps, Nickson, un jeune dealer est agressé chez lui puis tué par deux colosses qui assassinent également sa mère. Le problème, c’est que cette dernière était également la tante de José. Pour le duo de limiers, cela devient donc une affaire personnelle…

    Michel Vigneron est assurément une plume à suivre de très près. De ses précédents romans, nous avions déjà beaucoup apprécié, entre autres, Le Puits de la perversion et Harpicide, extrait de la série consacrée à L’Embaumeur (cf. cet avis ainsi que celui-ci. Déjà à l’époque, son style tranchait : direct, violent, saignant. Ici, dans ce Qu’ils crèvent !, l’écrivain ne s’est pas assagi, bien au contraire. Ancien policier en Guyane, il nous dresse un portrait édifiant de ce territoire, perclus de vices, de la drogue à la prostitution (souvent de mineurs) en passant par la corruption. Les mots se déchaînent au rythme des descriptions, toutes plus sordides les unes que les autres. Un véritable festival de maux, où tous les sens humains sont brutalisés. Rarement un écrit n’est allé aussi loin dans l’éclairage des altérations humaines, d’autant que les projecteurs sont eux-mêmes de véritables phares de ténèbres. A un tel stade, on ne trouve guère que des auteurs comme Nada pour être aussi brutaux dans le réalisme. D’ailleurs, ce sera probablement l’un des seuls éléments que certains pourront reprocher à Michel Vigneron, car ce court ouvrage est une véritable réussite. C’est mordant à souhait, autant vénéneux que venimeux, peuplé de personnages interlopes brossés sous leurs pires profils, en une contrée qui semble complètement échapper à la moralité et à la loi. José et Gabriel sont eux-mêmes représentatifs de cet univers anomique : ce ne sont pas des justiciers zélés et vertueux, mais des fonceurs, n’hésitant pas à bafouer toutes les légalités, torturer un prévenu, voire menacer de viol la compagne d’un bonnet de la drogue. Et les ultimes pages, feu d’artifice inattendu, mettent en scène un piège remarquable tendu à l’un des policiers et se refermant tout autant sur le duo que sur le lecteur. Un leurre à l’image du roman tout entier : simple, barbare, mais diablement efficace.

    On l’aura compris, cet opus n’est pas à mettre entre toutes les mains, tant il est dérangeant. D’aucuns le trouveront malsains, d’autres stérilement âpre. Soit. Mais ce livre que Lucienne Cluytens qualifie avec malice sur la quatrième de couverture d’écœurant est indéniablement marquant. Il existe une formule qui a fini par perdre de sa valeur à force d’être employée, comme une lame émoussée, et qui veut qu’on déteste un ouvrage ou qu’on l’encense, sans sentiment médian. A la lecture de cette dernière production de Michel Vigneron, on en vient à se demander si cet adage n’a pas été imaginé pour elle. En attendant, nous, on adore. Parce que ça schlingue. Parce que ça saigne. Parce que ça grogne. Parce que, finalement, c’est de la littérature dans ce qu’elle a de plus noir. Et nous, on en redemande.

    /5