Enragés

  1. Le jour d’après

    Les jours se suivent et ne se ressemblent pas pour autant. Deux individus lambda, comme Louis et Lucas, vont connaître des événements inattendus. Cela peut commencer de manière étrange, comme un bras retrouvé déchiqueté près d’un accident de voiture, un SDF qui essaie de mordre, une altercation dans une boîte de nuit où quelqu’un semble devenir fou… Ces signes sont peut-être annonciateurs d’une catastrophe terrifiante.

    Pour son premier ouvrage paru chez Fleur sauvage, Pierre Gaulon frappe fort. Reprenant la trame classique des zombies, il nous convie à une lente descente aux enfers. La grande force de l’écrivain, c’est cette facilité avec laquelle il fait lentement naître l’angoisse, instiller dans l’esprit du lecteur la prémonition d’une apocalypse par petites touches successives, version toute littéraire du pointillisme. Car l’un des pièges de ce type de roman, c’est la surabondance d’effets ainsi que leur soudaineté ; ici, tout arrive posément, au compte-gouttes, au point que l’on en vient à croire à cette propagation du mal à l’échelon mondial. La peur, mais aussi le dégoût, parfois la colère, se mêlent alors chez le lecteur, et de longs jours passent aux côtés de nos deux personnages. À cet égard également, rendons hommage à Pierre Gaulon qui nous a évité le cliché des superhéros, indestructibles, et briseurs de zombies à la chaîne. Louis, accompagné de son chien Bingo, est un type on ne peut guère plus ordinaire, tandis que Lucas n’a pour lui que d’être un excellent tireur de compétitions sportives, donc ni un Brad Pitt aux neurones et synapses surnuméraires ni un massacreur à la chaîne de choses. Cependant, l’auteur sait nous narrer ce qu’est un zombie, ou du moins tel que nous le concevons dans notre culture nourrie de films et de romans effrayants. Des silhouettes vociférantes, au déplacement lent et chaotique, et nourri de chair humaine fraîche. Certaines scènes retiendront longtemps l’attention, comme l’agression de Lucas dans sa voiture, ou la manière dont Louis réagit face à la créature enchaînée chez le docteur.

    Sans tapage ni effet facile, Pierre Gaulon joue habilement sa partition sur le thème des zombies. Il le fait avec sobriété, sans jamais réinventer le genre ou le dynamiter (mais il y a fort à parier que l’écrivain n’avait que faire de ces objectifs un peu vains et stériles), et offre de jolies pages finales, tantôt heureuses, tantôt sujettes à plusieurs explicitations contradictoires comme pour Louis. Et c’est cet ensemble de qualités narratives et d’humilité qui servent ce récit mordant et anxiogène.

    /5