Des Savons pour la vie

(The Mulching of America)

  1. Hickum Looney mène une vie étrange. Représentant en savons, cela fait un quart de siècle qu’il travaille pour la boîte « Des savons pour la vie ». Il a beau, chaque année, tenter de remporter le titre de meilleur vendeur, toujours détenu par « Le Chef » avec neuf carnets à souche, c’est à chaque fois un échec. Mais le hasard veut qu’il fasse la rencontre d’Ida Mae, une personne abracadabrantesque qui va permettre à Hickum de vendre ses marchandises à d’autres personnes, jusqu’à écouler douze carnets de savons. Mais, contrairement à ce qu’il avait prévu, ces placements exceptionnels vont le mener tout droit à sa propre perte.

    On ne présente plus Harry Crews. Auteur excentrique d’ouvrages cocasses, celui-ci ne déroge pas à la règle. Les personnages que l’on y découvre sont à cet égard patents, déjantés, martyrisés par leur physique contrefait ou leur passé traumatisant. « Le Chef » de l’entreprise, nabot vibrionnant handicapé par un bec-de-lièvre, auteur du « Manuel de vente » contenant des trésors de méthodes pour persuader les acheteurs, qui se révèle être à la fois un histrion remarquable en plus d’un véritable Sun-Tzu du commerce. Hickum Looney, loser sympathique et maladroit comme ça n’est guère permis avec les femmes, dont la performance marchande va être à l’origine de sa déchéance. Gaye Nell, magnifique femme à la poitrine non moins magnifique, affublée d’un pitbull, Bubba, affamé en permanence. Ce serait d’ailleurs gâcher le plaisir du lecteur que de dévoiler les diverses péripéties de ces protagonistes, les interactions entre eux, et la cascade d’événements grotesques et insensés qui va leur tomber sur le coin de la figure. L’écrivain maîtrise l’art de la narration et de l’humour, tant dans les situations que les dialogues. L’aspect policier n’est cependant guère marqué, contrairement à des pépites comme La Foire aux serpents ou Le Chanteur de gospel. Mais par la suite, le récit s’effiloche. L’auteur aura tissé sa trame de façon très drue et acide dans la première moitié du livre, les chapitres ultérieurs sont assez décevants. Harry Crews continue de mener ses protagonistes comme de délicieuses marionnettes dans un spectacle extravagant, mais le souffle s’atténue, les rebondissements s’épuisent, et certains passages ne sont guère passionnants. Reste la surprise finale, aimable twist inattendu, où les apparences se seront montrées fort trompeuses, à l’image de ce feu de cheminée si symbolique qui « était en fait un faux, seulement de la lumière colorée ».

    Un joli feu d’artifice burlesque, satire de la société de consommation comme de l’univers mercantile, mais qui se consume trop rapidement et auquel il manque un bouquet final digne de ce nom.

    /5