Interview de Sebastian Fitzek (18/03/2012)
Interview réalisée le 18 mars 2012 dans le cadre du Salon du livre de Paris, où Sebastian Fitzek dédicaçait son nouveau thriller, Le Briseur d'âmes.
Polars Pourpres : Bonjour Sebastian Fitzek. Avant tout, pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez commencé à écrire ce type d'histoire ?
Sebastian Fitzek : Je voulais juste écrire des romans que je voudrais lire moi-même, et je suis passionné par les thrillers. Pas seulement les « psycho-thrillers », mais les thrillers en général.
PP : Avez-vous un but précis en les écrivant ?
SF : J’ai toujours l’idée d’une fin avant de commencer, parce que je pense qu’écrire un thriller, c’est comme raconter une blague. Il faut connaître la chute avant de commencer à la raconter sinon ça ne sera jamais drôle à la fin. Mais je n’ai que le début et la fin : le reste est à l’initiative des personnages, et ce sont eux qui changent l’histoire comme ils le souhaitent, pas moi.
PP : Les auteurs de « psycho-thrillers » sont forcément un peu fous pour inventer ces histoires, non ?
SF : C’est une question qui revient souvent. En fait, je pense que les lecteurs sont encore plus fous que moi car ils me paient pour que je leur fasse peur ! Donc, je crois que, soit on est tous fous, soit personne ne l’est. Je préfère me dire qu’on est tous sains d’esprit.
PP : Vous êtes venu déguisé aujourd'hui pour votre dédicace (avec une camisole de force et un masque d'Hannibal, cf. photo ci-dessus, NDLR). Pour quelle raison ?
SF : Je cherche à divertir les lecteurs avec mes livres. Lors des rencontres et des dédicaces, je trouve très ennuyeux de rester assis à parler et signer des livres, alors j’essaie de divertir le public et de rendre l’histoire plus réaliste. Je trouve ça amusant.
PP : Comment-vous est venue l'idée principale du Briseur d'âmes ? (Un homme laisse ses victimes physiquement saines mais totalement apathiques, mentalement détruites, NDLR).
SF : J’avais l’impression que c’était plus horrible d’être enfermé dans son propre corps que d’être tué. L’idée du livre m’est venue quand j’ai rendu visite à mon frère dans un hôpital psychiatrique. N’ayez pas peur, c’est un médecin, il va bien (rires). Un jour, alors que je lui rendais visite, il y a eu une urgence... Je pense que toutes les bonnes histoires commencent par un « Et si… ». Je me suis dit : « et si ce n’était pas une urgence, mais un tueur ? Que ferait-il alors dans cette clinique ? » L’histoire s’est construite pas à pas à partir de là.
PP : Dans Le Briseur d'âmes, on trouve des devinettes. Comment les avez-vous travaillées ? Vous vouliez que le lecteur puisse chercher les réponses lui-même tout en lisant ?
SF : Mes « psycho-thrillers » parlent de problèmes dont on ne peut déterminer s’ils sont réels ou fictifs. Je voulais donc que le lecteur soit davantage impliqué. Habituellement, on ne fait que lire, simplement. Au mieux, ça crée des sensations. Mais là, je voulais que le lecteur se retrouve vraiment dans la même position que le personnage principal. Chaque
lecteur qui lit ce livre participe donc à une expérience psychologique, comme certains personnages dans le roman.
Chaque bonne histoire doit devenir vivante, et je voulais aller un peu plus loin encore cette fois-ci. C’est peut-être la différence principale par rapport à mes autres livres : le fait que le lecteur soit personnellement impliqué dans l’histoire.
PP : Êtes-vous un lecteur de polar vous aussi ?
SF : Oui, je suis un grand fan de thrillers. J’ai lu tout Harlan Coben. J’ai grandi en lisant Stephen King, je suis un enfant des années 80. Stephen King, Crichton, Grisham : c’était les best-sellers de l’époque. Mais je lis également Grangé parmi les auteurs français, et des écrivains allemands ou scandinaves aussi. Je lis de tout.
PP : Seulement du thriller ?
SF : Principalement du thriller oui. Mais bien sûr, je lis également des auteurs contemporains comme Philip Roth par exemple. Tom Wolfe m’a inspiré, et Shakespeare aussi, pour certaines situations dramatiques. Des tonnes d’auteurs m'ont influencé, mais pas forcément un en particulier.
PP : Vous n'êtes pas le premier auteur de polar à mentionner Shakespeare. Cela peut paraître étonnant...
SF : Dans Roméo et Juliette par exemple, il y a une fin dramatique, et un conflit insoluble aussi. On retrouve ce principe d’histoire dans de nombreux thrillers, ou même dans Twilight. Deux personnes veulent se rapprocher, mais quelque chose les en empêche.
PP : En France, nous connaissons très peu d'auteurs de polar allemand. Lesquels nous conseilleriez-vous ?
SF : Il y a par exemple Frank Schätzing avec Abysses, un grand best-seller en Allemagne, et même dans le monde entier. J’aime aussi beaucoup Andreas Eschbach (un auteur de SF allemand : Jésus Vidéo, Des Milliards de tapis de cheveux, En panne sèche, NDLR), qui écrit des intrigues très intéressantes. Et aussi Patrick Süskind (Le Parfum), il y a plus longtemps. Ou encore Ferdinand von Schirach (dont le recueil de nouvelles Crimes est paru en France, NDLR), très célèbre en Allemagne.
PP : Trouver les idées de vos livres, c'est difficile ou ça vous vient naturellement, sans effort ?
SF : Ce n’est pas très difficile, mais le plus difficile, c'est de transformer les questions en histoires et de trouver des bonnes fins. J’ai plusieurs questions de type « Et si… », mais je n’ai pas forcément les fins correspondantes, donc je ne peux pas commencer à écrire. La fin surprenante, c’est toujours ça le plus difficile à trouver.
PP : Après avoir terminé un livre, avez-vous déjà eu peur de ne pas trouver d'idée pour le suivant ?
SF : Non. J’ai plusieurs histoires en réserve, et je ne pense jamais aux lecteurs en écrivant. Les écrivains tombent parfois dans un piège en se disant : « J’ai écrit telle chose, donc mes lecteurs attendent telle autre ». Le lecteurs ont alors l’impression que c’est téléphoné. Disons que j’essaie toujours d’écrire l’histoire que je voudrais lire, et je suis content de ne pas être le seul lecteur au final.
PP : Lorsque vous écrivez, avez-vous des choses à dire à vos lecteurs ou voulez-vous seulement leur faire passer un bon moment ?
SF : Les divertir, c’est mon objectif principal. Les auteurs de thrillers sont là pour divertir le public. Moi quand je lis des romans, je veux me divertir. Sinon, je lirais des essais. Mais parfois, c'est vrai, il y a des sujets que je choisis, principalement quand je veux me libérer de quelque chose. C’est une sorte de thérapie. C'est le cas par exemple de la pédophilie dans Tu ne te souviendras pas. Il s'agit d'un gros problème en Allemagne, dont personne ne parle vraiment. Je ne me dis pas, dès le départ, que je vais parler de tel ou tel sujet, mais pendant l’écriture, l’histoire me permet parfois d’introduire un sujet qui me tient à cœur.
PP : Dans Ne les crois pas, la prise d'otage se déroule dans une station de radio berlinoise (Sebastian Fitzek travaille pour la radio à Berlin, NDLR). Quelle part de vous y a-t-il dans les personnages de vos romans ? Vous êtes l'un des personnages ?
SF : Je dirais plutôt que je suis un peu tous les personnages à la fois. J’essaie de ne pas m’inspirer de personnes réelles pour ne pas être attaqué ensuite. Mais à chaque fois que j’écris, des amis me disent avoir reconnu un tel ou un tel. Ça doit être mon subconscient.
PP : Vous n'êtes donc pas pyromane ? (Rires) (Dans Ne les crois pas, l'un des journalistes de la station est un peu dingo et aime faire du feu dans son bureau.)
SF : (Rires) Non non, mais il y a un peu de moi dans tous les personnages, les bons comme les mauvais. Plus dans les bons, j’espère.
PP : Beaucoup de gens écoutent de la musique en lisant. Que leur conseilleriez-vous pour accompagner la lecture de vos romans ?
SF : J’ai parlé un jour à un auteur de thrillers allemand qui m’a dit qu’il écoutait toujours des bandes originales de thrillers ou d’autres films en écrivant. J’ai essayé, mais il y avait tellement d’images qui me venaient que je ne pouvais pas écrire une seule phrase. Je ne peux pas écouter de la musique en écrivant. Mais il faudrait peut-être que j’essaie d’écouter des BO en lisant...
PP : Quel est votre rythme d'écriture ? Vous écrivez à des moments particuliers ? Tel jour ? À telle heure ?
SF : Ça dépend. Il faut être d’une certaine humeur pour écrire. C’est pour ça que je me réserve une période. Quand j’ai seulement 2, 3 ou 4 heures de disponibles dans la journée parce que j’ai d’autres rendez-vous par exemple, je ne mets pas à écrire. J’ai besoin de toute la journée. Je ne sais pas vraiment quand je vais commencer. J’essaie de commencer le plus tôt possible, mais c’est important de trouver l’inspiration, et même plus : la motivation. Quand je lis un bon livre, je me dis que je voudrais écrire quelque chose d’aussi bon : ça me motive, et je commence à écrire. Parfois, ça arrive en lisant un livre, en écoutant de la musique... Ça peut être à 7 heures du matin comme après minuit. Je ne sais jamais quand exactement, donc j’ai besoin de bloquer une journée entière. Quand je dois travailler sur le premier jet, dans les 3 premiers mois, je ne peux rien faire d’autre à côté. 3 mois, ça peut paraître court, mais avant d’écrire la première page, j’y pense pendant des mois et des mois. J'ai la structure dans ma tête, et à ce moment-là, seulement, je commence.
PP : Si ce n'est pas indiscret, travaillez-vous toujours comme journaliste radio ?
SF : Oui, je travaille toujours pour la radio, ça fait 17 ans maintenant, mais en free-lance désormais. J’interviens comme consultant. J’y vais surtout pour continuer à entretenir des relations de travail avec mes collègues.
Mon conseil pour tous les auteurs, ce serait de garder un pied dans la réalité. Même si on a beaucoup de succès, les histoires, les personnages, les situations crédibles, on ne les rencontre pas chez soi à son bureau, mais dans la vraie vie. Pour de nombreux auteurs, on peut sentir qu’ils avaient beaucoup d’histoires à raconter à l’époque où ils travaillaient et n’étaient pas heureux avec leur boulot. Une fois qu’ils ont arrêté, ils ont commencé à se répéter, à recycler les histoires qu’ils avaient vécues avant de devenir auteur à plein temps. Ce n’est pas une bonne idée d’arrêter complètement de travailler : il faut continuer, pour rester en contact avec le réel.
Bien sûr, de nombreuses personnes sont heureuses d’arrêter le boulot qu’ils n’aimaient pas. Prenez Grisham, par exemple : on ressent vraiment dès les premières pages qu’il n’aime pas son boulot d’avocat. Et Stephen King, on ressent de suite qu’il a vécu dans la pauvreté, qu’il en a bavé. Et d'ailleurs, pas mal de ses histoires mettent en scène des personnages qui se battent pour s’en sortir.
Il n’y a pas longtemps encore, j’ai été amené dans le cadre de mon job pour la radio à me pencher sur un sujet qui ne m’intéressait pas du tout de prime abord. Et bien ça m’a permis de me poser des questions et de trouver une idée pour une nouvelle que je n’aurais jamais eue sinon. Pour moi, toutes les histoires commencent par un « Et si… ».
Polars Pourpres / Hannibal le lecteur - 2012