Interview de Maud Mayeras (11/12/2006)
Avec son premier roman, Hématome, Maud Mayeras a signé l'un des meilleurs romans policiers de l'année 2006, rien que ça. A Polars Pourpres, on a tellement aimé qu'on a eu envie d'en savoir un peu plus sur la jeune auteur. Et Maud a accepté de répondre à ces questions avec beaucoup de spontanéité.
Nico - Pour commencer, Maud, peux-tu s'il te plaît nous raconter comment a germé dans ton esprit l'idée d'Hématome. Je sais que tu lis beaucoup, tu écris des nouvelles depuis ton enfance. Quel a donc été le déclic pour ce premier roman ?
Maud Mayeras - J'ai eu un premier choc à l'âge de onze ans, j'ai entamé la lecture du célèbre Ça de Stephen King, et j'ai dévoré l'intégralité des trois tomes en très peu de temps. J'ai rapidement découvert que l'écriture pouvait d'avantage effrayer que les images. Je me suis vraiment régalée... D'où l'envie de faire peur à mon tour. Il me semble que Marilyn Manson avait une bonne phrase sur le sujet du style : "Je n'ai jamais trouvé de monstre sous mon lit. Alors j'ai décidé de le devenir..."
L'idée des nouvelles a émergé presque un an plus tard. Les lectures, les genres et les références se sont multipliés. Le cinéma aidant également. J'ai donc ébauché l'esquisse d'un premier roman vers l'âge de 14 ans. Une histoire de petite fille et de son démon docile et manipulateur (hin, hin, hin...) Je me suis vite rendue compte que cela restait très scolaire, et vraiment pauvre dans l'organisation des idées. Abandon de l'idée le temps de grandir un peu et de m'affirmer un peu plus. Et j'ai décidé de retenter l'expérience !
N. - As-tu rencontré des difficultés particulières lors de l'écriture ? Combien de temps as-tu mis pour terminer Hématome ?
M. M. - Les premières pages d'Hématome datent de 2001/2002. A l'époque, l'histoire n'était pas du tout la même : il s'agissait plutôt d'un trip plus ou moins fantastico-gore, Karter et Emma étaient bien les personnages principaux mais leur rôle était bien différent, et l'histoire était dénuée de tout intérêt ! Une espèce d'hommage ingrat aux films d'horreurs et séries Z que je zieutais plus jeune. Le roman est resté en jachère pendant près d'un an, et le projet final a germé doucement, les éléments se sont mis en place petit à petit pour parvenir après quelques changements de titre au "produit fini".
Après, mon ego et les compliments de ma mère m'ont poussée à tenter ma chance chez diverses maisons d'édition. Après quelques refus brutaux, on se cramponne aux belles phrases de sa maman et on espère encore. J'ai enfin reçu la lettre du directeur éditorial de Calmann-lévy qui paraissait intéressé. On se sent rassuré et remotivé, et on se remet à travailler ! J'ai du retravailler sur quelques illogismes et détails qui nuisaient au bon sens et au rythme de l'histoire sans qu'on ne m'impose jamais rien, j'avoue que j'aurais mal supporté qu'on touche à mon projet... Après un an de relecture acharnée, le bébé nous a semblé prêt pour l'envol.
N. - Hématome est paru il y a un peu plus de 6 mois maintenant. Les critiques sont excellentes, et le roman a été sélectionné pour le prix SNCF du polar français. Quand on écrit un roman, peut-on rêver d'un tel accueil du public ? J'imagine que c'est particulièrement motivant pour un auteur ?
M. M. - L'accueil reste ma plus grande surprise. J'étais sur le salon du livre de Limoges deux jours après la sortie officielle d'Hématome, une trouille d'enfer et un stylo dans la main. J'ai été contrainte de quitter le salon avant la fin car les exemplaires se sont vendus très rapidement. Je me suis dit, très bien, ils l'achètent par curiosité, c'est normal, je suis originaire de cette ville, ils se renseignent. Je me suis méfiée des retombées qui allaient suivre. J'ai laissé ma curiosité divaguer sur le net, sait-on jamais. On parlait du roman! Et que de compliments sur les forums, les articles... J'ai ensuite appris ma sélection en finale du prix SNCF face à Franck Thilliez... Quel honneur...!
Et me voilà sur Polars Pourpres face à Thilliez (décidément !), Serfaty et King mon mentor... Un petit rire nerveux et tout va mieux...
Les réactions des gens sont formidables, on me réclame un autre opus, et je reconnais que tout ceci est particulièrement motivant. C'est un rêve de gamine qui se réalise avec tout le bonheur que peut impliquer sa lenteur à grandir...
N. - Justement, comment appréhende-t-on l'écriture d'un second roman après cet accueil ? As-tu déjà commencé à plancher dessus ?
M. M. - Erf, erf, le second roman... Je planche dessus depuis presque neuf mois, le temps qu'il m'a fallu pour faire les recherches nécessaires et établir une trame assez précise pour démarrer. Les premières pages sont prêtes. Nous recroiserons peut-être Emma, mais si c'est le cas, elle ne sera qu'un personnage secondaire... Mais motus...
N. - Le glauque du roman noir, le rythme et les rebondissements du thriller, la tension du roman à suspense : Hématome est à la rencontre de différents genres du roman policier. C'était quelque chose que tu recherchais, ou un style qui t'es venu naturellement ?
M. M. - Hématome est le fruit de toutes mes influences propres, qu'elles soient issues de la littérature noire ou d'horreur (qui se fait de plus en plus rare à l'heure actuelle), du cinéma et même du milieu musical. Chaque scène correspond à une ambiance musicale ou à un titre en particulier. Quelques clins d'oeil au cinéma de genre également...
A noter que chaque évocation d'un documentaire télévisuel correspond à ce que je regardais réellement au moment X.
Même s'il ne s'agit pas là d'un roman autobiographique, chaque étape me colle naturellement à la peau. Je porte le tatouage d'Emma depuis cinq ans, je ne peux donc nier certaines similitudes !
N. - Puisque tu parles d'Emma, un des points forts du roman selon moi est la rapidité avec laquelle on s'attache à ton héroïne, la facilité avec laquelle on en vient à partager ses peurs et ses doutes. C'est aussi lié à ton style d'écriture, qui donne l'impression qu'Emma parle autant à elle-même qu'au lecteur. C'est un point que tu avais travaillé depuis les premières versions d'Hématome ?
M. M. - Je tenais à ce que le lecteur s'attache autant à Emma que je l'ai fait durant les prémices d'Hématome, d'où l'utilisation de la première personne tout au long du récit. L'amnésie est un point de départ, nous nous éveillons avec elle sur une vie qui se veut nouvelle. Tout effacer pour tout recommencer. Mais mon esprit tordu ne pouvait pas la laisser tranquille...
Emma découvre son univers au fur et à mesure que l'histoire avance, elle découvre son rapport difficile avec son propre corps et celui de l'homme avec qui elle vit. Je voulais que le lecteur ait les mêmes bases que l'héroïne pour démarrer: qu'il se retrouve confronté aux mêmes peurs, aux mêmes doutes.
Emma emploie des phrases courtes, d'une grande simplicité. Je voulais à tout prix conserver sa spontanéité. Je souhaitais que l'on plonge avec elle en enfer, lentement mais sûrement.
N. - Un autre personnage important du roman, qui contribue à créer l'atmosphère pesante d'Hématome, est la ville elle-même. Une ville sous la neige, sans nom, sans nationalité. Comment t'es venue l'idée de ne pas situer avec précision ton intrigue géographiquement ?
M. M. - Je crois n'avoir jamais donné de repère géographique ni temporel à aucune de mes histoires. J'aime pouvoir m'investir à fond dans l'univers que j'imagine. Je veux que le lecteur se crée son propre endroit à lui, avec ses propres points de repères. Quelques emprunts de ci-de là, c'est vrai, et le mélange pour la ville sans nom est prêt. Pourquoi pas lui en trouver un jour d'ailleurs, si toi ou les membres du forum ont une idée, je serai curieuse de la connaître. On m'a parlé de L'Europe du Nord, des UK et des USA. Oui, nous sommes à Paris, à Limoges, à Londres et à N-Y... Tout cela en même temps.
J'aimerais réellement créer ma propre ville tout au long des romans à venir, avec ses rues et ses monuments propres. Hématome semble être le point de départ... Mais, promis, contrairement à Tolkien, je n'inventerai pas une nouvelle langue!
N. - Tu nous as déjà parlé de Stephen King ; quelles sont tes autres références en matière de thriller ou de polars ?
M. M. - King et Clive Barker ont été mes révélations il y a quinze ans (quinze ans... déjà...). Sont ensuite arrivés Graham Masterton et sa capacité à transformer les contes et histoires déjà existantes en fables abjectes (Le miroir de Satan, malgré son titre ridicule, est un intéressant parallèle à l'histoire d'Alice au pays des merveilles). Maxime Chattam me surprend à chacun de ses opus. Maud Tabachnik et son cinquième jour (dont l'histoire est basée sur Albert Fish, tueur et mangeur d'enfant dans les années 30'). Rafael derniers jours de Gregory McDonald : une ENORME claque. Franck Thilliez et sa Foret des ombres, sorte de Shining moderne. Je pensais ne plus être effrayée par un livre. C'est chose faite.
J'ajouterai à cela deux ouvrages, qui ne sont pas des polars mais que je tenais à noter: Serial Killers de MOSSIEUR Stéphane Bourgouin, ma bible. Et Macchabées de Mary Roach, sur l'évolution de la mort à travers les siècles. Cela peut paraître légèrement morbide, mais ça vaut vraiment la peine d'y jeter un coup d'oeil!
N. - Pour terminer, peux-tu nous dire en quelques mots ce qui te plaît dans le polar, de manière générale ? L'atmosphère, la tension, la capacité à surprendre le lecteur et à l'orienter sur des mauvaises pistes ?
M. M. - Avec le temps, je réalise que je ne suis pas forcément intéressée à 100% par la forme originelle du polar à savoir l'enquête policière en elle-même.
J'aime les univers rouillés et dégoulinants. J'aime trouver la complexité sous un tas de choses trop simples. J'aime l'auteur sadique qui prend plaisir à faire grimacer ses lecteurs. J'aime tomber de haut. J'aime avoir peur. J'aime avoir la solution sous mon propre nez sans jamais la deviner. J'aime courir sur de fausses pistes et me rendre compte que le tueur se trouvait là, juste derrière moi. J'aime rester tendue pendant trois cents pages, poser le livre écorné, ne pas pouvoir fermer les yeux, et me dire, épuisée : "ça existe encore..."
N. - Un grand merci, Maud, pour cette interview. On attend ton prochain roman avec impatience !
Polars Pourpres, 2006