Interview de Jens Lapidus (22/03/2011)
Sur Paris à l'occasion du Salon du Livre et de la sortie en salles du film Easy Money, adaptation de son polar L'Argent Facile, Jens Lapidus revient sur ses débuts en tant qu'écrivain, sa conception du polar et l'adaptation cinématographique de son roman.
Polars Pourpres : Bonjour Jens Lapidus. Vous êtes avocat en Suède, et vous avez écrit à ce jour deux polars qui se déroulent dans les milieux criminels de Stockholm. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez commencé à écrire ?
Jens Lapidus : Je travaille comme avocat de la défense en droit criminel et j’ai toujours été intéressé, je pense, par la langue et les textes. Et c’est pour cela que j’ai choisi une école de droit : le pouvoir des mots, c’est l’arme de l’avocat.
Je n’avais jamais tenté, avant d’écrire mon premier roman, de me lancer dans l’écriture de nouvelles ou de livres, mais j’ai toujours été intéressé par les textes. Je pense que j’ai toujours eu une bonne oreille pour les langues. J’écoute, j’aime entendre de nouveaux mots, de nouvelles phrases, j’aime créer de nouvelles façons de dire quelque chose.
Je me suis donc lancé dans l’écriture, parce que je pensais avoir une vision nouvelle, par l’intermédiaire de mon travail et de mon expérience, sur le milieu criminel. Et je ressentais ce besoin d’écrire sur ces thématiques. Je me disais : « Je n’ai jamais lu cela, j’aimerais lire cela, je vais donc l’écrire moi-même ».
Dans votre polar L'Argent facile, vous présentez trois personnages ambigus, ni tout blancs, ni tout noirs. Et vous les décrivez sans le moindre jugement. Etait-ce votre volonté dès le départ ?
C’était à la fois conscient, et inconscient de ma part.
J’ai choisi de ne pas les juger en commençant à écrire, car c’était très important pour moi de mettre en retrait ma propre moralité et mon jugement. Je voulais laisser ces personnages jouer leur rôle par eux-mêmes.
Pourquoi était-ce si important ? Tout simplement parce que je crois que cela serait ridicule et idiot, d’un point de vue littéraire, de pointer du doigt et de montrer au lecteur ce qui est bon, ce qui est mal. Je ne voulais pas faire cela, je voulais être très clair, très transparent sur ce qui se passait dans le livre. A ce niveau, c’était donc tout à fait conscient.
Mais il y a également je pense une part d’inconscient : quand j’ai terminé ce livre, c’est là que j’ai réalisé quel en était le véritable message : personne, pas même le pire criminel, n’est ni tout blanc, ni tout noir. Tout le monde a plusieurs facettes.
Est-ce une difficulté supplémentaire pour un avocat, de se mettre ainsi en retrait et de ne pas juger les actes de ses personnages ?
C’est difficile en effet. Il faut réussir à séparer dans sa tête la vision professionnelle et la vision personnelle. Et très souvent, quand je défends des personnes, je suis révolté en pensant à ce qu’ils ont fait. Mais ensuite, en tant qu’avocat, c’est notre devoir de s’entraîner à ne pas laisser sa vision personnelle prendre le dessus dans une salle d’audience. Parce que même un criminel a le droit de se défendre dans une société basée sur la justice.
Une autre chose particulièrement marquante dans votre roman : ce souci de réalisme, qu’il s’agisse des personnages, des lieux, des situations. Vous allez même jusqu’à insérer dans votre texte des articles de journaux, des rapports de police…
Oui, mon but était d’essayer de me rapprocher le plus possible de cette impression de réalisme. Le lecteur devait croire que l’histoire pouvait réellement se passer. C’est de la fiction, mais tous ces détails, toutes ces informations sur le trafic de drogues, la façon dont ils s’habillent, dont ils parlent, sont authentiques. J’ai utilisé mon expérience d’avocat en droit criminel pour cela. C’était également important pour moi, quand ils ont fait le film, qu’ils conservent cette authenticité. J’ai beaucoup travaillé là-dessus, j’ai collecté de nombreuses informations en me basant sur les criminels que j’ai croisés dans mon travail.
C’était un travail important, mais j’avais la chance de pouvoir faire toutes ces recherches grâce à mon métier, et d’avoir accès à certains mondes auxquels vous n’auriez normalement pas accès. Je me rends dans des prisons, des commissariats, je vois des armes… Je ne pense pas qu’il m’aurait été possible d’écrire ce livre sans ce travail de recherches.
Parlons un peu du film Easy Money, adaptation de votre premier roman, et qui sort sur les écrans le 30 mars (voir la bande-annonce du film) : avez-vous participé au scénario ?
Je n’ai pas écrit le scénario, mais les producteurs m’ont consulté. Je leur ai dit que je leur faisais confiance, que je n’avais pas matériellement le temps d’écrire le scénario, et je ne savais d’ailleurs pas comment en écrire un.
Mais ils m’ont envoyé des versions intermédiaires du script, on a fait de nombreuses réunions ensemble, j’ai rencontré le réalisateur, le scénariste. J’ai donc été, d’une certaine manière, impliqué dans l’écriture.
Et quelles ont été vos premières impressions en découvrant le film ?
J’avais peur qu’ils en fassent quelque chose de ridicule. Comme j’avais lu le script, je savais ce qu’ils comptaient faire, mais le scénario et le rendu final à l’écran, ça peut être deux choses totalement différentes.
La première version que j’ai vue, c’était une version de 3 heures, et j’étais enchanté de voir mes personnages à l’écran. C’est une impression très étrange. Et je pense que les personnages sont très bons, et bien interprétés. Il y a bien sûr des différences par rapport au roman mais dans l’ensemble ils sont parvenus à conserver l’atmosphère du livre et c’était ce qui était important pour moi : cette impression d’authenticité, les rues et la pègre de Stockholm…
C’est pour moi un très bon film.
Personnellement, j’ai regretté que l’intrigue autour du personnage de Camilla ne se retrouve pas dans le film.
Effectivement, et s’il y a une chose pour laquelle le public a pu être déçu en Suède, c’est ça. Même s’ils ont aimé le film, ils auraient aimé y retrouver cette histoire. Mais je crois savoir qu’ils s’en serviront peut-être dans le deuxième film.
Il y a en effet deux suites à votre premier roman L'Argent facile. Mafia blanche est paru en 2009 chez Plon, et le troisième tome paraîtra en juin 2011 en Suède…
Oui, on y retrouve le même univers, le même Stockholm. Dans le deuxième, le lecteur suit trois nouveaux personnages principaux, et dans le troisième certains personnages du premier reviendront. Ce troisième livre rassemblera donc toutes les histoires des personnages dans une seule intrigue.
Le Salon du Livre met cette année en avant les polars nordiques. Comment vous situez-vous par rapport à la littérature scandinave et auriez-vous des conseils de polars à nous donner ?
Je pense que mes livres s’éloignent un peu de la façon traditionnelle d’écrire des polars en Scandinavie. Je me vois plus dans la tradition d’écrivains américains, comme Denis Lehane ou James Ellroy. Ce sont eux mes véritable sources d’inspiration.
Et il y a aussi, d’une certaine façon, dans mes livres, cette part de critique sociale sur laquelle reposent de nombreux polars scandinaves : montrer que la société n’est pas parfaite et ce que l’on pourrait améliorer.
Le polar traditionnel en Scandinavie se base souvent sur un meurtre et un détective qui mène l’enquête. En ce qui me concerne, mon point de vue, c’est plutôt les criminels.
Polars Pourpres - 2011