Suréquipée

  1. Ghost in the shell

    Année 2110. Antoine, propriétaire d’une BlackJag, un modèle de voiture absolument inédit, a disparu. Fransen, maître d’œuvre de ce projet automobile, ainsi qu’un huissier vont utiliser un logiciel, Jane, pour remonter le cours du temps, écouter les enregistrements de cette automobile et comprendre ce qu’il est advenu de l’homme. Quitte à basculer définitivement dans la folie en découvrant la vérité.

    Avec ce roman qui ne ressemble à aucun autre, Grégoire Courtois frappe fort. Très fort. En environ cent-cinquante pages, tout est dit. Un style sec, nerveux, sans la moindre fioriture ni envolée lyrique, qui sert au plus près le récit, pour un taux de pénétration remarquable. Les diverses transcriptions, sans suivre le piège de la linéarité chronologique, permettent rapidement de comprendre la genèse de la BlackJag, son incroyable conception ainsi que la relation pour le moins trouble qui s’est nouée entre elle et son possesseur. L’un des réels points forts de ce récit est de nous faire basculer dans cette histoire de science-fiction avec facilité, sans que jamais cela devienne incongru ou capillotracté. Et pourtant, il fallait une sacrée imagination et également un redoutable savoir-faire pour rendre l’ensemble crédible. Rendez-vous compte. Une voiture entièrement constituée à l’aide d’ingrédients et caractéristiques animaux, chacun servant la sécurité et le bien-être du conducteur, comme le pare-brise élaboré à base de cornée, la vision mêlant celle d’un aigle et d’une chouette, ou son pelage pouvant être choisi parmi un large panel en fonction des desideratas de l’acheteur. Une berline souffrant de la chaleur comme n’importe quel animal, prête à se laisser saigner en cas d’accident et de souffrir mille maux en attendant que le constat à l’amiable soit fait, et paré à se sacrifier pour protéger les êtres humains qu’elle héberge. Et c’est justement cet aspect sidérant du véhicule, engendrant une attraction contre-nature, qui sonnera le glas d’Antoine au terme d’une scène mémorable et inouïe. Grégoire Courtois signe un opus dantesque, tout en retenue et savamment sauvage, mettant en exergue le rapport de l’homme à son automobile sous un angle inattendu et d’une remarquable intelligence, où le choix du prénom de l’épouse d’Antoine, Christine, ne peut être qu’un clin d’œil à l’ouvrage du même nom de Stephen King.

    Un livre magnétique, qui glace autant qu’il enflamme, débouchant sur un épilogue doublement imprévisible, et qui est, finalement, l’un des romans les plus ambitieux et ahurissants à parler d’amour.

    /5