Retour à Whitechapel

  1. L’ombre de Jack

    En pleine Seconde Guerre mondiale, Amelia Pritlowe est infirmière dans une capitale britannique matraquée par les bombes. Une lettre posthume de son père lui apprend sa terrible filiation : elle est la fille de Mary Jane Kelly, l’une des victimes de Jack l’Eventreur. Amelia se fixe alors un objectif : découvrir l’identité du célèbre tueur en série.

    Les ouvrages policiers ayant trait à ce sinistre monstre sont nombreux. Aussi, quand un nouveau livre paraît à ce sujet, il est compréhensible que l’on puisse être, de prime abord, dubitatif voire indifférent à cette nouvelle pierre portée sur un édifice déjà fort ample. Pourtant, ici, Michel Moatti parvient à tirer son épingle du jeu. On pouvait craindre une héroïne hollywoodienne, tombée du ciel, et résolvant une énigme vieille de plus d’un siècle. Il n’en est rien. Amelia est une femme, certes opiniâtre et intelligente, mais elle n’est en rien le prototype du personnage invincible et omniscient. Elle doute, a peur, tente de remonter la piste de Jack l’Eventreur. C’est surtout une véritable fureteuse, arpentant les archives de la police et de la société de ripperologues qu’elle fréquente. La structure du roman est également osée : il s’agit d’un enchevêtrement de textes issus du carnet tenu par Amelia, de reconstitutions de scènes de l’époque (frissons garantis) et de saynètes extraites du jury d’enquête de l’époque. Indéniablement, Michel Moatti a effectué un remarquable travail en amont, se documentant, et rendant ses recherches particulièrement passionnantes. Et la légitime question que l’on peut poser celles et ceux ayant fini cet opus est la suivante, comme le ferait benoitement un téléspectateur ayant manqué le final d’un feuilleton policier : « Alors, qui a fait le coup ? ». Quand certains œuvrent dans le strict domaine documentaire (cf. Sophie Herfort dans son Jack l’Eventreur démasqué), d’autres choisissent la pure voie de la fiction (comme Michael Dibdin et L’ultime défi de Sherlock Holmes ou Bob Garcia avec son Duel en enfer. Michel Moatti suit une troisième voie, empruntant aux deux précédentes : le réel côtoie l’imaginaire. Si certains lecteurs lui reprocheront ce choix – comme certains exècrent la cuisine sucrée-salée –, il faut reconnaître à l’écrivain une besogne colossale de recherches dans laquelle il a inséré, au fil du récit, des individus qu’il a inventés, notamment Amelia, prétendue fille de Mary Jane Kelly. Et l’explication qu’il offre, cet homme qu’il incrime – ou plus exactement ces hommes – figurent déjà dans la la longue liste des suspects déjà connus de tous les détectives amateurs. Les éléments d’accusation sont certes étayés et intéressants – d’autant que Michel Moatti reprend certaines imputations déjà employées par un autre écrivain que nous ne nommerons pas ici afin de préserver le suspense – et l’on sait déjà que quelques aficionados de ce cas criminel sauront lui opposer d’autres arguments.

    Au final, il s’agit d’un ouvrage riche et dense, où la réalité et la fiction valsent dans une même danse macabre. Un point de vue supplémentaire sur le sujet, à ranger à côté de tant d’autres, que ces derniers confirment ou infirment la thèse ici soutenue. Demeure un livre-procès très habilement mené, adroitement écrit, et atypique dans sa forme, sur un mystère qui ne sera peut-être jamais résolu et où tout un chacun a sa propre intime conviction, ignorant si celle-ci est la bonne ou non.

    /5