La mort des rêves

  1. Sommes-nous véritablement prisonniers de nos Rêves ?

    Dans un futur proche, les hommes sont devenus conscients d’un fait incroyable : toutes les nuits, ils font le Rêve qui décrit avec une précision chirurgicale la manière dont ils périront. Même s’ils sont incapables de se l’expliquer, le phénomène est notoirement connu, et chacun sait comment il périra. Mais cette prédestination, érigée en dogme sociétal, est mise à mal quand Alexandre Grand est tué par balles par sa compagne alors qu’il devait succomber à une embolie pulmonaire. Le policier Samuel Ferret est mis sur l’enquête. Et si ces Rêves n’étaient pas aussi incontestables qu’on ne le prétendait ?

    Premier ouvrage de Do Raze et récompensé par le Prix du premier roman du festival de Beaune, cette Mort des rêves part d’un postulat unique, et qui montre bien l’imagination débordante de l’écrivaine : une société complètement conditionnée par des songes élevés à un rang cultuel, et qui annihile donc toute autonomie, toute liberté. Cependant, le trépas d’Alexandre Grand, si différent de celui représenté dans son Rêve, semble montrer le contraire. Affabulation de la victime ? Possibilité réelle de détourner le destin ? Simple erreur dans l’ordonnancement des événements ? Manipulation ? Il faudra à Samuel Ferret faire preuve de détermination et de sang-froid pour comprendre le fin mot de cette intrigue.
    On a parfois bien du mal à croire qu’il s’agit là d’un premier ouvrage : l’écriture est magistrale, le suspense savamment dosé, et les espérances apportées par le scénario sont largement comblées. Quelque part entre le roman fantastique et le policier, l’auteur a su créer, de manière concise et très adroite, un univers envoûtant, parallèle, et pourtant diablement crédible. Les personnages sont d’une grande densité, avec une mention spéciale pour Samuel Ferret, issu d’une famille brisée par la naissance d’un enfant trisomique, et douloureusement attaché à ce frère handicapé. Les mots, choisis avec goût et employés avec parcimonie, cognent, éblouissent, traumatisent, interrogent le lecteur. L’histoire se déploie patiemment, avec maestria, nourrissant de nombreuses réflexions quant à la liberté et au déterminisme des humains que nous sommes. Les intrigues se mêlent, se bousculent, se télescopent, et l’épilogue – ou plus exactement les épilogues – interviennent comme de puissants points d’exclamation autant que finaux à cette histoire sans précédent.

    Do Raze a signé un ouvrage policier de tout premier ordre. Vertigineux, aussi enivrant que troublant, il marquera sans conteste les esprits par son propos, sa noirceur et son audace. Un coup de maître.

    /5