Widowland

  1. « Le début est toujours aujourd’hui »

    Londres, avril 1953. L’Allemagne nazie a remporté la Seconde Guerre mondiale et c’est désormais un protectorat qui régit le Royaume-Uni. A quelques semaines de l’arrivée du Leader – comprenez le Führer – dans la capitale ainsi que du couronnement du roi Edouard VIII, Rose Ransom, vingt-neuf ans, est chargée d’aller enquêter dans les Widowlands, ces territoires où sont recluses celles qui ne présentent que peu d’intérêt au sein de la hiérarchie des femmes. Déjà en charge de la réécriture des classiques de la littérature afin qu’ils coïncident avec les nouvelles normes sociétales du régime, Rose trouvera peut-être l’opportunité de marquer sa différence.

    Ce roman de Jane Thynne séduit dès la lecture de ce pitch, fort original. A la fois dystopique et uchronique, le récit expose la nouvelle structuration de la société, où les femmes sont classées selon des castes en fonction de leur apport à la communauté – à chaque fois selon un prénom emblématique : les Geli, les Klara, les Leni, les Paula, les Magda, les Gretl, ainsi que les Frieda. Dans le même temps, les autorités ont décidé que les grands ouvrages devront désormais être réécrits afin de corriger les élans féministes et autres mouvements allant à l’encontre de la doxa, et notre héroïne, Rose, est justement l’une de ces révisionnistes. C’est d’ailleurs à elle que va revenir la charge de sonder le Widowland situé à l’extérieur d’Oxford pour essayer de comprendre qui barbouille depuis peu les murs de slogans subversifs. Jane Thynne, en plus d’avoir imaginé cette histoire singulière, dispose d’une écriture ravissante, et l’on se plaît très souvent à relire certains passages tant ils sont harmonieusement rédigés. Si l’on regrette parfois que l’écrivaine ne soit pas allée plus loin dans ses idées quant à la révision des textes majeurs de la littérature anglaise et des questions philosophiques que cela implique, elle captive néanmoins par une intrigue atypique et quelques beaux destins de femmes. C’est aussi une superbe – et effrayante – radioscopie de cette société remodelée par les vainqueurs du conflit, imposant au lectorat des réflexions nécessaires quant au rôle de nos mères, épouses et filles. Les dernières pages sont marquantes, offrant à notre Rose un rôle majeur et déterminant : il est plus que probable que l’on ne verra plus jamais le Frankenstein de Mary Shelley de la même manière.

    Un livre majeur et mémorable, au scénario et à l’écriture remarquables : Jane Thynne fait fort avec ce récit féministe et militant.

    /5