Blood Father

Père de sang

  1. Mon père, cet antihéros

    Lydia a dix-sept ans et elle est en cavale. Son amant et pygmalion, Jonah, est mort. Elle vient de lui tirer dans la gorge. Jonah était un escroc, spécialiste de la drogue, sa création et son transport. Mais quand il lui a demandé d’abattre un homme, Lydia a refusé et tourné le canon de l’arme contre ce caïd. Désormais, elle doit fuir les anciens compagnons du défunt. Elle ne peut trouver de l’aide qu’auprès d’une personne : John Link, son père. Pour ce dernier, ce sera peut-être la dernière occasion de renouer avec sa fille.

    Peter Craig n’a pas une bibliographie très riche, avec trois ouvrages parus, dont seulement deux parus en français. Et le moins que l’on puisse dire, après avoir lu ce Blood Father, c’est que la qualité vient pallier la piètre quantité. Ces presque quatre-cents pages tiennent de la virtuosité littéraire. Le lecteur est placé, dès le premier chapitre, dans l’épicentre du meurtre qui bouleversera à jamais la vie de Lydia puis de John. Les mots sont fabuleux, choisis avec un goût rare, oscillant entre poésie et réalisme cru. Peter Craig a opté pour le choix judicieux des flashbacks, nous permettant de mieux connaître les divers protagonistes. John, biker, mouillé dans de nombreuses histoires de drogue, mis en prison pour le meurtre de l’un des siens qui l’a trahi, capable d’ouvrir des flots entiers pour protéger sa gamine, tenter de rattraper le temps perdu, lui inculquer quelques fragments d’éducation, et bien évidemment la sauver. Un personnage remarquable, loin des clichés inhérents du genre. Lydia, dont la naissance fut déjà compliquée, devenue ensuite une enfant colérique, autodestructrice et mal dans sa peau, au point de fréquenter les pires engeances de la terre. Ursula, mère de Lydia, ayant succombé au charme viril et atypique de John, et ayant rapidement abandonné sa charge de tutrice face aux frasques de sa descendance. Et Jonah, terrible manipulateur, à la fois chargé de colères brûlantes et animal à sang froid, et à propos duquel le dix-septième chapitre livre un rebondissement enthousiasmant. Des individus forts, denses, aux trajectoires faites d’angles torturés et de lignes brisées. Peter Craig n’en oublie pas quelques salutaires touches d’humour, notamment dans les dialogues père – fille. Au fil de ces pages d’une immense justesse ponctuées de scènes mémorables – l’arrivée des copains de Jonah devant la caravane de tatouage de John, le proto-État que le Prêcheur a voulu instaurer pour les Hell’s Angels, ou l’épisode final dans le désert –, l’auteur déploie un rare talent de conteur, trouvant toujours les mots justes pour décrire l’être humain dans ce qu’il a de plus profond, entier et complexe. Une littérature de haute volée, entre le blanc et le noir, qui nous grise. A noter, une anecdote amusante : dès la deuxième page, Lydia repère une publicité pour un film qui dit : Il a le pouvoir d’entendre les pensées des femmes…. Il s’agit du film Ce que veulent les femmes avec Mel Gibson, le même acteur qui va incarner, onze ans après la sortie du roman, le rôle de John Link dans son adaptation cinématographique.

    /5