Petites morts dans un hôpital psychiatrique de campagne

  1. Une histoire de fous

    Octave Lepgorin, psychanalyste, découvre en rentrant dans son appartement un travesti, bavant et au comportement de zombi. Ce n’est que lors du visionnage d’un film reçu d’un inconnu qu’il comprend l’identité de cet individu : il s’agit de Trochin, un médecin spécialisé dans le traitement des aliénés. Le malheureux a été enlevé pendant cinq semaines pendant lesquelles il a été émasculé et bourré de médicaments. Pourquoi l’a-t-on adressé à Lepgorin ? Aidé d’amis également versés en psychiatrie et de Mathieu Gambié, policier érudit, Lepgorin va devoir remonter jusqu’à l’asile de Prémont où des malades mentaux sont traités de manière barbare.

    Comme à son habitude, Michel Steiner nous offre un ouvrage difficilement classable et débordant de qualités. Sa plume, alerte, saisit dès le premier chapitre. Usant d’un humour salvateur, notamment lors de réparties jubilatoires, l’auteur emporte son lecteur au gré de cette intrigue noire à souhait. Tandis que Lepgorin et ses comparses tentent de comprendre les motivations de ceux qui ont torturé et dénaturé Trochin, ils vont, par la même occasion, offrir un portrait à la fois savant et effrayant des pratiques dites médicales censées aider les fous à guérir de leurs plaies psychiques. Michel Steiner, psychanalyste et docteur en psychologie, connaît ce domaine à la perfection et nous entraîne dans un univers tordu, parfois insupportable, où les déments sont brutalisés, gavés de drogues, suppliciés physiquement. L’alibi selon lequel ces remèdes leur seraient bénéfiques ne tient cependant pas, au point que l’on en vient, selon le vieil adage, à se demander si ce ne sont pas les institutions plus que les malades que l’on traite.

    Au-delà de l’intrigue policière, qui est passionnée et passionnante, Michel Steiner signe un ouvrage d’une rare érudition, qui est autant une histoire de fous qu’une histoire des fous, permettant, au terme de ce roman sombre, de relativiser ces déséquilibres intellectuels quand on les compare aux moyens inhumains mis en œuvre pour les soigner.

    /5