Les Vieilles chouettes

  1. J'serai contente quand tu seras morte, vieille canaille

    Deux sœurs dizygotes, Apolline et Philippine. Deux octogénaires qui s’amusent encore de blagues potaches et continuent de vivre ensemble. Mais l’arrivée d’un prince charmant, Gabin, risque de démolir cette belle entente familiale.

    Le pitch est très original, et c’est avec une curiosité amusée que l’on commence ce roman de Karine Gournay. Rapidement, les chapitres particulièrement courts (rarement plus de trois pages) séduisent, et l’on se prend d’une réelle sympathie pour la paire de jumelles qui n’ont rien perdu de leur humour et de leur verve. De charmantes petites personnages âgées, que l’on observe avec parfois un peu d’embarras mais surtout beaucoup d’amusement. Puis le temps se gâte, et les nuages couleur d’emmerdes apparaissent, notamment en la personne de Gabin, du même âge que le leur, et qui tourne la tête ainsi que les sangs de Philippine. Au final, ce livre ne réserve que peu de protagonistes. Les deux sœurs, bien évidemment, mais aussi Gabin, qui n’est pas tombé du ciel comme on pourrait le penser dans un premier temps ; Camille, la fille de Philippine, ayant hérité le caractère bien trempé de sa mère, mais que l’absence d’un père a toujours marquée ; Ella, voisine des deux hulottes, perfectionniste quant à sa silhouette malgré son âge avancé. Et puis un dernier personnage, également important, mais dont on ne découvre l’existence que plus tard dans le récit ainsi que son importance. Et avec ces quelques cartes, Karine Gournay parvient à bâtir une intrigue intéressante et divertissante. D’amours mortes que l’on souhaite ressusciter en violentes jalousies, de coups de foudre inattendus en amis qui se trahissent, d’un passé que l’on imagine révolu et dont on veut s’amender et qui débouche sur une vendetta, le lecteur n’a vraiment pas le temps de s’ennuyer. Et dans ce joli petit jeu de massacres, on trouve même un plaisir coupable à voir ainsi se déchirer ces croulants qui en viennent à en oublier leur âge vénérable. L’humour et le noir s’entrecroisent, se frôlent, se heurtent parfois, mais l’équilibre entre les deux genres est respecté. Et si la plume de Karine Gournay paraît parfois un peu jeune, comme un vin qui aurait mérité un peu plus de maturité pour pouvoir pleinement exprimer toutes ses saveurs, gageons que ce péché de jeunesse se fera oublier dans ses prochaines histoires. De même, comme évoqué auparavant, certains trouveront peut-être que la plume aurait pu davantage se nourrir d’humour, d’absurde, d’acidité ou de noirceur, au lieu de sans cesse vouloir se plonger dans ces diverses encres.

    Voilà un premier roman à suspense qui intrigue par la singularité de son histoire et amuse sincèrement jusqu’aux ultimes pages, imprévues et jouissives, et auquel on pardonne avec un sourire de complicité ses rares défauts.

    /5