Le Jardin du Bossu

  1. Pauvre z'héros

    Dans un village anonyme, le narrateur croise dans un bistrot un homme qui fait étalage de son argent. Aussitôt, sa décision est prise : il va suivre l'imprudent jusque chez lui et le délester d'une partie de son butin. Oui, mais voilà, le plan était trop beau pour se réaliser aussi facilement : le chasseur devient la proie. Pire : le narrateur est séquestré dans la maison de sa cible. Et c'est le début d'un longue détention...

    Dès les premières pages, le style de Franz Bartelt éclate : ce sera vif, loquace et verbalement endiablé. L'auteur traduit en une langue épicée et imagée les pensées, impressions et descriptions du protagoniste, véritable phénomène humain. Poète à ses heures perdues quand l'éthylisme l'enhardit, tenaillé par Karine, sa compagne, qui est bien vénale, il observe ses congénères, les détaille, les juge, et ne perd jamais une occasion de jouer de sa verve. La rencontre avec cet homme visiblement fortuné – Jacques – semble être ce clin d'œil du destin qu'il attendait tant. Mais puisque les contes de fées n'existent pas, la situation va très vite lui échapper et le rêve se révèlera vite contrefait. Le récit est assez court – environ deux-cent-vingt pages – et les nombreuses digressions du locuteur laissaient présager des temps morts, voire des instants d'ennui. Il n'en est rien. Franz Bartelt a un incroyable talent de conteur, avec une langue à la fois lyrique et paillarde, qui n'est pas sans rappeler celle de Michel Audiard ou de Frédéric Dard. Les réflexions hilarantes foisonnent, les aphorismes regorgent, et les multiples parenthèses ouvertes sont autant de francs éclats de rire. On se prend vite de sympathie pour le narrateur, cocasse dans ses répliques et pensées, antihéros au possible, qui se débat au beau milieu de circonstances franchement farfelues.
    Et puisqu'il s'agit d'un polar, il y a l'intrigue. Certaines scènes, inattendues, insufflent un vent de folie et de fraîcheur dans ce huis clos où l'ultime rebondissement, détonant, achève de parfaire ce roman singulier.

    Quelque part entre La bête et la belle de Thierry Jonquet et Mainmorte de Michel Steiner, c'est jubilatoire et attrayant, atypique et désaltérant. Maintes formules de Franz Bartelt restent à l'esprit une fois le livre terminé. Frôlant parfois la parodie sans jamais tomber dans le facile ou le grotesque, voilà le récit d'une captivante captivité.

    /5