Canicule

  1. Beauce, la sombre

    En fuite après un braquage qui a mal tourné, Jimmy Cobb échoue en pleine Beauce. Il enterre son magot et se cache à quelques pas d’une fermette isolée, en attendant que les temps s’apaisent. Mais voilà : le domaine est habité par une famille assez particulière. Alors que le soleil se fait de plus en plus massacrant, Jimmy Cobb ne pouvait rêver pire point de chute.

    Adapté au cinéma par Yves Boisset avec Lee Marvin et Miou-Miou dans les rôles principaux, ce roman de Jean Vautrin s’apprécie encore, même trente ans après sa sortie. Rapidement, le lecteur est pris par la fluidité de la narration : des chapitres très courts, faisant alterner les points de vue des divers protagonistes, un rythme narratif soutenu, et des descriptions à peine brossées. La langue de l’auteur est saisissante : colorée, faisant souvent appel à l’argot, rappelant le phrasé de Frédéric Dard, avec également ce procédé consistant à exploiter et conjuguer des verbes qui sont issus de noms communs. L’intrigue, même si elle semble de prime abord assez classique, prend une tournure bien singulière quand apparaissent les membres de la famille de l’exploitation : perclus par la misère et le manque d’éducation, et souvent bien plus sauvages que le bandit américain qui s’est aventuré sur leurs terres. Une femme qui veut se débarrasser de son mari, une attardée qui ne pense qu’au sexe, un enfant rêvant d’être un gangster, un homme capable des pires violences… Par moments, le lecteur aura l’impression de lire le récit d’un zoologiste analysant et décrivant les comportements et tares d’animaux placés derrière des grillages. Sous la plume de Jean Vautrin, acerbe, sarcastique, se déploie un univers glaçant, et ce malgré la chaleur ambiante, peuplé d’êtres retors et désaxés, au sein desquels Jimmy Cobb, comme dans un clair-obscur, n’en apparaît que plus humain.

    Ce livre au titre lapidaire demeure un roman noir de très grande qualité, où seul le style paraît à certains égards un peu vieilli. Le jeu de massacre qui s’y met en place en devient presque jubilatoire, et aucun des multiples personnages ne sortira indemne du chaos à venir. Une œuvre saisissante qui mérite amplement d’être (re)découverte à l’occasion de cette nouvelle publication chez Rivages.

    /5