Tim Willocks

Interview de Tim Willocks (31/03/2012)

Interview réalisée le 31 mars 2012 dans le cadre du festival Quais du Polar, à Lyon, où Tim Willocks dédicaçait entre autres son nouveau roman, Doglands.

Polars Pourpres : Bonjour Tim Willocks. Pour commencer, pouvez-vous nous raconter comment vous est venue l’idée principale de Doglands ?

Tim Willocks : J’ai réellement un chien nommé Furgul, que j’ai récupéré à la fourrière. Il a beaucoup de cicatrices, des traces de plomb dans les flancs, mais je ne sais pas comment il les a eues, ni quelle était sa vie avant la fourrière. Dans les fourrières de Dublin, les animaux ont cinq jours pour trouver preneur avant d'être piqué, et j’ai depuis longtemps à l’idée que mon chien a trompé la mort plusieurs fois. Alors que j’étais en train de travailler sur Twelve Children of Paris, que je viens juste de terminer, je me suis retrouvé comme bloqué. Alors un soir où je n'avançais plus, j’ai écrit la phrase « il était une fois dans les Doglands ». Selon moi, les chiens sont à la fois partout et nulle part, car ils sont invisibles. De là, j’ai commencé à écrire. J’avais juste la première phrase, et pas de réelle ambition. Il n’y avait pas d’enjeu, pas de fierté ou d’ego attachés à ce projet, contrairement à mes autres romans, qui ont une réelle importance pour moi. C’était donc une sorte d’évasion, et à ma surprise, l’histoire était écrite en six semaines. Et parce que je ne connais rien de la vie qu'a eue mon chien avant que je ne l’adopte, j’ai pensé qu’il fallait que je commence l'histoire au début, lorsqu’il était un chiot.


Polars Pourpres : Le plus réussi dans ce roman est probablement l’idée de donner à voir et à ressentir le monde dans lequel nous vivons à travers le regard d'un chien. Est-ce que cette idée vous est venue dès le début ?

Tim Willocks : Oui, l’idée d’écrire du point de vue du chien est venue dès le début. C’était une vision très directe, et stylistiquement aisée, avec des mots simples qui semblaient correspondre au point de vue du chien. Le début est écrit encore plus simplement, car il est encore un chiot. Peu à peu, le vocabulaire s'étoffe.


Polars Pourpres : Aviez-vous un objectif précis en écrivant Doglands ? Celui d’écrire spécialement pour les enfants peut-être ? Ou était-ce seulement pour vous-même ?

Tim Willocks : Je suppose que mon but était inconscient. J’ai essayé d’écrire inconsciemment, sans trop y réfléchir. L’objectif n’était pas tant d’écrire pour les enfants, que de correspondre au point de vue du chien, qui est lui-même un enfant au début.


Polars Pourpres : L’histoire est pourtant assez dure, et ce dès les premières pages.

Tim Willocks : En effet, c'est une histoire rude, en un sens. Furgul souffre et encaisse beaucoup. Mais le rôle du héros est aussi de souffrir. Et plus j’entrais dans l’histoire, plus je réalisais que nous sommes nous-même plus ou moins traités comme des chiens par le système.


Polars Pourpres : Si vous le voulez bien, parlons un peu du personnage de Churchill, qui nous a semblé très intéressant.

Tim Willocks : Avec Churchill, ce que je trouvais intéressant c’est qu’il n’y a pas de déception du point de vue du chien, parce que les chiens ne comprennent pas les mensonges. J’ai l’impression que nous vivons dans un monde de mensonges de bien des façons. Les gens mentent tout le temps. Tous ces petits mensonges qui nous entourent dans la rue comme les publicités pour nous dire que c’est ainsi que nous devrions être. En ville, on voit sans cesse des représentations de la façon dont on devrait être, dont on devrait se voir, de ce qu’est la beauté. Tout cela nous dit que nous ne sommes pas assez bien. Et pour de nombreuses raisons, Furgul n’est pas assez bien. Il est mal fichu dès le début. Il est devenu inadéquat le jour-même de sa naissance parce qu’il n’est pas de race pure. Nous sommes dans un monde où le système de valeurs nous dit sans cesse : « pas assez bon », « inadéquat », « essayez encore », « travaillez plus »,etc. et où la plupart des gens ne font qu'« échouer ». Ce monde est un fantastique terrain pour l'échec. On nous fait croire que si on obéit, comme le fait Churchill, si on est sage, si on étudie beaucoup, si on passe des examens... on sera récompensés par une vie de rêve. Mais tout cela n’est qu’un mensonge, une trahison. Avec ou sans diplôme, il y a un taux de chômage affolant chez les jeunes de moins 25 ans. Et sans travail, on ne peut pas être complètement heureux.


Polars Pourpres : Vous nous avez dit avoir écrit Doglands en 6 semaines, durant lesquelles vous n’aviez eu qu’à suivre les personnages et le fil de l’histoire. Vous travaillez différemment d'habitude ?

Tim Willocks : Oui, l’autre livre (Twelve Children of Paris, NDLR) m’a plutôt pris 6 ans (rire). Doglands était très intéressant du point de vue du procédé d’écriture car j’ai vraiment pu prendre des libertés et j’ai apprécié cela. Je laissais les personnages aller où ils le voulaient.
Lorsqu'on écrit un livre, il faut savoir qu'il y a beaucoup de pression (qu'elle soit visible ou non), car on essaie de satisfaire les attentes des lecteurs, les envies des éditeurs. Les éditeurs américains sont capables d'envoyer des dizaines de pages de notes de lecture. Quand Thomas Harris a soumis Le Silence des Agneaux à son éditeur, pour prendre un exemple connu, celui-ci lui a renvoyé 35 pages de notes lui disant de modifier une bonne partie de son manuscrit. Il a répondu qu’il ne changerait pas un seul mot, ce qu’il a fait, et bien entendu, avec le succès que l'on sait. Doglands aussi, mon éditeur a voulu qu'il soit modifié, mais je ne l’ai pas fait. Tout ça pour dire qu’en écrivant, il y a la pression de devoir satisfaire les attentes des uns et des autres. Je crois que c’est pour ça qu'à un moment, j’avais arrêté d’écrire Twelve Children of Paris


Polars Pourpres : Étiez-vous un grand lecteur, enfant ?

Tim Willocks : Je l’étais effectivement. À 8-9 ans, j’ai lu beaucoup de livres d’Enid Blyton dont la série du Clan des Sept. Je n’en ai pas relu depuis donc je n’ai aucun jugement à porter sur son style. A cette époque-là il n’y avait pas vraiment de fossé entre les enfants et la littérature. Enfant vous lisiez des livres pour enfants, puis de la fiction populaire, et à l’école des œuvres classiques (Dickens par exemple).
Ça me fait penser qu'il y a eu des études récentes suggérant que tant qu’un enfant ne prend pas de plaisir à lire de la fiction, et ce peu importe la qualité littéraire, il ne prendra pas l’habitude de lire. Et l’imagination d’un enfant se développe par son habitude à lire. Les enfants qui lisent auront plus de facilité, pas seulement concernant la créativité, mais aussi dans les mathématiques ou la physique par exemple. Et pour revenir à votre question, je lisais effectivement beaucoup.


Polars Pourpres : Vous étiez un grand lecteur enfant... Vous ne l'êtes plus ?

Tim Willocks : Si, je lis toujours beaucoup. Mais quand je suis dans une phase d’écriture, je ne lis pas de romans, parce que je ne veux pas me dire que j’aime ou non le style de l’auteur, ni que ça puisse interférer d'une manière ou d'une autre dans ma façon d’écrire. Je lis plutôt des textes non romanesques dans ces moments-là, des essais, des livres documentaires...


Polars Pourpres : Votre traducteur français, Benjamin Legrand, est également un auteur de polar (Le cul des anges, Un escalier de sable, NDLR). Est-ce lui qui a choisi de vous traduire ?

Tim Willocks : Je dirais qu'on s’est mutuellement choisis. Il a traduit La Religion et Doglands. J’espère qu’il traduira aussi les suivants car il a fait un travail fantastique. Il a son propre style, qu’il ajoute à la traduction. Sérieusement, je crains que mes livres soient meilleurs en français qu’en version originale. Mais je ne le saurai jamais car je ne serai sans doute jamais capable de les lire en français.


Polars Pourpres : Vous avez donc fini Twelve Children of Paris. Peut-on savoir quand il sera publié ?

Tim Willocks : Il ne sera pas publié avant le printemps 2013 en Angleterre. Pour la version française, cela dépendra donc du travail de Ben.


Polars Pourpres / Hannibal le lecteur - 2012