El Marco Modérateur

3219 votes

  • Un Dossard pour l'enfer

    Jean-Christophe Tixier

    8/10 Alex, bien que n’ayant pas l’âge requis, s’est inscrit à une course de montagne, un ultra-trail. Il s’y est patiemment préparé en compagnie d’Omar, son ami et entraîneur, et de sa copine Stessy, la sœur d’Omar. Mais, après le départ, Stessy entend, par hasard, qu’un des participants se serait dopé avec un produit qui pourrait bien le tuer. Les deux dealers n’ont bien évidemment pas l’intention de laisser l’information s’ébruiter.

    De Jean-Christophe Tixier, on connaît déjà, entre autres, le bon Une Foulée d’enfer, dont ce roman est justement la suite. La plume de l’auteur est toujours aussi agréable, les personnages fins, crédibles et humains, et le roman, court, se lit à toute allure. Le décor alpin est très bien rendu, tout autant que l’univers de la course. L’auteur dévoile avec habileté les ressorts corporels nécessaires à ce type de sport, les mécanismes psychologiques, les moteurs moraux d’un tel dépassement de soi. Parallèlement, l’intrigue, originale, est bien menée, et nous donne à voir, en alternance, Alex au cours de son épreuve puis aux prises avec les massifs pour de belles pages sur la survie, et Stessy, belle Noire ne lâchant jamais prise pour défendre son amoureux. Jean-Christophe Tixier nous gratifie de jolis moments sur la culture de l’effort physique, l’intransigeance face à l’effort, mais aussi sur le deuil, l’amour et l’amitié, en plus de nous offrir une réflexion pertinente sur les dangers du dopage.

    Encore un très bon ouvrage que nous devons à Jean-Christophe Tixier, qui sait entremêler suspense, émotion et leçon de vie.

    12/09/2018 à 17:40 3

  • Mange tes morts

    Jack Heath

    9/10 Timothy Blake est un homme à part. Trentenaire, toujours fauché, il est consultant pour le FBI. En échange de ses talents extraordinaires d’observation et de décryptage des êtres humains, il a le droit de récupérer des condamnés à mort juste après la soi-disant exécution pour pouvoir les manger. Chacun son vice. Quand le jeune Cameron Hall disparaît, Luzhin, chef du Bureau et avec qui il a noué ce pacte immonde, lui demande de l’aider. Mais rien ne dit que Timothy ne va pas à son tour se faire croquer.

    Ce roman détonne, c’est le moins que l’on puisse dire. Immédiatement, le personnage de Timothy Blake intrigue puis envoûte. C’est un remarquable analyste de l’âme humaine en plus d’un observateur de génie, au point que ses déductions ressemblent parfois à celles de Sherlock Holmes. Mais l’habileté de l’auteur, Jack Heath, ne s’arrête pas là. En plus de ses qualités nécessaires aux forces de police, Timothy est également un cannibale. Il conserve les corps découpés dans le frigo et les sort à chaque fringale. Souvent, il va d’ailleurs récupérer lui-même le condamné à mort au sortir de la fausse exécution. Un personnage complexe, en vérité : ses parents ont été tués lorsqu’il n’avait qu’un an, il a ensuite été souffre-douleur dans un orphelinat, puis a passé plusieurs années dans la rue avant de trouver sa voie, lors d’une rencontre fâcheuse avec celui qui allait, par la suite, détenir un poste-clef au FBI. Timothy vit en colocation avec un type presque plus barré que lui, dealer et toxicomane, trompe ses moments d’ennui en résolvant des énigmes, et cherche surtout à échapper à sa propre avidité de viande humaine. Dit comme cela, un tel scénario ressemble à du grand-guignol. Il n’en est rien. La plume de Jack Heath est absolument remarquable d’intelligence, de malice, de noirceur, voire d’humour et d’ironie. Quelque part entre le Dexter de Jeff Lindsay et le Hannibal Lecter de Thomas Harris, avec un soupçon de Dr House version anthropophage. Un cocktail détonnant qui séduit. L’intrigue est également bien charpentée : au fur et à mesure des chapitres – tous introduits par de courtes énigmes faciles mais addictives, l’histoire prend de l’ampleur, les rebondissements s’accumulent, et le récit prend à de nombreuses reprises des voies inattendues. L’ultime chapitre est d’ailleurs un modèle de cliffhanger : on ne peut qu’avoir hâte de connaître la décision de notre si cher ogre consultant.

    Un ouvrage hautement improbable, aussi exquis que ne l’est la chair humaine pour Timothy Blake. C’est original. C’est efficace. C’est drôle. C’est violent. C’est perturbant. C’est jouissif. Bref, c’est tout bonnement génial.

    12/09/2018 à 17:30 9

  • Terminus New York City

    Jean-Luc Bizien

    3/10 Un jeune milliardaire, Justin Case, ayant hérité de la fortune paternelle suite à la mise en détention car accusé du meurtre de son épouse, entouré de trois camarades (une Asiatique experte en arts martiaux, un geek en fauteuil roulant et un avocat, dandy gothique), et décidé à résoudre les erreurs judiciaires. Ici, un homme accusé d’un double meurtre. Une écriture sympathique, avec du rythme, faisant écho aux normes anglosaxonnes du genre, un agent du FBI retors, et un complot ayant fait échouer un innocent derrière les barreaux. Mais en ce qui me concerne, la magie n’a jamais pris. Les personnages, tous autant qu’ils sont, tiennent de la caricature, ou plus exactement du déjà-vu et déjà lu des milliers de fois. Justin Case, au-delà de se trimballer en Maserati Quattroporte et d’user d’un vocabulaire châtié, n’a rien d’original ou de franchement sympathique. Je l’ai même trouvé sidérant de vacuité et d’inexistence, à moins que les autres opus ne lui laissent l’occasion de prendre un peu plus d’ampleur ou de consistance. Ses acolytes, mis à part Matthew Slides à la rigueur, tiennent du poncif littéraire ou cinématographique. Il n’y aura pas eu une seule scène marquante. L’intrigue se laisse suivre, mais à aucun moment, la finesse, l’intelligence ou la perspicacité de Case n’auront permis sa résolution. Quant au complot, il est tellement capillotracté que jamais je n’y ai cru : que de problèmes que se sont volontairement posés les criminels pour si peu, que de raccourcis dans la résolution de l’histoire, que de fils blancs pour coudre cette dentelle insipide qui ne me laissera absolument aucun souvenir. Quant au final, il ressemble à un vague remous dans un gobelet en plastique, sans panache ni ampleur, en plus d’être téléphoné. J’aime beaucoup la littérature jeunesse, et j’ai justement trop de considération pour elle pour l’envisager ainsi, avec cette accumulation de clichés autour d’un scénario inconsistant, sorte de Largo Winch au rabais et dédié aux mômes. Inutile de dire que je passe mon chemin quant à la lecture des ouvrages suivants.

    10/09/2018 à 17:28 3

  • Escape book - Le Piège de Moriarty

    Stéphane Anquetil

    5/10 Le principe des escape books, je ne les connaissais que de nom, et ce premier ouvrage constitue donc une première. D’entrée de jeu, j’ai été partant pour me lancer dans l’aventure, résoudre toutes les énigmes posées, progresser dans l’antre de Moriarty, en plus d’avoir donc en toile de fond l’univers de Sherlock Holmes. Des problèmes sympathiques et très variés, des ambiances habilement posées, des illustrations efficaces et séduisantes. Pourtant, à l’arrivée, je suis dubitatif, pour ne pas dire déçu. Car ce qui m’a beaucoup gêné, c’est la quasi absence d’arborescence, de pistes et autres zigzags qui me semblaient nécessaires à ce type de livre-jeu. Ici, tout m’a semblé fort linéaire, unilatéral, avec des obstacles posés que l’on n’a même pas besoin de démêler pour progresser. Pas de renvois à d’ultérieurs numéros de page en fonction des résultats de vos calculs et réflexions, pas de réelle avancée rendue personnelle par nos propres déductions. Mis à part quelques renvois vers la fin de l’opus pour des renseignements complémentaires, je me suis senti sacrément floué de n’avoir été que le quasi spectateur de cette quête et non l’acteur, malgré les indications présentes à partir de la page 172. Jamais je ne me suis vraiment approprié le concept et les enquêtes. Probablement est-ce de ma faute, j’en porte nécessairement une part de culpabilité, peut-être m’attendais-je trop à un jeu du style « Le livre dont vous êtes le héros », mais je trouve que la conception de ce livre n’est pas suffisamment réfléchie et « ouverte », au point d’avoir atteint l’épilogue sans jamais en avoir été, à un seul instant, le réel protagoniste.

    10/09/2018 à 17:26 3

  • Le Grand Bob

    Georges Simenon

    8/10 Une histoire très humaine, ou comment le docteur Charles Coindreau apprend la mort par noyade de son ami Robert Dandurand, surnommé « le grand Bob », avant de se rendre compte que ce décès relève apparemment plus du suicide. Dès lors, il s’agit pour le toubib de comprendre qui était, sous ses allures de clown, réellement cet homme qu’il lui semble à présent ne pas avoir vraiment connu. Une belle histoire, constellée de flash-backs, avec la genèse du grand Bob aux yeux de tous, depuis sa rencontre avec celle qui deviendra sa femme, Lulu, et son refus de passer l’examen de droit, puis la trajectoire enclenchée vers ce qui deviendra sa réelle existence. Comme souvent chez Simenon, l’intrigue ne constitue pas le fondement de l’intrigue, du moins pas sa partie la plus importante. Tout y est « prétexte » à des rencontres, des échanges, des pans de vie exposés, des unions qui se font et se défont (un peu plus de références au sexe que dans les autres romans), et un chapitre final très émouvant. De belles réflexions sur l’existence, l’amour, l’abandon, le deuil, toujours portées et magnifiées par une écriture qui va à l’essentiel, où chaque mot est habilement choisi. Assurément pas un polar, bien évidemment, parfois étoilé de quelques digressions quant aux autres personnages (notamment les adultères du médecin), et que j’ai lu de bout en bout avec un plaisir égal et supérieur.

    10/09/2018 à 17:25 5

  • Tombés du ciel

    Nicolas Beck

    8/10 Un corps d’enfant, déposé dans le domaine du Trianon, une magnifique demeure picarde. Le régisseur qui découvre le cadavre n’en croit pas ses yeux : le gamin ressemble trait pour trait à celui de Jérémy Peska, fils du propriétaire des lieux, et disparu vingt-quatre ans plus tôt. Pourtant, il ne présente aucun signe de vieillissement ni de dégradation. Impossible à imaginer. Il se peut que la vérité soit ailleurs…

    Voilà un premier roman qui marquera les esprits. Nicolas Beck livre un ouvrage prenant et fort original, bien loin des canons habituels de la littérature policière contemporaine. Il met le pied à l’étrier de personnages complexes et convaincants, notamment l’escouade de gendarmes qui va devoir mener l’enquête. Le capitaine Sébastien Caron, droit et rigoureux, qui entretient une relation homosexuelle avec son supérieur hiérarchique. Son partenaire, Kévin Lelong, blagueur et dragueur invétéré. Il y a également Julie, la charmante médecin-légiste, dont la rationalité toute scientifique vacillera au terme de cette investigation. Et Prévôt, le patron, tyrannique et emporté. Mais il y a également une magnifique galerie d’individus, qui vont se retrouver emportés par cette histoire, depuis un journaliste particulièrement sagace jusqu’au régisseur, de deux adolescents témoins involontaires d’un événement plus que troublant à un détective spécialiste de l’ufologie, etc. Dès le début du roman, l’histoire saisit. Littéralement. Nicolas Beck a particulièrement soigné les procédures, explicitées de nombreuses fois en bas de page. Tout s’y montre peaufiné, dense, avec de multiples interactions entre les personnages, des maillages particulièrement serrés, et des chapitres très souvent subdivisés pour que chacun puisse prendre part à la chasse à la vérité ou au moins s’y trouver imbriqué. Un entremêlement solide et qui laisse pantois, rappelons-le, pour un premier opus. Par la suite, l’ouvrage part dans une direction surnaturelle, avec des scènes qui rappelleront aux fans de X Files les épisodes les plus emblématiques de la série. On y trouve, pêle-mêle, un étrange crash aéronautique, une présence lumineuse dans les cieux, un enlèvement inexpliqué, ainsi qu’une femme dont on découvre qu’elle a enfanté sans qu’on n’ait la moindre trace de ses accouchements. Des éléments nécessairement clivants, qui ne pourront satisfaire que les enthousiastes de phénomènes extraterrestres et autres rencontres du troisième type. Mais au-delà de cet aspect assez particulier, il faut indéniablement reconnaître à l’auteur un savoir-faire remarquable dans le tissage de son intrigue et un culot affirmé pour se risquer dans une telle œuvre, qui aurait pu se montrer élimée voire grotesque sans ses abondants talents littéraires.

    30/08/2018 à 10:12 3

  • Cantique de l'assassin

    Guillaume Prévost

    8/10 Tiré des vapeurs d’alcool, l’inspecteur François-Claudius Simon est appelé à Montmartre, au Sacré-Cœur, où le corps d’un prêtre vient d’être retrouvé. Le tueur lui a ouvert la poitrine et disposé son cœur entre les mains dans une mise en scène immonde. Détail détonnant : le nom du policier est inscrit sur le registre des visiteurs. Dès lors, François-Claudius sait qu’il est tombé dans un piège. Un guet-apens sordide et douloureux au cours duquel il va lentement remonter vers un secret susceptible de faire trembler les fondements de toute la chrétienté.

    Ce cinquième ouvrage de la série consacrée à François-Claudius Simon séduit d’entrée de jeu. On retrouve avec plaisir ce personnage de policier jeune et pourtant prématurément usé par la vie, buveur invétéré et papillon de nuit, ne vivant qu’en la compagnie de son perroquet Koko, et toujours dans l’attente de sa chère Elsa. Guillaume Prévost tisse de nouveau une intrigue forte et dédaléenne, multipliant à l’envi les rebondissements, au gré d’une intrigue où s’entremêlent une quête d’identité pour notre limier, la figure emblématique de l’anarchiste Ravachol, le mystérieux trésor de l’abbé Saunière, et de bien anciens écrits religieux qui pourraient faire vaciller le monde entier. Multipliant les références à d’autres opus de la série, comme La Valse des gueules cassées et surtout Le Bal de l’Equarisseur, il est plus que recommandé de lire les ouvrages dans l’ordre afin de ne pas en perdre tout le sel, d’autant qu’un redoutable personnage va revenir sur le devant de la scène. François-Claudius va être particulièrement malmené dans cette enquête, tant physiquement que psychologiquement, mettant à nu des pans entiers de sa filiation, et se confronter à des individus sinistres et mortels, dont un tueur en série surnommé « L’Enfant-de-chœur ». Là où Guillaume Prévost montre qu’il est capable de se renouveler tout en exploitant avec l’habileté qu’on lui connaît des personnages déjà employés, c’est en venant arpenter les plates-bandes d’auteurs anglo-saxons comme Dan Brown et son fameux Da Vinci Code. Il y est donc ici question de religion et de ses fondements, et l’écrivain s’immisce sur ces terres avec beaucoup d’intelligence, s’appuyant sur des connaissances robustes et en y incluant une conception, certes purement fictive, mais qui n’a vraiment rien de déraisonnable.

    Un nouveau roman fort réussi de la part de Guillaume Prévost, qui a en plus le mérite de s’échapper des sentiers littéraires où on l’attendait.

    30/08/2018 à 10:08 3

  • Gangway

    Sébastien Bouchery

    8/10 Alors qu’il est au volant de son véhicule, traquant un ennemi qui ne le devance que de peu, le détective privé Richard Gridden a un violent accident. Il se réveille sous le soleil de l’Arizona, à Gangway, un patelin étrange qui vit sous la coupe d’un shérif non moins étrange, Cole Willpot. Un être instable et inquiétant, qui n’est que le reflet des multiples anomalies du village. Gridden va l’apprendre à ses frais, pour un séjour de quatre jours dont il ne sortira pas indemne.

    Sébastien Bouchery signe ici un roman énigmatique, et qui conserve son aura de mystère jusque dans les ultimes paragraphes. D’entrée de jeu, l’auteur pose le décor : on se croirait dans un roman hard boiled dans ce qu’il peut avoir de plus typique. La canicule, le privé aux zones d’ombre, sa mystérieuse cible. Puis l’imprévu carambolage, et le livre dévie. Voilà Gridden dans un bled matraqué par la chaleur, sous le joug d’un shérif aussi bizarre que menaçant, capable des pires coups de sang comme d’user d’un langage châtié. Les us et coutumes de Gangway ne manqueront pas d’intriguer puis stupéfier l’hôte inopiné : un vieillard gentiment cinoque qui a pris la place du médecin, une façon de vivre proche de celle d’un lointain siècle, avec le bon vieux courrier papier comme seul moyen de communication, des piliers de bar prompts à utiliser poings et armes à feu, et où l’on peut « réparer » un viol contre quelques têtes de bétail… Un véritable ramassis de déviances et de singularités. Sébastien Bouchery tisse sa toile d’interrogations et d'arcanes, en plaçant au centre de cet échiquier un personnage de détective privé qui cache également de nombreux secrets, notamment quant à ses origines, ses qualités professionnelles, le maître-chanteur qui ne le lâche pas, ou encore les raisons pour lesquelles il poursuivait cet Albéric Britto. Car il a beau être courtisé par le tout-Hollywood, avoir parmi ses clients et amis Michael Keaton ou Martin Scorsese, il n’en demeure pas moins soucieux de conserver au frais certaines vérités embarrassantes. Au gré de ce livre, les références littéraires affluent, évidentes, appuyées, et toujours faites avec à la fois modestie et intelligence, comme Stephen King, Douglas Kennedy et son Cul-de-sac, ou encore certaines œuvres cinématographiques. Et c’est d’ailleurs dans le dénouement de cet opus inclassable que l’on obtient le plus beau des hommages de Sébastien Bouchery, avec une résolution qui va se faire à la fois dans le bruit, la fureur et l’horreur, mais aussi avec un surprenant accent d’optimisme, obligeant Gridden à reconsidérer tout ce qu’il aura vécu dans cette Géhenne de l’Arizona sous un angle nouveau. Mais ne gâchons pas le plaisir des futurs lecteurs en en disant plus, et conservons secret ce rebondissement, certes déjà employé par le passé en littérature et au cinéma, mais qui n’en conserve pas moins son extraordinaire pouvoir de surprise, surtout qu’il est ici orienté d’une belle manière, avec brio.

    Voilà un roman de deux cents pages fort original et percutant, provoquant troubles et vertiges, avant de livrer une ultime clef quant à sa résolution. Un sésame judicieusement choisi, et qui vient clore un ouvrage fort, dans le même temps qu’il ouvre la porte d’un bel exercice ingénieux.

    30/08/2018 à 10:04 5

  • Nuit sans fin

    Lincoln Child, Douglas Preston

    8/10 Deux gamins découvrent un cadavre. Fait obscène : la tête est manquante. La victime est rapidement identifiée : il s’agit de la fille d’un nabab des nouvelles technologies ayant fait fortune dans le domaine des plateformes de musique sur Internet. C’est ensuite un avocat véreux qui est assassiné dans son appartement, véritable bunker protégé par une myriade de systèmes de sécurité, avant que sa tête ne soit également tranchée. La liste des victimes ne fait que s’allonger tandis que le NYPD ne parvient pas à comprendre les motivations de ce tueur sans pitié et redoutable, dont la route va, à un moment ou un autre, croiser celle de Pendergast.

    Ce dix-septième opus de la série consacrée à Pendergast est un nouveau régal. D’entrée de jeu, la plume de Douglas Preston et de Lincoln Child envoûte, avec son apparente simplicité qui dissimule une efficacité redoutable. Les chapitres, courts et endiablés, alternent si vite que l’on ne voit guère défiler les quelque trois cents soixante pages de ce livre. Comme d’habitude, les auteurs ont pris soin de faire intervenir des personnages secondaires savoureux, comme ce journaliste sur le retour avide de scoops au point de tisser une théorie vite lucrative, ou encore ce jésuite s’inspirant des théories de Savonarole. L’intrigue est également bien bâtie, préservant un long suspense avant que la vérité n’apparaisse. Si les motivations profondes du psychopathe ne sont guère originales, les derniers chapitres, haletant combat entre ce monstre et Pendergast, sont palpitants, et l’on comprend les origines du bouleversement psychologique de cet individu, si retors et dément. L’agent spécial Pendergast ainsi que son fidèle ami D’Agosta devront redoubler d’efforts, tant physiques que moraux et intellectuels, pour contrer les plans de ce forcené.

    Un nouvel ouvrage brillant et sémillant, qui prouve, si l’on en doutait encore, que cette saga est l’une des meilleures de la littérature policière actuelle.

    30/08/2018 à 09:57 5

  • La maison du canal

    Georges Simenon

    9/10 Edmée arrive aux Irrigations, un domaine agricole tenu par son oncle dont elle apprend le décès en arrivant. Elle va devoir vivre en ces lieux, matraqués par le froid, la pluie et les vicissitudes, tandis que des tragédies, tels des furoncles, vont lentement naître, croître et exploser. Une famille de dégénérés la reçoit, comme décrit à la page 64 : « les lèvres trop épaisses de Fred, au visage de travers ; le front difforme de Jef ; Mia qui avait de l’eczéma et qui, malgré ses seins et tout, à dix-neuf ans, n’était pas encore femme ; une des petites louchait. La famille prétendait que non, ce n’était qu’une déviation momentanée du regard. Mais elle louchait ! Et la plus jeune était en retard de deux ans sur une enfant normale ! ». Et l’on ne parle que du physique, car pour ce qui est des attitudes, les individus en question sont encore plus abâtardis, et ce n’est qu’un mot, écrit à l’avant-dernière page, qui vient éclairer les raisons de ces dégradations familiales. Encore une fois, je me suis régalé avec cet ouvrage de Georges Simenon, écrit en cent cinquante pages, ruisselant de noirceur, saturé de cruauté, et perclus d’une barbarie protéiforme. Une magnifique succession de drames, depuis la « simple » maladie en passant par des amours contrariées qui vont déboucher sur la mort d’un enfant un peu trop curieux, jusqu’au viol et au meurtre. Une analyse pointue de la psychologie de ses personnages, avec une économie de moyens à en donner le vertige, pour un panorama si délicieusement monstrueux, humain et crédible d’individus lambda. Je n’ai jusqu’à présent lu que peu d’ouvrages de Georges Simenon, mais celui-ci figure indéniablement parmi mes favoris, pour la férocité de son examen de l’âme humaine.

    29/08/2018 à 18:00 3

  • Le Salon du prêt-à-saigner

    Joseph Bialot

    7/10 … ou la terrible croisade meurtrière de Yosip Vissarianovitch dans le quartier du Sentier. Des meurtres, du sang, beaucoup de mystères, des policiers aux abois, des journalistes prêts à tous les jeux de mots possibles, des foules estomaquées par cette vague d’hémoglobine… La langue de Joseph Bialot est remarquable, mâtinant les envolées lyriques et poétiques (les nombreuses séances de corps-à-corps et de fusillades sont de petits bijoux littéraires, à lire et relire), l’humour (notamment dans les réactions des médias aux divers crimes où chacun interprète les assassinats en fonction de ses penchants idéologiques ou politiques), et le sombre (bien des passages sont durs, sans pour autant tomber dans la description malsaine ou extrême). L’intrigue est bien ficelée, et c’est avec un plaisir continu que l’on enchaîne les chapitres (courts et découpés en brèves parties), même si la révélation finale, avec les motivations profondes de Yosip, n’a rien de renversant. Etonnant paradoxe, d’ailleurs : tout est bien agencé, huilé, charpenté, mais je ne suis pas persuadé de me souvenir longtemps du cœur de l’histoire. En revanche, je me rappellerai longtemps de certains moments (comme Yosip et Vania avec la machine à couper), d’une ambiance générale soufrée et délétère, et d’une écriture au cordeau.

    29/08/2018 à 17:57 3

  • Projet oXatan

    Fabrice Colin

    7/10 … ou les étranges pérégrinations de quatre adolescents (Phyllis, Arthur, Diana et Jester) au cours du vingt-sixième siècle, sur une portion d’une planète Mars terraformée. Il y sera question d’une sorte de huis clos, d’une belle-mère/nurse Mademoiselle Grâce particulièrement sévère et mystérieuse, un ancien réalisateur de cinéma devenu fou, des origines énigmatiques de ces quatre gamins, d’ogres rôdant près du complexe où vivent les humains, d’une pyramide d’inspiration maya, etc. Dit comme ça, cela ressemble à un sacré capharnaüm, mais Fabrice Colin a bâti une intrigue sérieuse, compacte et intelligente, recélant en son sein probablement pas mal d’idées qui refleuriront par la suite en littérature et au cinéma (le roman date de 2002). Une ambiance légèrement anxiogène, des protagonistes qui savent attirer l’attention du jeune lectorat, sans jamais tomber dans la facilité ou le gnangnan. Par moment, j’ai retrouvé des accents à la Serge Brussolo pour la globalité de l’intrigue ainsi que son côté hétéroclite et inventif. Au-delà de l’aspect purement distractif, de nombreuses réflexions prenantes sur la paternité, le progrès scientifique, l’amitié et l’amour, la passion filiale jusqu’à ses ultimes démonstrations, etc. Probablement pas un ouvrage mémorable à vie, surtout pour moi qui ne lit que très (trop ?) rarement ce type de littérature, mais un très agréable moment de lecture, qui m’a diverti autant que fait réfléchir, d’autant que c’est un chemin littéraire que je n’emprunte qu’occasionnellement.

    29/08/2018 à 17:54 2

  • Tokyo's Tournament

    Marie-Alix Thomelin

    6/10 Jess et Shayma sont deux femmes françaises qui pratiquent le combat. A l’issue d’un match, elles sont toutes les deux recrutées pour participer à un tournoi de combat libre, au Japon. Si elles ne voient dans un premier temps que l’opportunité de disputer une compétition autrement plus prestigieuse que celles auxquelles elles concourent habituellement, elles ne se rendent pas encore compte qu’elles viennent de tomber dans un guet-apens.

    Marie-Alix Thomelin a déjà pratiqué les arts martiaux mixtes, et cela se sent dans son récit. Ce dernier, court, se lit du début à la fin avec un grand plaisir. L’écriture comme le souffle y sont simples, rapides et efficaces. Si le résumé laisse présager une histoire de combats truqués, il n’en est rien : on bascule assez vite dans une intrigue avec une machination à la clef. Ce complot et les méthodes mises en œuvre pour le concevoir ne sont pas particulièrement originales. De même, quelques poncifs émaillent le livre, comme une histoire d’amour assez naïve et peu marquante avec le journaliste Arthur, ou encore le cœur de l’ouvrage, à savoir la conspiration, qui aurait probablement mérité un traitement plus atypique ou une envergure supérieure. Bref, il y a un arrière-goût de déception une fois ce roman achevé. Néanmoins, il est indéniable que Marie-Alix Thomelin a pris du plaisir à l’écrire. On y suit les pérégrinations de Jess et Shayma au Japon, la découverte de ce pays et de sa culture, et les immersions dans le monde des combats, sans être mémorables, se laissent lire. Finalement, Marie-Alix Thomelin se positionne dans la « littérature de gare », sans la moindre notion péjorative : un livre qui se lit facilement, agréablement et rapidement, ce qui n’est déjà pas si mal.

    29/08/2018 à 17:06 2

  • Un Havre de paix

    Stanislas Petrosky

    7/10 Un homme vient d’être retrouvé suicidé à la prison du Havre. Missionné pour s’occuper du corps, Luc Mandoline, alias « L’Embaumeur » découvre, dans le même temps, que le suicide n’en est pas un, et que ce détenu était en réalité un policier infiltré. Pour rendre service à Max, son ami et policier, Luc va mener son enquête.

    Désormais publié aux éditions French Pulp, voici donc le dernier-né de la série consacrée à Luc Mandoline, cette fois-ci avec Stanislas Petrosky à la manœuvre. D’entrée de jeu, le ton est donné : on sera dans le décontracté. Assurément, l’auteur prend le relai de ses petits camarades de plume avec l’envie de s’éclater et de donner du plaisir à son lectorat, avec un univers trivial et de l’humour potache. Quelque part entre Frédéric Dard et Michel Audiard (dont il emprunte quelques citations en guise de clin d’œil), Stanislas Petrosky multiplie les calembours, réparties vachardes et situations cocasses. Dans le même temps, il soigne son intrigue, dans la droite ligne des précédents opus dédiés à L’Embaumeur, avec toujours ce soupçon d’âme et cette touche personnelle qu’apporte chaque auteur, comme Michel Vigneron, Hervé Sard, Maxime Gillio ou Jean-Christophe Macquet pour ne citer qu’eux. Au programme : le monde pénitentiaire, un dangereux malfrat surnommé « Le Turc » accusé de saloperies pédophiles, un reclus spécialiste en chimie, un gardien de prison corrompu jusqu’au coccyx et un bon paquet de magouilles pour faire le lien. Une sacrée dose d’humour, de la castagne, un Luc Mandoline accompagné de ses fidèles amis (dont le si précieux Sullivan), des courses-poursuites, des chantages, et quelques feux d’artifice.

    Un bon petit polar, détendu et détendant, répondant parfaitement au cahier des charges de la série, et qui procure à son lectorat plus qu’il n’en faut de rigolades et de bourre-pifs. Stanislas Petrosky s’est mis sans mal dans la peau de L’Embaumeur, on l’en remercie vivement, et l’on attend déjà impatiemment la livraison du prochain tome.

    29/08/2018 à 17:00 4

  • L'Assassin

    Chris Bradford

    8/10 Le mouvement anticorruption Notre Russie commence à prendre de l’essor alors que l’on s’approche à grands pas des élections présidentielles dans ce pays. A sa tête : Malkov, un homme richissime, bien déterminé à renverser la table et permettre à sa patrie de se débarrasser du fléau de la dégénérescence. Pour protéger le fils de Malkov, Feliks, l’agence Bodyguard délègue deux de ses meilleurs agents : Connor et Jason, qui sont également de farouches rivaux.

    Ce cinquième tome de la série Bodyguard met en avant les mêmes ingrédients que ceux présents dans les autres opus. On a de l’action à revendre, des héros irréprochables et prompts à affronter les situations les plus complexes, et un scénario suffisamment charpenté pour tenir en haleine son lectorat. Cependant, cet épisode gagne en tension et en profondeur par rapport aux précédents. En effet, ce n’est pas parce qu’il s’agit de littérature jeunesse que ce roman est tout en innocence et en pastel. Certaines scènes surprennent et désarçonnent, sans pour autant tomber dans les descriptions inutilement malsaines. Tout commence par le massacre d’une famille par des mafieux, un gamin étant abattu par les brutes. Par la suite, il existe un passage où un adolescent se fait torturer avec une agrafeuse. Enfin, une des parties finales s’achève par la mort violente de l’un des protagonistes de cette folle aventure. Indéniablement, Chris Bradford a su imaginer un récit propre à happer l’attention de ses lecteurs, et le rythme qu’il insuffle à la cadence des chapitres fait que l’on se les prend en pleine tête à la vitesse d’une noria de katas. Ce qui surprend également, et fort agréablement, se situe au niveau de l’intrigue, bien plus complexe qu’en apparence : de nombreux personnages apparaissent, et certains d’entre eux montreront un visage cruel totalement inattendu.

    Une belle réussite littéraire de la part de Chris Bradford, à la fois sombre et nerveuse, qui pose en outre de légitimes questions quant au rôle des élites politiques, la loi du talion ou l’état actuel de la Russie. On est déjà plus qu’impatient de pouvoir lire le sixième et ultime opus de la saga, Fugitive, à ce jour pas encore traduit en français.

    29/08/2018 à 16:56 2

  • Petit frère

    Christophe Lambert

    8/10 Un bon petit ouvrage, thriller fantastique, ou comment une famille, après le décès de leur fils de dix ans suite à une noyade accidentelle dans une piscine, en vient à porter ses espoirs en le faisant cloner puis grandir artificiellement dans une sorte de matrice, au sein d’un village isolé et surprotégé dans le désert américain. Christophe Lambert a signé un ouvrage court, où les premières pages placent d’entrée le couple Martin et leur fille Kimberley face à la mort de David. Une écriture soignée, parfois émouvante, toujours juste, et une série de réflexions pertinents et intelligentes, à la hauteur des jeunes consciences auxquelles s’adresse le roman, en plus de son lot de suspense. Parfois, le trait est un peu trop appuyé, et sans nécessité aucune (le côté raciste de cette chapelle scientifique), mais l’ensemble du livre est un véritable régal, alliant des références adéquates voire nécessaires aux pratiques sectaires, à la famille, au deuil et à la question centrale : jusqu’où est-on prêt à aller pour l’amour de son enfant ?

    09/08/2018 à 23:51 2

  • Le Mystère Dédale

    Richard Normandon

    8/10 Une très habile transposition du roman policier, avec ses codes connus de tous, dans le monde mirifique de la mythologie grecque, à moins que ça ne soit l’inverse. Hermès menant l’enquête, en partie avec Eros, pour découvrir qui a tué Dédale et l’a fait se jeter du haut d’une falaise. Tous les ingrédients sont là : les indices, les alibis des uns et des autres, les luttes de pouvoir entre dieux, les supercheries, rancœurs et rivalités, qui fournissent, au gré du roman, une astucieuse succession de suspects potentiels, jusqu’au dénouement final, dans le palais d’Athéna, où tous les protagonistes sont réunis et où Hermès livre la vérité. Un passionnant livre, érudit et instructif, à la portée des jeunes lecteurs auxquels il s’adresse, même si les adultes y trouveront sans le moindre mal beaucoup de plaisir. Et, en plus de cet aspect policier et de la culture qu’il dispense, cet opus est également un petit régal d’aventures et de malice, avec des épisodes intéressants, comme la régénération de la statue du Minotaure, le passage du Styx, la course-poursuite avec l’étrange scintillement, etc. Un ouvrage très séduisant et magique, sacrément original, et qui me donne très envie d’entreprendre la lecture d’autres livres de Richard Normandon.

    09/08/2018 à 23:49 3

  • Demandez au perroquet

    Donald Westlake

    8/10 Après les événements d’A bout de course !, Parker se retrouve en fuite, traqué par les forces de police. Dans sa cavale, il fait la rencontre de Lindahl, un type qui accepte de l’héberger. Mais ce n’est guère par altruisme qu’il fait cela : revanchard et désireux de rafler le pactole, Lindahl a besoin de Parker pour commettre un vol à l’hippodrome Gro-More. En effet, rien de tel que s’associer à un calibre comme ce truand pourchassé par la maréchaussée pour réussir, pas vrai ? Mais tout plan ingénieux connaît parfois des soubresauts inattendus.

    Sous le pseudonyme de Richard Stark, Donald Westlake signait ici en 2006 l’avant-dernier roman de la série consacrée à Parker. On y retrouve avec un régal jamais affadi ce truand, froid et professionnel, uniquement mû par l’appétit du gain, capable de pensées et réactions à la fois très crédibles et frappées au coin du bon sens, et dont l’économie des moyens déployés pour ses coups est à la mesure de son flegme. Ici, après avoir échappé de peu à une arrestation, il en vient à s’associer à un pauvre type, mais, bien évidemment, rien ne va se passer comme prévu. Il va en effet falloir compter sur Cal et Cory, deux frères aussi déterminés que prêts à user de la violence pour aboutir à leurs fins, un malheureux gars qui abat par erreur un SDF, ou encore deux agents de sécurité. Ce qui (d)étonne à chaque fois chez Donald Westlake, c’est l’efficacité de sa plume : tout y est fluide, naturel, sans grande démonstration littéraire ni travail forcené de la langue. Les mots et constructions narratives s’imposent d’eux-mêmes, presque élémentaires, et pertinents, ce qui renforce la crédibilité de l’histoire. A cet égard, les derniers chapitres sont hautement significatifs : une fusillade, des guet-apens et une conclusion délivrés dans des pages rendues véloces par la spontanéité des termes employés.

    Un petit régal de littérature policière, avec cette carte abattue du jeu de Donald Westlake. Un récit aussi pétulant que simple qui séduit de bout en bout.

    31/07/2018 à 08:58 6

  • Marconi Park

    Åke Edwardson

    7/10 Göteborg. Un cadavre est découvert. Pantalon baissé. Mains liées. Sac sur la tête. Un « R » peint sur un carton à côté du corps. Le policier Erik Winter et son équipe enquêtent. Le début d’une longue litanie de morts et de lettres, jusqu’à plonger dans un passé immonde.

    Ce douzième opus de la série consacrée à Erik Winter réjouit d’entrée de jeu. Il ne faut en effet attendre que la deuxième page pour que l’escouade de policiers soit confrontée au premier crime. Åke Edwardson emploie sa plume légère pour écrire son histoire. Que les férus de pétarades, courses-poursuites et autres fusillades mémorables passent leur chemin : ici, tout est vaporeux, en subtilité. On se prend rapidement d'affection pour les divers officiers, et surtout pour Winter. Capable de jolis traits d’humour, il tombe sous le charme musical de Michael Bolton, se remet au jogging, et est capable de poursuivre un suspect à vélo sur plusieurs chapitres. Dans le même temps, Åke Edwardson use de nombreux dialogues, secs et souvent teintés d’ironie, qui ravissent. L’intrigue ne constitue pas, en soi, une réussite mémorable. Sans rien vouloir dévoiler, les ressorts apparaissent vite et ont déjà été si souvent exploités par le passé, en littérature comme au cinéma, qu’ils ne font plus guère rebondir l’ensemble. Même si cette immersion vers une histoire ancienne où il est question d’une « bande au ballon » est intéressante, on la devine à plusieurs dizaines de chapitres à l’avance. Il reste cependant le style de l’auteur, apaisé, alternant le blanc et le noir, avec de si belles pages, comme ce quarante-et-unième chapitre où Winter est confronté au tueur et se pose de légitimes questions morales quant à l’empathie.

    Un ouvrage simple, tout en retenue, plus séduisant par son écriture et les peintures psychologiques qu’il livre que par son intrigue.

    31/07/2018 à 08:54 3

  • La Disparue de la cabine n° 10

    Ruth Ware

    8/10 On ne peut pas dire que Laura Blacklock mène en ce moment une vie de tout repos. Elle vient de tomber nez à nez avec un cambrioleur alors qu’elle était à son appartement, ne parvient pas à se débarrasser de son addiction aux antidépresseurs et à l’alcool, et ses amours avec Judah sont incertaines. Alors, lorsqu’on lui propose de partir une semaine dans un yacht pour multimillionnaires avec une dizaine d’autres invités afin de couvrir l’événement, la journaliste n’hésite guère. Au cours de la croisière, elle fait la rencontre d’une femme, occupant la cabine jouxtant la sienne, qui disparaît aussitôt, après que Laura a entendu un grand plouf. Le problème, c’est qu’aucun voyageur ne manque à l’appel…

    Après Promenez-vous dans les bois, voici le deuxième livre de Ruth Ware, un whodunit à la fois classique et très efficace. On se prend rapidement d’amitié pour Laura – appelez-la Lo, elle préfère, qui est une jeune trentenaire, à la fois faible en raison de ses dépendances pharmacologiques et alcooliques, mais sacrément pugnace. Elle n’hésitera d’ailleurs pas à mener son enquête sur cette étrange disparition que tout le monde prétend fausse puisqu’il n’y a pas de croisiériste manquant. C’est alors un habile jeu du chat et de la souris qui commence, au cours duquel Lo va tenter de percer les mystères de l’Aurora Borealis, ce bateau à la fois bien plus petit que ces traditionnels monstres des mers et suffisamment grand pour abriter des énigmes. Les divers suspects, transcrits en quelques rapides et habiles coups de plume, sont intéressants, qu’ils soient reporters, mannequins ou magnats, et présentent des profils auxquels Lo essaiera d’accrocher une pancarte « coupable ». L’ambiance est adroitement plantée, de la décontraction entre personnes opulentes jusqu’à la paranoïa croissante de notre héroïne. Des mots griffonnés sur un miroir embué, des traces de pas, un mascara ainsi que des photographies qui disparaissent, autant de signes annonciateurs qui démontrent que l’on en veut à Lo, au point de passer de l’intimidation au meurtre. Inutile d’attendre dans ce livre de Ruth Ware des scènes pétaradantes, des éruptions sanglantes ou un tueur en série aliéné : c’est bien plus du côté d’Agatha Christie que l’écrivaine va chercher son inspiration, sans pour autant tenter de copier la Reine du crime. Et c’est un régal de bout en bout, avec une réelle inspiration, une narration à la première personne qui crée une belle proximité avec miss Blacklock, un sens aigu du suspense, et quelques rebondissements très fins. On apprécie également les extraits de forums, messages sur les réseaux sociaux et autres SMS qui émaillent le roman. Et c’est sur des chapitres d’une tension maligne que se résout l’énigme, achevant de faire de cet opus une réussite en son genre.

    31/07/2018 à 08:48 4