El Marco Modérateur

3219 votes

  • Animal

    Sandrine Collette

    9/10 De Sandrine Collette, je n’avais jamais lu que le court polar « Une brume si légère ». Pour ce roman, j’ai vraiment été transporté du début à la fin. J’ai été happé par cette histoire, sombre et pourtant si humaine et crédible de Nun et de Nin, enfants frère et sœur pris dans la tourmente d’un Népal ténébreux et de leurs propres démons. Par la suite, la traque menée par ces sept individus (dont Lior et Hadrien) m’a largement tenu en haleine, notamment avec cet ours si intelligent et retors, avant un retour au Népal afin de boucler la boucle de cette histoire sans pareil. L’écriture de l’écrivaine est atypique, forte et poétique, narrant notamment de beaux passages dans les montagnes du Kamtchatka comme dans la jungle népalaise, avec, en ce qui me concerne, un moment particulièrement mémorable avec cette histoire d’appât. Et que dire de cette fin, tout à fait dans la continuité de cet opus à l’atmosphère pesante et empoisonnée, qui invite le lecteur à prendre la place de Mme Collette et imaginer son propre épilogue. Bref, une plume remarquable pour un ouvrage très noir qui, paradoxalement, me paraît plus relever de la littérature blanche en raison de son histoire, à mon avis très éloignée de l’univers policier.

    12/05/2020 à 08:54 5

  • Arctic-Nation

    Juan Diaz Canales, Juanjo Guarnido

    9/10 Toujours aussi fan du graphisme, sa profondeur et sa force de percussion. J’ai même préféré cet opus au précédent en raison d’une intrigue plus originale et musclée. Un régal intégral !

    09/01/2015 à 18:36 2

  • Atomka

    Franck Thilliez

    9/10 Comme les deux précédents opus (« Le Syndrome [E] » et « GATACA »), j’ai de nouveau beaucoup aimé cette enquête de Sharko et de Lucie. Encore plus qu’auparavant, j’ai l’impression d’être littéralement monté dans un ascenseur fou dès les premiers chapitres, avec une succession détonante d’événements, scènes, rebondissements, et pour moi, le rythme ne s’est nullement affaissé jusqu’au final. Très intrigué par les premiers éléments (le cadavre dans le réfrigérateur, ce gosse à l’état physique déplorable, les investigations du journaliste, etc.), je me suis sans mal laissé prendre à cette enquête, sacrément fournie et explosive. Et puis, il y a comme ça des thèmes qui m’intéressent, parce que je n’y connais strictement rien, et que lire un polar/roman noir/thriller n’a rien de contradictoire avec le fait de s’instruire. De Tchernobyl, de l’atome ou des effets du froid, je l’avoue bien humblement, je n’en savais que les (très) grandes lignes, et j’ai pris un immense plaisir à engranger, même momentanément, des informations à ce sujet. Dans le même temps, nos deux héros vivent, encore, un épisode charnière de leur existence collective, et de vieux démons du passé de Sharko réapparaissent avec énormément de violence, comme s’il n’en avait déjà pas assez avec cette histoire de noyades étranges et autres expérimentations abominables. Comme dans les deux opus précédents, même si je ne suis habituellement pas un aficionado de la surcharge scénaristique et des pans entiers de l’intrigue sans respiration, là, je n’ai rien pu faire contre le rythme du bouquin et je me suis laissé emporter. A mes yeux, c’est peut-être d’ailleurs, des trois que j’ai lus, celui qui parle le plus intensément de la vie et, paradoxalement, ou alors, au contraire, conséquemment, de la mort. Une réussite littéraire assourdissante.

    17/11/2019 à 18:41 6

  • Au Feu, les Pompiers

    M. J. Arlidge

    9/10 Une série d’incendies criminels vient embraser la ville de Southampton. Aucun fil directeur en les victimes, ni dans les zones touchées. Mais après les blessés, des décès sont à compter. La commandant de police criminelle Helen Grace et son équipe enquêtent sur cette affaire, qui réserve encore autant de combustions que de surprises.

    Ce quatrième volet de la série consacrée à Helen Grace séduit d’entrée de jeu. La plume de M. J. Arlidge est un festin : une écriture sèche et haletante, des chapitres diablement courts (cent quarante-deux pour un peu moins de cinq cents pages), et une variété des points de vue qui alternent à un rythme effréné. On se prend de passion pour l’héroïne, particulièrement douée, sagace et opiniâtre, et meurtrie par des penchants sadomasochistes. Les personnages sont tous léchés, croqués avec beaucoup de simplicité et de crédibilité, offrant ainsi une vaste palette humaine de tourments et d’épaisseurs psychologiques : l’écrivain évite avec intelligence le piège des individus sans âme, piètres faire-valoir des principaux protagonistes. On notera, notamment, la présence d’Emilia Garanita, journaliste machiavélique, prompte à dégainer des articles provocants. L’intrigue est singulière, parfaitement charpentée, jalonnée de multiples rebondissements, et qui allie vraisemblance et subtilité : sans vouloir rien dévoiler, le dénouement est en soi un modèle d’intelligence et d’étonnement, avec à la clef un épisode très poignant.

    Malgré son titre français très dispensable, cet ouvrage de M. J. Arlidge est un véritable bijou de malice et d’émotion. De quoi amplement donner envie de s’attaquer à d’autres opus de la série.

    15/03/2020 à 08:01 5

  • Au Nom du Bien

    Jake Hinkson

    9/10 Comté de Van Buren. Le pasteur Richard Weatherford est un homme respecté de tous ses paroissiens et de sa famille. Aussi, quand Gary Doane le fait chanter en échange de l’amnésie du jeune homme pour un ancien plaisir de la chair avec le révérend, ce dernier imagine déjà sa réputation démolie s’il ne lui donne pas les trente mille dollars attendus. Mais il y a des engrenages, inattendus et mortels, auxquels nul homme ne peut échapper, même un homme de Dieu.

    Après L’Enfer de Church Street, L’Homme posthume et Sans lendemain, voilà le quatrième ouvrage traduit en France de Jake Hinkson. Un roman qui surprend déjà par sa structure : chaque chapitre, narré à la première personne, permet d’avoir le point de vue de l’un des protagonistes. Et ils sont nombreux et croustillants. Le pasteur, bien évidemment, qui aura cédé au péché du sexe et s’en mord à présent les doigts, perclus de contradictions, et capable des pires atrocités pour l’abrogation de son errance charnelle. Son épouse, Penny, qui doute de la réalité de son union avec Richard, malgré les apparences qu’ils s’emploient à sauver. Gary, jeune homme sur le fil du rasoir. Sa copine, Sarabeth Simmons, qui a une étiquette sur laquelle est écrit « fille facile » dans le dos alors qu’elle est probablement plus vertueuse que nombre des ouailles du comté. Brian Harten, sans-le-sou, et qui aimerait bien pouvoir lancer un commerce de spiritueux dans le coin, même si les esprits et la loi n’y sont pas encore prêts (notez le titre original du livre : Dry County). Et il y a également Tommy Weller, ancienne gloire locale du baseball, propriétaire de plusieurs commerces, beau-père de Sarabeth et à la l’arrogance si ample qu’il a fait ériger une statue à son effigie. Des personnages crus, troubles, très crédibles, qui vont être entraînés dans un curieux et létal manège. Des interactions remarquables, pertinentes, sur fond de chantages, d’intimidations, d’appâts du gain, de rédemptions et d’amours incertaines, et tous ces pions vont être mus par une terrible mécanique scénaristique qui n’en laissera aucun indemne. Il y a du venin dans les mots de Jake Hinkson, de l’acide, et il se plaît à narrer les duplicités d’une population aux allures innocentes, bienveillantes et justes, alors qu’y sont enkystés tant d’idées pécheresses, élans coupables et autres rancœurs fétides. Et c’est justement là que la plume de l’auteur se commue en scalpel pour mettre à jour ces tumeurs perfides. C’est comme si l’auteur avait déposé un fallacieux vernis de probité au-dessus de sentiments décomposés avant de briser cet enduit à coups de marteau pour en laisser s’échapper les remugles nauséabonds, à moins que cette couche ne se soit fracturée d’elle-même en raison des forces maléfiques à l’œuvre, tapies en deçà de ces apparences trompeuses.

    Un style sobre et direct, sans la moindre fioriture, au service d’une histoire si noire qu’il eût été vain de vouloir l’embellir. Une réussite littéraire de la part de Jake Hinkson, en plus d’apporter un éclairage mordant sur les faux-semblants de toute société.

    22/09/2019 à 08:43 8

  • Auprès de l'assassin

    Élie Robert-Nicoud

    9/10 Comme tant d’autres, Mark et Jenny, un couple d’Anglais, ont quitté leur patrie pour s’installer en Dordogne avec leur fils Jimmy. Ils ont acheté une bâtisse qu’ils veulent transformer en chambre d’hôtes et couler des jours heureux. Leurs voisins, les Martin, sont des personnes rudes, et si l’amabilité envers les nouveaux arrivants est palpable, elle n’en demeure pas moins précaire et bancale. Le drame n’est alors pas loin.

    Louis Sanders n’a pas une bibliographie très épaisse ; aussi, il serait d’autant plus dommage de rater le rendez-vous – la sortie d’un de ses livres – qu’il nous donne. On retrouve donc avec plaisir la plume de l’auteur pour ce nouveau roman noir, simple et singulièrement efficace. L’auteur ne déroge pas à la règle de ses précédents ouvrages : il y sera question d’Anglais ayant émigré en Dordogne. Une obsession ? Certainement. Une routine littéraire, lassante ? Certainement pas. Car Louis Sanders n’a guère son pareil pour peindre, en peu de mots, un décor, une ambiance, une psychologie. Les mœurs rurales, les tensions de voisinage, les qu’en-dira-t-on, les querelles larvées, tout y est dépeint avec une causticité indéniable, sans jamais tomber dans le caricatural ou l’attendu. L’écrivain se balade dans cette contrée qu’il connaît si bien, dont il maîtrise les psychés et les habitudes. En cela, la première partie de chasse est en soi révélatrice de l’opus : lapidaire, presque élémentaire, saupoudrée d’un humour de bon aloi, et déjà révélatrice des sangs à couler. On retiendra tout au long du récit ces petits jalons, loufoques, presque burlesques, qui vont pourtant lentement amener le couple Mark-Jenny sur le bord du rasoir : l’achat d’un chiot, d’un poney, les bruits de la trayeuse que l’on en vient à compter tout au long de la journée pour savoir si le voisin est encore en vie. Il y aura également une noyade suspecte, une clôture étrangement défaite malgré le courant électrique qui la parcourt, ou encore des volailles décimées. Et tout autour de ce trombinoscope croustillant, d’autres personnages émergent, comme Jean-Louis, un maquignon affable, désirant absolument faire de Bluebell, le chien des Anglais, un molosse de chasse, et dont les derniers chapitres amèneront à bien des réflexions de la part du lecteur.

    Laissons de nouveau Louis Sanders nous prendre la main et nous dévoiler un autre Périgord, un Périgord noir pour paraphraser le titre de l’un de ses livres. L’excursion sera brève mais âpre et, surtout, infiniment crédible. Encore un nouveau coup d’éclat, après tout le bien que l’on a pensé de l’un de ses autres écrits. Un auteur indispensable pour les amateurs d’intrigues fortes, claires et enténébrées, dont le titre dévoile un double sens comme un fourreau révélerait une double lame. C’est court et sacrément noir : ne serait-ce pas la recette d’un hypothétique café périgourdin ?

    10/09/2016 à 18:33 5

  • Auschwitz

    Pascal Croci

    9/10 Lu peu de temps après sa sortie, mais j'en conserve un souvenir assez précis d'une lecture particulièrement émouvante. Un sujet archiconnu mais une thématique malheureusement impérissable, un graphisme en noir et blanc qui fait parfaitement écho à la douleur vécue par les protagonistes. Un petit bijou à la fois littéraire et historique, probablement l'une des plus belles BD sur ce thème si ma mémoire est bonne.

    19/01/2023 à 07:11 3

  • Aux Armes défuntes

    Pierre Hanot

    9/10 Assurément, Aux armes défuntes fait partie de ces ouvrages quasiment inclassables, quelque part entre le journal de guerre, le roman noir, le récit de science-fiction déjanté et l’exercice de style littéraire, et ce serait pour le moins évident de dire qu’il ne plaira pas à tout le monde. Pierre Hanot a signé une œuvre exigeante, bien loin de celles qui se laissent apprivoiser sereinement. C’est audacieux, troublant, parfois gênant. Une composition qui marque durablement les esprits à défaut de vouloir les séduire.

    14/05/2012 à 17:30

  • Avant l'aube

    Xavier Boissel

    9/10 1966. L’inspecteur à la Crim’ Philippe Marlin se voit confier avec ses collègues une affaire écœurante : le cadavre d’une jeune femme, en partie dépecé, est retrouvé sur la Petite Ceinture. Audrey Flanquart ne va guère tarder à devenir son obsession. Marlin vient de poser un premier pied dans un marécage fatal, une fange peuplée de personnages interlopes.

    Avec ce roman, Xavier Boissel saisit aux tripes. Dès les premières pages, on ressent la force de sa plume, à la fois poétique et désenchantée, et le reste de l’ouvrage est à l’avenant. Philippe Marlin est un protagoniste fort : ancien résistant, policier à la peau duquel colle une histoire de fusillade en pleine rue, c’est un individu ayant perdu de nombreuses illusions. Il est fan de jazz, un amour datant du temps où il était soigné pour ses blessures pendant la guerre, amateur d’alcool, n’ayant pour seule compagnie que son chat Duke, et ses coups de sang violents n’ont d’égal que son inculture et son inadéquation avec ses contemporains. La résolution du meurtre d’Audrey Flanquart le mène à affronter de sombres êtres, depuis des promoteurs peu scrupuleux à des hommes politiques fétides, et des membres du Service d’Action Civique. Un entrelacs de métastases, tantôt immobilières tantôt politiques, qui savent unir leurs forces pour assouvir des desseins uniquement dictés par l’appétit du gain. Xavier Boissel sait planter les décors et les âmes, et son style, remarquable, émaillant son récit de multiples citations dont on retrouve les auteurs en fin d’ouvrage, est un modèle du genre.

    Un roman riche, dense, et tissé d’infinis liens de ténèbres, se concluant dans un pavillon de chasse où l’on peut aussi bien achever les animaux que les êtres humains et les ultimes chimères que l’on peut encore conserver sur une société que l’on pense juste.

    20/04/2018 à 21:47 4

  • Baptism - Tome 02

    Kazuo Umezu

    9/10 … où l’on retrouve cette improbable fusion entre le cerveau de la mère et le corps de sa fille chez le professeur Tanikawa et son épouse, Kazuyo. Le plan de Sakura pour prendre la main sur le foyer est machiavélique, faisant de son mieux pour que Kazuyo passe pour une démente. L’auteur a très bien réussi à se renouveler dans ce deuxième tome, tournant habilement la page du premier opus pour repartir sur celui-ci, fort réussi. Nakajima continue d’avoir des doutes quant à l’identité réelle de sa camarade, et cette dernière poursuit ses manœuvres de séduction (certaines scènes peuvent d’ailleurs choquer, esthétiquement parlant, avec des rapprochements corporels entre un adulte et une gamine de dix ans, alors qu’en vérité, c’est une dame d’âge mûr). Une immense réussite, d’autant que ce manga date de 1974 et était donc très en avance, du point de vue scénaristique, sur pas mal de romans et de films.

    24/05/2020 à 17:57 2

  • Birdman

    Mo Hayder

    9/10 Un thriller très âpre, dur au possible, avec ue intrigue vraiment forte !

    19/06/2006 à 18:10 1

  • Black Rain S01//E3-4

    Christophe Debien

    9/10 Avec ce deuxième livre de sa saga, Christophe Debien continue de proposer une aventure détonante, sans équivalent dans le paysage littéraire. Elle secoue autant les tripes qu’elle passe au shaker les méninges du lecteur. Exigeante, visionnaire et ébouriffante, elle constitue probablement, à l’heure actuelle, la série littéraire pour les jeunes la plus explosive qui soit, nourrissant dans le même temps de très fortes attentes quant aux suites.

    09/03/2013 à 11:49

  • Blackout Baby

    Michel Moatti

    9/10 Dans le Londres de ce début 1942, la Luftwaffe n’est pas nécessairement l’ennemi le plus angoissant. Un individu, que la presse surnomme déjà le Blackout Ripper, massacre des femmes. Un cabinet réunissant des élites politiques et policières craint qu’il s’agisse de l’œuvre d’une cinquième colonne, de communistes, ou de suppôts nazis, afin de terroriser la population. Un ancien policier, Walter Dew, va rencontrer Amelia Pritlowe, afin qu’elle l’aide à arrêter ce monstre. Car il se pourrait que ce dernier ait déjà en tête un plan bien plus abject et abominable…

    Après Retour à Whitechapel, Michel Moatti signe le deuxième tome de la série consacrée à Amelia Pritlowe. Dans le précédent opus, elle se découvrait être la fille de l’une des victimes de Jack l’Eventreur, et c’est parce qu’elle a réussi à mener à bien sa traque que la police se tourne vers elle pour cette chasse à l’homme. Il est d’ailleurs à noter que les deux ouvrages ne doivent pas particulièrement être pris dans l’ordre, d’autant qu’aucun spoiler ne vient gâcher cette éventuelle lecture désordonnée. Nous avons ici un tueur en série particulièrement sadique et dérangé, dont l’auteur nous restitue avec intelligence la genèse : un être ayant voulu s’élever au-dessus de sa condition en profitant de sa nyctalopie, mais surtout sujet à de fortes céphalées et rabroué par ses contemporains. Sa rédemption, il croit la trouver dans la lecture et l’application des préceptes ésotéristes de l’occultiste Aleister Crowley. Le récit apparaît parfois classique dans sa mise en œuvre – sa rythmique, pourrait-on dire – avec la montée en puissance de l’assassin, la rencontre avec son bien involontaire mentor, les indices qu’il laisse sur les lieux de ses perversions, etc. Néanmoins, Michel Moatti est un écrivain de premier ordre, qui sait donner vie à une multitude de personnages, avec une réelle densité : Amelia, à la fois hésitante à se remettre en service, comme Dew, qui n’est que zones d’ombre, et ayant à se racheter de n’avoir pu arrêter, un demi-siècle plus tôt, Jack L’Eventreur. C’est aussi un portrait saisissant de Londres durant le Blackout, des montées d’angoisse à la pénurie alimentaire, de la gestion des nombreux blessés et mutilés – Amelia officie comme infirmière quotidiennement à leur côté – à la crainte d’une attaque de plus grande envergure. Car, en homme instruit et ayant amplement préparé le terrain de ce livre, Michel Moatti a nettement mis en relief des situations et opérations rappelant le joueur de flûte de Hamelin ou encore le Massacre des Innocents par Hérode. Autre fait troublant tout autant que marquant : Gordon Cummins, le tueur en série, a réellement existé, et dans des conditions particulièrement proches de celles décrites tout au long du livre. Certes, dans sa postface, l’écrivain admet lui-même avoir pris quelques libertés avec l’historicité de certains faits et personnages, mais ces très rares licences littéraires mettent néanmoins bien en avant à quel point le réel et le fictif peuvent se rejoindre dans le sang.

    Voilà donc un thriller historique de premier ordre, qui vaut moins pour certains passages attendus que l’immense qualité de sa narration, le trouble qui naît lorsque l’on sait qu’il est inspiré de faits réels, et qu’il se déroule dans une ambiance singulièrement alarmante ayant peu servi de toile de fond à la littérature policière. Pour l’anecdote, John Lawton s’est servi de ce cadre à la fois historique et géographique dans Black-out, tandis que Jean-Marc Ligny évoque Aleister Crowley dans La Ballade des perdus.

    15/12/2016 à 18:25 3

  • Blackwood

    Michael Farris Smith

    9/10 Vingt ans après avoir vu son père se pendre, Colburn Evan est de retour dans la bourgade de Red Bluff, dans le Mississippi profond. Il a répondu à une petite annonce pour occuper un salon qu’il loue pour rien et s’adonne à l’art contemporain. La cité est depuis longtemps envahie par le kudzu, une plante grimpante qui phagocyte les lieux avec l’acharnement d’une marée verte. Tous ne voient pas d’un bon œil le retour du jeune homme, sauf Celia, la fille de la diseuse de bonne aventure que son défunt père consultait. La disparition de jumeaux risque de rouvrir des plaies encore mal cicatrisées.

    Après les très bons Une Pluie sans fin, Nulle part sur la terre et Le Pays des oubliés, Michael Farris Smith nous revient pour notre plus grand plaisir avec ce roman sombre et entêtant. Ce qui frappe l’esprit en premier, c’est sa prose : déstructurée, fracassant discours directs et indirects, désorganisant les dialogues et faisant écho aux démons qui tourmentent nos protagonistes ainsi que cette petite ville. Le livre, assez court, compile ce qui se fait de mieux dans le domaine : des personnages accidentés, aux trajectoires de vie brisées, déchirés par des passés abimés, et tâchant de vivre, voire de survivre, comme ils peuvent. L’inquiétante disparition de frères jumeaux viendra allumer la mèche de l’implosion tant attendue, tant redoutée. Michael Farris Smith décrit avec une immense économie de mots et d’effets les traumas, les ambiances lourdes, les carambolages entre des individus pour qui tout espoir semble impossible. Les scènes, pourtant courtes, peignant cet étrange couple de vagabonds accompagnés de leur fils tout aussi inquiétant, sont en soi de purs bijoux de noirceur. Les tensions vont aller en s’exacerbant, et l’épilogue, en deux temps, alterne la fièvre d’un dénouement inattendu et ténébreux, et une mort en approche qui remuera même les âmes les plus froides.

    Un ouvrage fort et mémorable, qui n’a nullement besoin d’accumuler les pages et chapitres pour soulever les cœurs et les tripes. Un récit puissant, peuplé de personnages tout ce qu’il y a de plus simples, dépouillés de toute espérance et d’aspiration au bonheur. Michael Farris Smith offre un sublime porte-voix à ces êtres oubliés par la félicité.

    12/12/2023 à 07:00 5

  • Blanche et la bague maudite

    Hervé Jubert

    9/10 Avec son effervescence créatrice, sa restitution de lieux et époques passés, et sa plume émérite, Hervé Jubert signe un véritable bijou, aussi magnifiquement taillé et ensorcelant que le joyau après lequel courent tant de ses créatures d’encre dans cet ouvrage. En sera-t-il de même pour Blanche et le vampire de Paris ? Très probablement. L’on en vient surtout à se poser une question hautement improbable – à étudier dans la tempérance que nécessite l’emploi de tels termes – et pourtant si évidente à la lecture de telles réussites littéraires : Monsieur Hervé Jubert, pourquoi ne violenteriez-vous pas le concept de la trilogie pour lui donner de nouveaux enfants ?

    17/06/2015 à 16:48 1

  • Blanche et le vampire de Paris

    Hervé Jubert

    9/10 Avec ce troisième opus, Hervé Jubert boucle sa série consacrée à Blanche. On reconnaît immédiatement le style si agréable de l’auteur : une plume éloquente, enfantant de nombreuses scènes visuelles, et un goût prononcé – sans jamais être lassant ou démonstratif – pour restituer avec une fidélité croustillante des lieux et une époque révolue. Ici, Blanche est aux prises avec un assassin qui pourrait être un vampire. Les fausses pistes abondent, les suspects également, et l’on ne cesse de parcourir la Capitale en cette année 1873 pour une traque prenante et efficace. Un peu plus court que les précédents ouvrages, cet épisode met également plus en lumière Gaston Loiseau, perspicace et têtu, sachant se déguiser et n’hésitant pas à malmener un collègue pour préserver l’authenticité de son travestissement. Au gré d’une intrigue qui se dénoue à la vitesse d’un couperet en pleine chute, Hervé Jubert invite le lecteur à un périple échevelé où il ne fera pas que croiser – puisqu’ils viendront apporter une aide plus ou moins directe à la résolution de l’histoire – des personnages illustres comme Sarah Bernhardt, Georges Bizet et Harry Houdini.

    Un bien bel épilogue pour une trilogie particulièrement réussie, qui se destine autant aux jeunes lecteurs qu’aux adultes.

    29/07/2015 à 08:47

  • Blood & Sugar

    Laura Shepherd-Robinson

    9/10 Juin 1781. Sur les docks de Deptford, on retrouve le cadavre pendu de Tad Harcher, ardent défenseur de la cause abolitionniste. Son corps a été martyrisé et marqué au fer rouge, comme du bétail, comme un esclave. Sa sœur va alors trouver Harry Corsham, vétéran de la Guerre d’indépendance des Etats-Unis et versé en politique. Corsham va tenter de comprendre ce qui a mené Tad à sa perte, quitte à remonter vers d’atroces pans du passé.

    Ce premier ouvrage de Laura Shepherd-Robinson saisit dès les premiers instants. Sombre, âpre, tourmentée, son écriture fait amplement écho aux tragédies que l’écrivaine va brosser. Ayant réuni un abondant socle de documentation, l’auteure nous fait basculer sans le moindre mal dans cette Angleterre de la fin du XVIIIe siècle, largement acquise à la cause de l’esclavagisme, même si des remous antagonistes à la traite négrière se font entendre. Dans le même temps, elle nous décrit avec brio la crasse, la corruption, les trafics, la prostitution et les vicissitudes de Deptford qui s’opposent avec d’autant plus d’éclat à Greenwich et à ses oligarques. L’intrigue est un pur bijou : si l’histoire autour de ce navire « L’Ange noir » et ses trois cents trois esclaves sacrifiés est fictive, elle s’inspire directement du massacre du Zong. C’est épouvanté, même si l’on connaissait déjà l’asservissement d’êtres humains et leur statut de simple marchandise, que l’on replonge dans cette époque dégagée de la plus élémentaire des empathies pour ces malheureux. Mais Laura Shepherd-Robinson va au-delà de cela, puisque son histoire réserve encore bien des rebondissements, et son récit va se montrer bien moins attendu que prévu, voire dédaléen, puisque chacun des personnages dépeints dans son roman possède sa part d’ombre et de potentiels motifs de s’en prendre à Tad, d’autant que d’autres homicides, particulièrement ignobles, vont jalonner l’investigation de Corsham. Les ignominies, lâchetés et autres vengeances afflueront, des sévices sexuels à la pédophilie en passant par l’homophobie. Corsham, en enquêteur improvisé, blessé à la jambe de la bataille de Saratoga, s’y révèlera fort pugnace, parfois accompagné du fantôme de Tad qui l’a aimé et continue de lui parler.

    Quoi de plus adéquat, pour parler du commerce du bois d’ébène – expression soi-disant bienséante pour désigner la traite négrière – qu’un roman noir ? Laura Shepherd-Robinson s’impose en un seul ouvrage par la férocité de sa plume et la complexité de son intrigue, servant avec brio son aspect policier comme le devoir de mémoire qui l’accompagne.

    13/04/2022 à 08:04 8

  • Blood Father

    Peter Craig

    9/10 par El Marco aujourd'hui

    Lydia a dix-sept ans et elle est en cavale. Son amant et pygmalion, Jonah, est mort. Elle vient de lui tirer dans la gorge. Jonah était un escroc, spécialiste de la drogue, sa création et son transport. Mais quand il lui a demandé d’abattre un homme, Lydia a refusé et tourné le canon de l’arme contre ce caïd. Désormais, elle doit fuir les anciens compagnons du défunt. Elle ne peut trouver de l’aide qu’auprès d’une personne : John Link, son père. Pour ce dernier, ce sera peut-être la dernière occasion de renouer avec sa fille.

    Peter Craig n’a pas une bibliographie très riche, avec trois ouvrages parus, dont seulement deux parus en français. Et le moins que l’on puisse dire, après avoir lu ce Blood Father, c’est que la qualité vient pallier la piètre quantité. Ces presque quatre-cents pages tiennent de la virtuosité littéraire. Le lecteur est placé, dès le premier chapitre, dans l’épicentre du meurtre qui bouleversera à jamais la vie de Lydia puis de John. Les mots sont fabuleux, choisis avec un goût rare, oscillant entre poésie et réalisme cru. Peter Craig a opté pour le choix judicieux des flashbacks, nous permettant de mieux connaître les divers protagonistes. John, biker, mouillé dans de nombreuses histoires de drogue, mis en prison pour le meurtre de l’un des siens qui l’a trahi, capable d’ouvrir des flots entiers pour protéger sa gamine, tenter de rattraper le temps perdu, lui inculquer quelques fragments d’éducation, et bien évidemment la sauver. Un personnage remarquable, loin des clichés inhérents du genre. Lydia, dont la naissance fut déjà compliquée, devenue ensuite une enfant colérique, autodestructrice et mal dans sa peau, au point de fréquenter les pires engeances de la terre. Ursula, mère de Lydia, ayant succombé au charme viril et atypique de John, et ayant rapidement abandonné sa charge de tutrice face aux frasques de sa descendance. Et Jonah, terrible manipulateur, à la fois chargé de colères brûlantes et animal à sang froid, et à propos duquel le dix-septième chapitre livre un rebondissement enthousiasmant. Des individus forts, denses, aux trajectoires faites d’angles torturés et de lignes brisées. Peter Craig n’en oublie pas quelques salutaires touches d’humour, notamment dans les dialogues père – fille. Au fil de ces pages d’une immense justesse ponctuées de scènes mémorables – l’arrivée des copains de Jonah devant la caravane de tatouage de John, le proto-État que le Prêcheur a voulu instaurer pour les Hell’s Angels, ou l’épisode final dans le désert –, l’auteur déploie un rare talent de conteur, trouvant toujours les mots justes pour décrire l’être humain dans ce qu’il a de plus profond, entier et complexe. Une littérature de haute volée, entre le blanc et le noir, qui nous grise. A noter, une anecdote amusante : dès la deuxième page, Lydia repère une publicité pour un film qui dit : Il a le pouvoir d’entendre les pensées des femmes…. Il s’agit du film Ce que veulent les femmes avec Mel Gibson, le même acteur qui va incarner, onze ans après la sortie du roman, le rôle de John Link dans son adaptation cinématographique.

    09/01/2018 à 20:32 5

  • Braquages

    Christian Roux

    9/10 Sonia, Paol, Jack et Louis, tous SDF, sont approchés par un homme mystérieux, Hensley, pour un contrat : commettre plusieurs braquages. Les quatre vagabonds acceptent et sont soumis à un entraînement militaire pour devenir de véritables professionnels. Lorsqu'arrive le jour du premier de ces hold-ups, le coup d'essai tourne au désastre. C'est au commissaire Degrave et à son équipe qu'incombe la tâche de résoudre une affaire bien plus glauque et complexe qu'il n'y paraît.

    Premier roman de Christian Roux, Braquages constitue un roman noir d'une rare force de percussion. Justement récompensé par le prix du Premier Polar SNCF 2002 et du prix Polar 2003 de Saint-Quentin en Yvelines, ce livre parvient à allier plusieurs genres ainsi que leurs qualités attendues : la férocité de la dénonciation sociale et politique que ne renierait pas Jean-Bernard Pouy, la rigueur d'une intrigue policière soigneusement structurée, et le sens aigu du suspense. Les personnages sont tous habilement peints, depuis les SDF, malheureux oubliés d'une démocratie décidément amnésique, jusqu'aux divers truands, tous marquants et inquiétants. Au sein de ces individus, le commissaire Degrave se montre très attachant en policier intègre, dont le fils Petit Pierre a lentement glissé vers la mouvance d'extrême-droite et définitivement perdu ses repères. Au fil des chapitres de ce roman assez lapidaire, les protagonistes se frôlent, se croisent, s'entrechoquent, jusqu'à une destruction qui n'épargnera personne, sur le plan physique ou moral. Si le trait est parfois un peu épais, il faut reconnaître à Christian Roux plusieurs talents : il a conçu une histoire solide, réservant bien des surprises, peuplée d'individus d'une grande justesse humaine ou inhumaine.

    Braquages, au-delà de son aspect policier, est un immense roman noir. Il y est question de déchéance, de remords, de rédemption. La clef de l'histoire se situe peut-être justement dans ce pluriel attribué au titre : et s'il y avait plusieurs niveaux de braquage ? Qui, parmi tous ces personnages qui auront vécu, subi et péri dans le cercle restreint de ces deux cents quatre-vingts pages, n'aura pas été lui-même la victime d'un casse psychologique ?

    22/09/2010 à 12:51 1

  • Brume

    Stephen King

    9/10 Un recueil de nouvelles absolument génial ! C'est un devoir que de posséder cet ouvrage !

    04/04/2006 à 18:32 2