El Marco Modérateur

3219 votes

  • Islanova

    Jérôme Camut, Nathalie Hug

    8/10 Julian Stark ne s’attendait pas à ça : en rentrant chez lui, il découvre sa fille, Charlie, au lit avec Leny, son beau-fils. Les deux adolescents décident de quitter le domicile et fuient vers une nouvelle ZAD, sur l’île d’Oléron. Cette enclave, naissante, est tenue sous la poigne d’un homme qui se fait appeler Vertigo, qui mène une escouade d’écologistes convaincus, les 12 – 10. Pour Charlie et Leny, le début d’une aventure humaine et citoyenne. En réalité, le début d’un cauchemar dont nul n’a entraperçu la tragédie à venir.

    Ce nouveau roman de Jérôme Camut et Nathalie Hug impressionne d’entrée de jeu par son format : on avoisine les huit cents pages ! Choral, scindé en cent soixante chapitres, cet ouvrage remue, à sa lecture, par l’énergie qui s’en dégage. Celles et ceux qui auront déjà lu les livres de la série W3 retrouveront cette écriture simple et très efficace des deux auteurs, mettant avec justesse en relief les psychologies et sentiments de personnages variés, souvent malmenés, et dont les destinées brutales vont s’entrechoquer. Ici, c’est le principe de la Zone À Défendre qui constitue le thème central. Une parcelle du territoire français, pris de force par un groupe d’activistes ayant pris comme pseudonyme la date de la découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb, ce qui a amorcé à leurs yeux le partage de la surface terrestre entre les grandes hégémonies nationales et capitalistes. Le roman s’attache à démontrer les dérives et atrocités pratiquées par les sociétés modernes, consuméristes, égoïstes et malveillantes. Et c’est dans cet écrin de l’île d’Oléron, proto-État, que doit naître une nouvelle patrie, pour une vision alternative de l’humanité et du partage de ses richesses. Une véritable ode à l’engagement civique et à la prise en main d’un destin mondial commun. Jérôme Camut et Nathalie Hug n’en oublient nullement de placer beaucoup d’actions et de péripéties dans leur opus : des fusillades, des trahisons, une intelligence artificielle redoutable, des scènes très visuelles, voire cinématographiques, et des événements spectaculaires qui iront également se dérouler bien au-delà de cet archipel, avec une fin suffisamment ouverte pour laisser augurer une éventuelle suite. Certes, quelques points pourront faire soupirer certains lecteurs voire les rebuter : une certaine candeur dans les idéaux exposés, des moments peut-être trop hollywoodiens et assez peu crédibles. Mais le souffle de l’aventure ne retombe jamais, du prologue à l'épilogue, mû tout autant par une volonté de distraire que de poser des questions nécessaires même si toutes les réponses ne sont pas obligatoirement adéquates.

    Encore un très bon roman de la part de l’entité CamHug.

    06/06/2018 à 18:04 5

  • L'Assassin des ruines

    Cay Rademacher

    9/10 Hambourg, 1947. L’Allemagne tente de panser ses plaies. Le froid martyrise la population, tandis que tout manque : nourriture, vêtements, bois, etc. On découvre un cadavre anonyme dans les ruines. Frank Stave, Polizei-Oberinspektor, doit mener l’enquête aux côtés de Lothar Maschke, un collègue des mœurs, et MacDonald, représentant la tutelle britannique. Et quand d’autres morts sont retrouvés, les policiers savent que quelque chose de particulièrement grave est en train de se tramer.

    Nouveau venu dans le cercle des auteurs de polars, Cay Rademacher fait très fort avec ce roman. D’entrée de jeu, le lecteur est plongé dans la tragédie hambourgeoise, simple miroir grossissant de la situation allemande. Un mois de janvier particulièrement hiémal. Des rationnements insupportables, conduisant la population à l’impensable. Le marché noir, pieuvre monstrueuse et imparable. Et une reconstruction qui tarde à s’amorcer, tandis que les vainqueurs se partagent encore le territoire national. A cet égard, l’auteur réussit de main de maître l’exercice de l’immersion, sans jamais que cela ne devienne pesant : les descriptions faites de la cité sont à la fois saisissantes de réalisme et inoubliables. Dans le même temps, le personnage de Frank Stave est très réussi : il a perdu sa femme dans un bombardement et est toujours sans nouvelle de son fils unique Karl, embrigadé dans les derniers jours de la guerre sur le front de l’est. Pugnace, assez fin, il est d’ailleurs un protagoniste que l’on retrouvera sous peu dans d’autres enquêtes, puisque c’est avec cet opus que s’inaugure une série centrée sur lui. D’autres individus sont également à l’honneur : Maschke, fumeur invétéré ; MacDonald, ayant une liaison avec la secrétaire de Frank, ou encore Ehrlich, procureur combattif bien décidé à purger sa patrie du démon nazi. L’intrigue est riche et réussie, tout en se montrant crédible : s’inspirant d’un fait divers non résolu, Cay Rademacher signe une histoire très prenante, sans effet de mauvais aloi et pétarade hollywoodienne, où les enquêteurs sont des limiers embarqués sur le long terme – le récit s’étale du 20 janvier au 18 mars, à la recherche d’indices, interrogeant les éventuels témoins, fouissant dans les dossiers, et c’est un entrelacement d’indices qui va permettre à Frank de comprendre les raisons de ces crimes. Une origine qui prendra une proportion toute particulière pour les lecteurs français.

    Une entrée remarquable dans le cénacle policier, avec cette intrigue dense et prenante, et s’articulant sur une période et un lieu décrits avec une réelle maestria. Les amateurs de polars comme d’histoire – avec une majuscule, pour l’un comme pour l’autre – se doivent de ne pas rater ce rendez-vous.

    16/10/2017 à 18:46 10

  • Le Syndrome E

    Franck Thilliez

    8/10 Moi qui n’avais pas lu du Franck Thilliez depuis longtemps, voilà que je m’y suis replongé avec cet opus… avec délice. J’ai tout de suite été embarqué par cette histoire, folle, démente, énergique, où la plume de l’auteur fait merveille. Si les beaux mots et formules lyriques ne sont que rares, je trouve que l’écrivain use surtout d’une forme de simplicité très efficace, façon page-turner. Des chapitres courts, dynamiques, s’enchaînant à merveille, anéantissant tout souffle, tout temps mort. Beaucoup de notions sont abordées dans cet opus, avec minutie, discernement et clairvoyance : la folie, la vue, le cerveau, les expériences médicales, les hystéries collectives, les techniques de cinéma, les génocides, etc. Je n’ose imaginer le temps qu’a passé Franck Thilliez à se documenter, retenir cette myriade d’informations puis s’en servir pour bâtir puis mener son histoire. Dans le même temps, j’ai pris plaisir à retrouver Sharko et Lucie, pour une joie décuplée dans la mesure où tous deux mènent de conserve leur investigation, en France, mais aussi en Egypte et au Québec, pour retrouver et mettre à nu les racines de ces crimes monstrueux. Lui, toujours aussi borderline, hanté par le fantôme de sa fille, obnubilé par les trains miniatures et les baignoires ; elle, esseulée avec ses deux enfants. Leur rapprochement, d’abord purement professionnel, va donner ensuite lieu à une alliance sentimentale, et j’ai hâte de savoir comment va évoluer cette relation, d’autant que l’ouvrage s’achève sur un événement parfaitement inattendu, et qui va certainement avoir des incidences sur leurs rapports. Même si je ne suis pas fan des histoires de complotisme, je dois dire que j’ai été soufflé par le tempo presto, m’être pris pas mal de claques au passage avec des rebondissements et des notions qui, non seulement m’étaient inconnues, mais m’ont en plus bien fait froid dans le dos. Oui : ne serait cette histoire de complotisme qui n’est, très subjectivement, pas ma tassé de thé, c’est presque un sans-faute littéraire pour moi.

    14/09/2019 à 08:26 10

  • Les Lois du ciel

    Grégoire Courtois

    9/10 Douze enfants d’une classe de CP partent en excursion dans une forêt de l’Yonne avec trois adultes accompagnateurs, leur instituteur et deux mères d’élèves. Une sortie tout ce qu’il y a de plus banal en apparence, pour retrouver les joies de la vie en communauté et le plaisir de la découverte sylvestre. Pourtant, une succession de drames inimaginables vont faire basculer la nuit en tragédie.

    Grégoire Courtois, dont on avait déjà adoré Suréquipée, signe ici un livre noir. Très noir. Peut-être l’un des plus noirs qu’il ait été donné de lire. Une plongée sans la moindre concession dans la violence, l’horreur et la sauvagerie, toutes les trois on ne peut guère plus humaines. En moins de deux cents pages, l’écrivain livre un véritable brûlot, incendiaire et incendié, un magma de brutalités et de férocités. Lors de cette sortie, tout s’annonce pourtant bien, ou au moins sans le moindre nuage d’alerte venant planer au-dessus des quinze têtes. Pourtant, dès la sixième page, l’image d’un escargot volontairement écrasé par un gamin turbulent indique la tournure à venir. Rapidement, les troubles se multiplient : une accompagnatrice atteinte de diarrhée qui doit partir, une autre qui ne retrouve pas le campement, une erreur d’inattention d’un conducteur à cause d’un geste inopportun, et un enseignant qui se lance dans la narration d’un conte à propos d’une souris, de goëlands et d’une parabole intitulée « Les Loi du ciel », et le sang jaillit. Il y sera alors question de folie, de survie, de bois enténébrés dans lesquels les gamins, livrés à la démence meurtrière de l’un d’entre eux, vont faire le terrible apprentissage de la terreur et de la souffrance. Non loin de Sa Majesté des mouches ou du film Délivrance, se tient ce roman monstrueux de Grégoire Courtois. Un opus d’autant plus sidérant qu’il n’y a ici aucun effet facile, pas de grosse ficelle ou de twist scénaristique, auxquels un auteur en mal d’inspiration aurait pu faire appel. C’est la lente désagrégation d’un groupe de mômes, éclaté par l’aliénation cruelle de l’un des leurs, et qui vont subir d’atroces répercussions, depuis des pièges vénéneux jusqu’au malheureux accident routier en passant par l’intervention d’un sanglier affamé. Indéniablement, cette histoire ne saurait plaire à tout le monde, car l’accent est posé avec force sur la bestialité humaine, la perte des valeurs les plus élémentaires et l’anomie totale, avec un trait si violent qu’il en viendrait presque à perforer le papier. Quiconque lira les pages gores concernant le sort de Fred, l’instituteur, ou le repas final du sanglier, ne pourra qu’acquiescer.

    Un ouvrage barbare, qui porte le lecteur à ressentir un flot d’émotions âcres et contraires, de la fascination au dégoût, de l’empathie à la violence. Une pépite de primitivité qui secouera indéniablement, notamment en raison de l’âge des pauvres protagonistes de cette courte et sombre mésaventure.

    19/11/2018 à 18:03 10

  • Nuit sans fin

    Lincoln Child, Douglas Preston

    8/10 Deux gamins découvrent un cadavre. Fait obscène : la tête est manquante. La victime est rapidement identifiée : il s’agit de la fille d’un nabab des nouvelles technologies ayant fait fortune dans le domaine des plateformes de musique sur Internet. C’est ensuite un avocat véreux qui est assassiné dans son appartement, véritable bunker protégé par une myriade de systèmes de sécurité, avant que sa tête ne soit également tranchée. La liste des victimes ne fait que s’allonger tandis que le NYPD ne parvient pas à comprendre les motivations de ce tueur sans pitié et redoutable, dont la route va, à un moment ou un autre, croiser celle de Pendergast.

    Ce dix-septième opus de la série consacrée à Pendergast est un nouveau régal. D’entrée de jeu, la plume de Douglas Preston et de Lincoln Child envoûte, avec son apparente simplicité qui dissimule une efficacité redoutable. Les chapitres, courts et endiablés, alternent si vite que l’on ne voit guère défiler les quelque trois cents soixante pages de ce livre. Comme d’habitude, les auteurs ont pris soin de faire intervenir des personnages secondaires savoureux, comme ce journaliste sur le retour avide de scoops au point de tisser une théorie vite lucrative, ou encore ce jésuite s’inspirant des théories de Savonarole. L’intrigue est également bien bâtie, préservant un long suspense avant que la vérité n’apparaisse. Si les motivations profondes du psychopathe ne sont guère originales, les derniers chapitres, haletant combat entre ce monstre et Pendergast, sont palpitants, et l’on comprend les origines du bouleversement psychologique de cet individu, si retors et dément. L’agent spécial Pendergast ainsi que son fidèle ami D’Agosta devront redoubler d’efforts, tant physiques que moraux et intellectuels, pour contrer les plans de ce forcené.

    Un nouvel ouvrage brillant et sémillant, qui prouve, si l’on en doutait encore, que cette saga est l’une des meilleures de la littérature policière actuelle.

    30/08/2018 à 09:57 5

  • Offrande funèbre

    Lincoln Child, Douglas Preston

    8/10 Une série de crimes étranges secoue New York : des cœurs tout juste arrachés à des victimes sont laissés sur les tombes de femmes suicidées bien des années plus tôt, accompagnés de formules poétiques. Parce que le directeur adjoint de l’antenne new-yorkaise du FBI Walter Pickett veut se débarrasser de l’encombrant inspecteur Pendergast, il lui associe, de force, le jeune agent Coldmoon, et il espère profiter de son prochain faux pas pour le faire tomber. Pour Pendergast et son acolyte, c’est le début d’une enquête qui va les voir affronter un ennemi saturé de contradictions… et aussi lyrique que mortel.

    Ce dix-huitième tome de la série consacrée à Pendergast est une nouvelle réussite. Comme on retrouve un vieil ami à un rythme régulier (un par an), cet opus nous permet de renouer avec l’inénarrable inspecteur Pendergast, stupéfiant alliage de civilité, d’intelligence, d’opiniâtreté et d’efficacité. Ici, il s’agit pour lui de mener, en quelques sortes, deux investigations distinctes : celles concernant ces récentes victimes dont les cœurs ont été prélevés, et ces femmes suicidées par pendaison il y a onze ans. Un épisode qui permettra, une fois de plus, de noter qu’il n’a rien perdu de son esprit et de son sens remarquable de l’observation. Douglas Preston et Lincoln Child font un magnifique étalage des capacités policières de ce protagoniste hors du commun, qui va ici se frotter à un assassin particulièrement malin et déterminé, mais dont le profil psychologique réserve bien des surprises. Il ne s’agit pas là d’un énième tueur en série dont on connaîtrait sur le bout des doigts, avant même de les voir dévoilés, ses traumas, ses déviances et ses maux. C’est avant tout un être brisé, en quête de rédemption, et dont l’épilogue à son égard ménage tout autant l’aversion légitime que l’on peut ressentir pour lui qu’une forme indéniable d’empathie. Tout à tour limier aussi perspicace que Sherlock Holmes (une scène en forme de clin d’œil attend les fans de ces deux enquêteurs dès le début du livre), brillant psychologue au point d’exploiter l’impact médiatique pour mener à bien sa mission, et guerrier face à des hommes résolus comme face à des alligators affamés, Pendergast s’illustre avec brio. Ce qui constitue une autre qualité de ce roman, c’est ce casting qui permet de découvrir deux nouveaux personnages : la rusée et tenace médecin légiste Charlotte Fauchet, et Coldmoon, Amérindien d’origine lakota, amateur de café bouilli, et que l’on aura plaisir à retrouver dans Crooked River (le prochain opus de la saga).

    Si l’on ajoute à cela une conclusion pleine de tact qui permet de livrer les ultimes révélations quant aux mobiles du tueur et les origines de sa fracture psychique, voilà un nouveau succès pour Douglas Preston et Lincoln Child ainsi que pour leur personnage emblématique.

    02/08/2019 à 08:57 5

  • Retour à Whitechapel

    Michel Moatti

    8/10 En pleine Seconde Guerre mondiale, Amelia Pritlowe est infirmière dans une capitale britannique matraquée par les bombes. Une lettre posthume de son père lui apprend sa terrible filiation : elle est la fille de Mary Jane Kelly, l’une des victimes de Jack l’Eventreur. Amelia se fixe alors un objectif : découvrir l’identité du célèbre tueur en série.

    Les ouvrages policiers ayant trait à ce sinistre monstre sont nombreux. Aussi, quand un nouveau livre paraît à ce sujet, il est compréhensible que l’on puisse être, de prime abord, dubitatif voire indifférent à cette nouvelle pierre portée sur un édifice déjà fort ample. Pourtant, ici, Michel Moatti parvient à tirer son épingle du jeu. On pouvait craindre une héroïne hollywoodienne, tombée du ciel, et résolvant une énigme vieille de plus d’un siècle. Il n’en est rien. Amelia est une femme, certes opiniâtre et intelligente, mais elle n’est en rien le prototype du personnage invincible et omniscient. Elle doute, a peur, tente de remonter la piste de Jack l’Eventreur. C’est surtout une véritable fureteuse, arpentant les archives de la police et de la société de ripperologues qu’elle fréquente. La structure du roman est également osée : il s’agit d’un enchevêtrement de textes issus du carnet tenu par Amelia, de reconstitutions de scènes de l’époque (frissons garantis) et de saynètes extraites du jury d’enquête de l’époque. Indéniablement, Michel Moatti a effectué un remarquable travail en amont, se documentant, et rendant ses recherches particulièrement passionnantes. Et la légitime question que l’on peut poser celles et ceux ayant fini cet opus est la suivante, comme le ferait benoitement un téléspectateur ayant manqué le final d’un feuilleton policier : « Alors, qui a fait le coup ? ». Quand certains œuvrent dans le strict domaine documentaire (cf. Sophie Herfort dans son Jack l’Eventreur démasqué), d’autres choisissent la pure voie de la fiction (comme Michael Dibdin et L’ultime défi de Sherlock Holmes ou Bob Garcia avec son Duel en enfer. Michel Moatti suit une troisième voie, empruntant aux deux précédentes : le réel côtoie l’imaginaire. Si certains lecteurs lui reprocheront ce choix – comme certains exècrent la cuisine sucrée-salée –, il faut reconnaître à l’écrivain une besogne colossale de recherches dans laquelle il a inséré, au fil du récit, des individus qu’il a inventés, notamment Amelia, prétendue fille de Mary Jane Kelly. Et l’explication qu’il offre, cet homme qu’il incrime – ou plus exactement ces hommes – figurent déjà dans la la longue liste des suspects déjà connus de tous les détectives amateurs. Les éléments d’accusation sont certes étayés et intéressants – d’autant que Michel Moatti reprend certaines imputations déjà employées par un autre écrivain que nous ne nommerons pas ici afin de préserver le suspense – et l’on sait déjà que quelques aficionados de ce cas criminel sauront lui opposer d’autres arguments.

    Au final, il s’agit d’un ouvrage riche et dense, où la réalité et la fiction valsent dans une même danse macabre. Un point de vue supplémentaire sur le sujet, à ranger à côté de tant d’autres, que ces derniers confirment ou infirment la thèse ici soutenue. Demeure un livre-procès très habilement mené, adroitement écrit, et atypique dans sa forme, sur un mystère qui ne sera peut-être jamais résolu et où tout un chacun a sa propre intime conviction, ignorant si celle-ci est la bonne ou non.

    01/04/2017 à 09:33 10

  • Schuss

    Pierre Boileau, Thomas Narcejac

    8/10 Georges mène une existence bien chaotique. Il est le compagnon de Berthe Combaz mais est amoureux de la fille de cette dernière, Évelyne. Pour surmonter ses difficultés existentielles, son ami Paul lui propose d’écrire son journal intime. Les événements tombent bien, car il va en avoir, des événements à y consigner. Médecin du sport, il aide aussi à la mise au point d’un ski révolutionnaire, surnommé le « Combaz Torpedo ». Mais le premier test est un échec : le sportif s’écrase sur un sapin. Est-ce à cause de ce ski remarquable ? D’autant qu’un corbeau commence à essaimer les lettres de menace…

    Pierre Boileau et Thomas Narcejac ont signé quelques-uns des plus célèbres romans de la littérature policière, parmi lesquels Celle qui n’était plus ou Sueurs froides. Ici, le livre part d’une idée assez originale : la mise au point d’un matériel de ski aux qualités démentielles. Sont-ce ses qualités qui ont engendré la mort du descendeur professionnel ? Qui est ce maître-chanteur qui multiplie les missives comminatoires ? On plonge alors dans un monde interlope, avec des personnages croustillants et qui constituent autant de suspects potentiels. D’Évelyne, la jeune belle-fille, à Berthe, en passant par un concepteur douteux, un ex-mari artiste, ou encore un détective privé qui ne cesse de livrer des informations intéressantes, les individus douteux ne manquent guère. Avec une plume habile et discrète, émaillant le récit de délicieuses touches d’humour, le lecteur va être confronté à de sombres histoires de famille, des machinations ayant trait à l’espionnage industriel, ou encore de douloureuses péripéties liées à des amours éconduites. Un exquis jeu de massacre, tout en simplicité et en crédibilité, qui s’achève sur un épilogue inattendu ainsi que sur des coups de feu semblables à des clous venant river les planches d’un cercueil.

    22/05/2018 à 20:08 5

  • Sin City

    Frank Miller

    9/10 Un homme, Marvin, se jure de venger Goldie, assassinée dans des conditions étranges. Ça commence d’entrée de jeu avec l’irruption d’une colonne de policiers à laquelle échappe le protagoniste en fuyant et en allant se réfugier chez sa contrôleuse judiciaire, Lucille. Une esthétique remarquable, unique, que j’ai retrouvée après vu (il y a fort longtemps) l’adaptation cinématographique. Un mélange d’érotisme, de suspense et de violence qui déstructure les codes traditionnels de la BD tout en rendant un hommage appuyé au roman noir d’antan. Beaucoup de bruit et de fureur dans ce premier tome que j’ai adoré et qui se conclut sur un élément inattendu, probablement faux et qui me donne d’autant plus envie d’attaquer le second opus.

    28/09/2023 à 18:47 5

  • Tempête blanche

    Lincoln Child, Douglas Preston

    8/10 Les fans de littérature policière connaissent certainement Aloysius Pendergast, le fameux limier créé par Lincoln Child et Douglas Preston. Il s’agit ici du treizième livre consacré à ses enquêtes. Comme d’habitude – preuve qu’il existe des routines dont on ne se lasse pas, le duo d’écrivains nous entraîne grâce à une très bonne dynamique. Les chapitres, très courts, s’enchaînent, faisant alterner les personnages et les points de vue. Pendergast, en enquêteur roué, maniéré et au sens de la déduction imparable, fait partie de ces personnages que l’on a plaisir à retrouver, même si c’est parfois Corrie qui apparaît le plus. Il n’empêche que ce choix scénaristique est intéressant : il permet de mieux mettre en valeur, s’il en était encore besoin, le détective si spécial du FBI dont l’aura ne s’en trouve que renforcée. Au crédit de Lincoln Child et Douglas Preston doit également être apportée cette volonté de renouveler certains aspects de la série sans pour autant la bouleverser – un peu à la manière des constructeurs allemands lorsqu’ils présent un nouveau modèle de berline. Cette fois-ci, c’est une nouvelle inédite de Arthur Conan Doyle, inédite mais dont l’existence est soupçonnée depuis fort longtemps par les holmésiens, qui apportera la clef de l’énigme. Le rythme de l’ouvrage est soutenu, et malgré son épaisseur relative, il se lit à grande vitesse. Les aficionados verront quelques similitudes, comme cette multiple traque souterraine qui n’est pas sans rappeler celle des Croassements de la nuit, ou ces évocations fréquentes des lions anthropophages du Tsavo, évoquant Fièvre mutante. Et si ces deux écrivains cèdent parfois à des raccourcis un peu simplistes ou font appel à des personnages dont les apparitions, surtout finales, sont téléphonées, on leur pardonne bien volontiers ces modiques écueils au vu de la qualité indéniable du roman.

    Sans pour autant constituer la clef de voûte de la saga Pendergast, cette Tempête blanche compose un thriller haletant, maillon presque secondaire d’une série policière qui est l’une des plus addictives qui soient. Et le fait de convoquer avec autant d’intelligence et de déférence d’aussi brillants esprits qu’Oscar Wilde ou Arthur Conan Doyle pour offrir une brillante relecture du Chien des Baskerville ne peut qu’établir une circonstance méliorative.

    05/08/2015 à 08:31 5

  • Tombes Oubliées

    Lincoln Child, Douglas Preston

    7/10 L’Expédition Donner, qui a eu lieu durant l’hiver 1846 – 1847, a laissé des traces durables dans les esprits : au cours de ce périple, de nombreuses personnes moururent tandis que d’autres purent survivre en ayant recours au cannibalisme. L’archéologue Nora Kelly est approchée par Clive Benton afin de poursuivre les recherches tout en essayant de mettre la main sur un trésor estimé à une vingtaine de millions de dollars. Dans le même temps, la jeune agente du FBI Corrie Swanson commence à enquêter sur des meurtres qui semblent être en rapport avec cette tragique expédition.

    Lincoln Child et Douglas Preston nous régalent chaque année avec un nouvel opus de la série consacrée à Pendergast, et l’on a ici grand plaisir à les retrouver pour cet ouvrage écrit à quatre mains. Le pitch est alléchant : un fait divers véridique particulièrement dramatique, un hypothétique trésor, des plaies mal cicatrisées et un secret que l’on cherche à tout prix à récupérer, sans compter l’intervention conjointe de deux personnages féminins que l’on a déjà vues aux côtés du célébrissime agent Pendergast, notamment dans La Chambre des curiosités, Les Croassements de la nuit ou Tempête blanche. Si les deux auteurs maîtrisent leur sujet et que les pages défilent indéniablement à toute allure, certains ingrédients paraissent manquer. Un bon nombre des protagonistes n’ont guère d’épaisseur psychologique, souvent ramenés à quelques poncifs agglomérés, et, de notre duo d’héroïnes, seule Corrie Swanson tire son épingle du jeu, avec son opiniâtreté et sa manière si directe de s’imposer, alors qu’elle n’est pourtant qu’une recrue du FBI, dans un univers essentiellement masculin. Le rythme ne faiblit cependant jamais, et la teneur de cet élément tant recherché par des protagonistes malveillants surprend autant qu’il séduit. On a même droit à un – bref – caméo de Pendergast himself à la fin de l’opus, ce qui ravira les aficionados de la série, d’autant qu’il sera d’une aide précieuse pour retrouver ce fameux trésor.

    Malgré quelques clichés presque inhérents au genre et un manque de profondeur chez certains personnages, Lincoln Child et Douglas Preston nous offrent un roman agréable et distrayant, un pur page-turner, qui nous fera patienter jusqu’à la prochaine apparition de notre cher Pendergast dans Bloodless, dont la date de parution chez nous est encore inconnue.

    02/03/2021 à 08:24 5

  • À mains nues

    Paola Barbato

    9/10 Je suis entré un peu à reculons dans ce livre, parce que les ouvrages « à la mode » ou dont on parle beaucoup m’intéressent moins que les perles délaissées. A la fermeture du roman, je garde en tête quelques bémols : une violence singulière et qui aurait pu n’être traitée que de manière allusive, des combats pas toujours crédibles, et une écriture qui n’a rien de recherché ni de soigné. Mais au final, alors que je viens de refermer la dernière page, quelle claque globale. Une histoire qui ne ressemble à aucune autre, avec des gladiateurs modernes, dressés comme des molosses, perdant tout repère moral, et s’adonnant à des barbaries incroyables. Une étonnante galerie de personnages retors et sombres, emportés et sanguinaires jusqu’à l’ivresse de l’hémoglobine qu’ils font couler. C’est aussi une histoire solide et travaillée, parcourue d’idées remarquables (les affrontements dans le noir, les règles de la tuerie finale, les numéros attribués aux coups en fonction de la douleur provoquée, etc.). Et il y a ces images qui me resteront longtemps en mémoire. Il m’arrive fréquemment de (très) bien noter un livre et, quand je revois passer bien longtemps plus tard, ma note et mon commentaire ou avis, d’avoir un doute, un flou, une hésitation quant au contenu du roman. Ici, pas de risque : il me sera assurément inoubliable. Avec son cortège d’images démentes, comme les snuffmovies, les carnages, la séquence de danse entre Minuto et Batiza. Avec ses moments de bonheur captieux, de joie éphémère, d’espoir mensonger, qui surnagent fugacement au beau milieu de cette sauvagerie et de cette anomie. Et puis, il y a cette fin, inattendue et vicieuse qui rebat les cartes et oblige une relecture mentale de la totalité de l’ouvrage. Un mémorable festin de mâles et de maux.

    15/01/2017 à 19:57 9

  • Blade Runner 2019 tome 1

    Michael Green, Andres Guinaldo, Mike Johnson

    8/10 Début du 21ème siècle. La Tyrell Corporation a créé des humanoïdes afin de suppléer les êtres humains en tant qu’esclaves et soldats de substitution. Ces êtres – les Réplicants – ont été interdits sur Terre et pourchassés par des agents spéciaux, les Blade Runners, parmi lesquels l’inspectrice Aahna Asina – dite « Ash » – de l’équipe de Los Angeles. On lui demande d’enquêter sur la disparition de la femme et de la fille de quatre ans d’Alexander Selwyn, Isobel et Cleo. Quand le chauffeur est découvert mort, le doute n’est plus permis : il se trame quelque chose de lourd et de poisseux. Une BD qui commence avec une scène d’auto-énucléation et qui se poursuit dans le sillage futuriste et – peut-être – visionnaire de l’œuvre de Philip K. Dick et de son adaptation cinématographique. Une intrigue très intéressante et menée tambour battant qui s’achève sur la perspective d’un voyage dans l’espace.

    01/02/2022 à 20:32 3

  • Blade Runner 2019 tome 2

    Michael Green, Andres Guinaldo, Mike Johnson

    8/10 Après le tome 1, nous voici dans les colonies spatiales en 2026. Cleo a bien grandi, se fait surnommer « Lapin » et propose des trocs aux mineurs tandis qu’Ash fait semblant d’être clouée sur un fauteuil roulant. Une mutinerie de réplicants éclate, détruisant le réacteur, faisant sombrer le vaisseau et libérant nombre de ces humanoïdes. Ash croyait être passée définitivement sous les radars mais le passé vient de la rattraper et l’oblige à revenir sur Terre aux côtés d’une Blade Runner bien nerveuse et violente : Hythe. Un opus dans la droite ligne du précédent : de l’action, certes, mais un scénario ingénieux autour de ces êtres humains et de ces réplicants, séparés par une ligne de démarcation parfois étroite voire subjective. Une belle réussite avant le troisième et dernier tome.

    08/06/2022 à 18:00 3

  • Bloc 11

    Pierro Degli Antoni

    8/10 Au milieu des années 1990, par un étrange hasard, Moshe entend sur un bateau une formule, Mützen ab, à savoir Enlève ton chapeau en allemand. Une phrase qui le renvoie une cinquantaine d’années plus tôt, au camp d’Auschwitz. Alors emprisonné dans ce camp de concentration et d’extermination, trois prisonniers avaient trouvé le moyen de s’échapper. Le commandant du camp, Karl Breitner, ordonna alors que dix détenus seraient placés dans une sorte de buanderie, le bloc 11, afin qu’ils décident qui d’entre eux serait fusillé au petit matin. Dans la même nuit, Breitner va jouer une étrange partie d’échecs avec son jeune fils Felix.

    Très difficile, voire impossible de ne pas frémir en lisant ce roman de Piero Deglia Antoni. Un livre sombre et glacial, plongeant le lecteur dans l’enfer concentrationnaire d’Auschwitz. Des mots secs et acérés, rendant palpable les horreurs du génocide des Juifs. Des conditions de vie atroces, décuplées par la cruauté des geôliers et autres kapos responsables de l’encadrement. Dans ce huis clos terrifiant, les individus, relégués au rang de bétail à qui l’on prête un minimum de libre arbitre devront donc décider qui des leurs sera sacrifié afin de sauver la vie des neuf autres codétenus. Des pourparlers, des atermoiements, de saines réflexions, et de très pertinentes pensées quant à la rédemption et la culpabilité. Dix êtres vivants très différents, depuis l’homosexuel à la brute criminelle en passant par le rabbin, le fils de SS ou un riche homme d’affaires. Piero Deglia Antoni a su apposer sur ces âmes et ces situations des termes humains, crédibles, avec une réelle légitimité morale et historique, remerciant à la fin de son ouvrage Nedo Fiano, écrivain ayant survécu à Auschwitz. La partie d’échecs entre le Sturmbannführer et son fils unique est aussi très intelligente, puisque, dans un souci pédagogique, il va tenter d’inculquer à son enfant des principes et des conseils quant à la manière de mener une guerre psychologique, briser un moral, jouer sur les altérités d’un groupe hétérogène, etc.

    Un ouvrage dense et poignant, tenant à la fois de la littérature noire et blanche, qui grise le lecteur de bout en bout.

    09/01/2018 à 20:30 9

  • City of Windows

    Robert Pobi

    9/10 Un tir de sniper, absolument prodigieux, envoie ad patres un conducteur de voiture dans New York, emportant littéralement sa tête. La victime appartient au FBI, et ce dernier décide de faire appel à Lucas Page, astrophysicien de génie, professeur à l’université, mais également expert en balistique. D’autres personnes se font alors abattre, sans lien apparent, à chaque fois d’un tir absolument inouï, et le canardeur ne semble pas décidé à s’arrêter en si bon chemin. Le début d’une traque ponctuée de cadavres, qui fera remonter les enquêteurs jusqu’à une tragédie – volontairement – oubliée, celle de Bible Hill.
    Je ne découvre qu’assez tard ce roman, et je dois dire que je me suis ré-ga-lé. Un thriller parfaitement calibré, taillé comme une balle, et atteignant mon cœur d’amateur de romans hollywoodiens, quand ceux-ci revêtent l’âme de ce qui se fait de mieux en la matière. Des chapitres particulièrement courts (parfois une ou deux pages), une écriture remarquable, des dialogues qui font mouche et où transparaissent un humour à froid de haute volée. J’ai adoré ce personnage de Lucas Page, et le fait que Robert Pobi, par touches intéressantes, nous fasse découvrir son passé pour le moins cabossé (notamment son adoption par cette Madame Page, sa marraine de cœur), est bien vu. Voilà un personnage pour le moins original : le résumé le dit « atteint du syndrome d’Asperger », mais ça n’apparaît jamais (ou alors ai-je zappé cet élément) dans le texte. Une jambe, un bras et un œil prosthétiques, une intelligence remarquable de sagacité, une famille composée d’enfants adoptés, en couple avec sa chère Erin, pédopsychiatre, et avec un caractère où l’agacement, l’emportement et l’irritabilité le disputent à l’humour, de (rares) sourires à la clef. Son acolyte, Whitaker, dont on ne connaît le prénom qu’à la dernière page, est également juste : une Noire solide, qui équilibre à sa façon le caractère génial de Page, capable de donner la réponse à la question que son interlocuteur n’a pas encore prononcée mais juste pensée. L’intrigue est aussi très solide, sans un mot de trop ni le moindre temps mort, nous permettant de côtoyer les milieux atterrants et opaques des milices, survivalistes, adeptes de l’autodéfense, complotistes de tout poil, racistes invétérés et autres défenseurs jusqu’au-boutistes des armes à feu (les passages où l’on découvre des Américains au milieu de dizaines d’armes et de milliers de cartouches sont à la fois vertigineuses, consternantes et malheureusement crédibles). L’histoire tient également la route, avec la lente mise à nu de ce qui s’est passé à Bible Hill, probablement inspiré de faits divers, et offrant un socle de plausibilité hautement efficace). C’est bien simple, c’est typiquement le genre de thrillers que j’adore : de l’action, de l’humour, des personnages consistants, mais également une âme, un esprit, de la profondeur. Deux – minuscules – regrets : on n’apprend pas dans cet opus ce qui a massacré le corps de Page, mais peut-être le saura-t-on dans un autre volume (un autre déjà paru, également traduit en France, « Serial Bomber », et un autre à paraître aux Etats-Unis, « Do No Harm »). L’autre, c’est le côté presque « magique » grâce auquel Page arrive si facilement à deviner les endroits d’où sont partis les tirs : qu’il soit brillant, ait ses propres méthodes de décryptage toponymique, ses ressorts intimes, oui, c’est bien expliqué, mais que ça nous tombe, à nous lecteurs, tout cuit dans le bec sans une amorce d’explication vulgarisée ni même de renseignements balistiques, c’est un peu gros, et ça m’a privé d’une partie du plaisir, comme une déduction trop aérienne, éthérée, inaccessible, bref, insaisissable. Mais ça n’a en rien gâché le plaisir que j’ai eu à lire ce livre, vraiment brillant.

    23/05/2022 à 18:35 9

  • Cuba libre

    Nick Stone

    9/10 Eldon Burns se fait assassiner dans une salle de boxe, une balle dans chaque œil. L’arme du crime est le Colt d’Abe Watson, un policier décédé qui avait été enterré avec cette arme dans son cercueil. Joe Liston demande de l’aide à son ancien collègue Max Mingus, mais il est aussitôt tué d’une balle en pleine tête. Mingus se décide alors à mener l’enquête, une investigation qui le mènera jusque sur une mystérieuse île cubaine.

    Troisième et dernier ouvrage consacré à Max Mingus après Tonton Clarinette et Voodoo Land, Nick Stone signe ici les adieux du personnage qu’il a créé. Le style est toujours aussi remarquable, avec une plume efficace et puissante. Au gré des nombreuses pages du livre, le lecteur sera baladé avec régal, depuis une sordide histoire d’infidélité jusqu’à la piste d’une ancienne militante des droits civiques en passant par l’ombre angoissante d’un jeune tueur au bec-de-lièvre appelé Osso. Et comme on pouvait s’y attendre, le roman sera également l’occasion de retrouver Salomon Boukman, génie du crime, pratiquant du vaudou et ayant noué une relation très étrange avec Mingus. Nick Stone excelle dans la description de ses personnages, leur conférant une densité humaine incroyable ; au gré de cette histoire dédaléenne, il va les pousser dans leurs ultimes retranchements psychologiques, jusqu’à la rupture, jusqu’à l’aliénation.

    Ce triptyque qui se clôt avec cet ouvrage est assurément l’un des meilleurs qui soit. Nick Stone a amplement démontré l’étendue de son talent, et ce final de Max Mingus ne fait que confirmer cette affirmation. Une lecture impérative, envoûtante et hautement addictive, pour quiconque prétend aimer la littérature policière.

    27/05/2016 à 17:33 9

  • Dernière saison dans les Rocheuses

    Shannon Burke

    8/10 Au cours des années 1820, le jeune William Wyeth s’est mis en tête de vivre une vie enfin trépidante, aventureuse. Pour cela, il décide de devenir trappeur et de partir, comme tant d’autres, à la conquête de l’Ouest sauvage. Ce qu’il vivra au cours de ce périple le changera à jamais.

    Shannon Burke, à qui l’on doit Manhattan Grand-Angle et 911, nous revient dans un registre très différent, quelque part entre le roman d’aventures et le western. L’Ouest des Etats-Unis, cette immense contrée hostile, offre le cadre idéal pour un voyage somptueux, et l’auteur nous rend avec maestria le caractère indompté de ces lieux. Sans pour autant devenir trop bavard dans ses descriptions, Shannon Burke dépeint avec talent les panoramas sublimes, les montagnes farouches, les forêts inhospitalières. Au-delà de ces tableaux idylliques, il rend également hommage à la faune, entre bisons, chevaux, ours et autres animaux auxquels Bill et les siens vont être confrontés. Lutter pour sa survie, donc, face aux éléments et les bêtes, mais également contre les êtres humains, depuis de cruels Indiens aux Britanniques en passant par certains trappeurs dont la cruauté s’est aiguisée au cours de cette vie primitive. William rencontrera des personnages croustillants : Alene, la si jeune et jolie veuve ; Henry Layton, le magnat de prime abord infatué et querelleur mais qui saura se montrer brave et héroïque ; Max Grignon, le sanguinaire homme de main dont William se fera un ennemi mortel. Même si quelques protagonistes véhiculent quelques clichés, et si certaines scènes sentent le déjà-vu ou le déjà lu, des passages resteront longtemps à l’esprit, comme cette confrontation incroyable avec un ours, ou le « jeu » de Layton pris entre un taureau et un plantigrade féroce. Shannon Burke a imprimé à son récit un véritable souffle épique, avec son lot de sentiments chevaleresques et vertueux, où la candeur originelle de William (qui disait de lui, au tout début, que « Ma famille pense que je suis un froussard incapable de prendre une décision. Je veux leur prouver ce que je vaux et revenir la tête haute ») va se télescoper à l’existence dure et intransigeante d’espaces inhospitaliers. Paradoxalement, le lecteur éprouvera d’autant plus d’empathie pour ces trésors naturels, qu’ils soient végétaux, minéraux ou animaux, que ces derniers démontrent leur beauté et leur rudesse. Et, au-delà de cette ode aux éléments, il y a un puissant élan humain, mettant en valeur des sentiments nobles alors que vont se multiplier les traîtrises, les luttes de pouvoir, la course à l’argent, et les instincts de mort.

    Malgré quelques moments un peu attendus, voilà un très bel hommage à la Nature et à l’âme humaine.

    04/04/2019 à 14:29 9

  • L'Île des âmes

    Piergiorgio Pulixi

    8/10 Deux inspectrices italiennes vont devoir travailler ensemble à Cagliari, en Sardaigne : Mara Rais, une autochtone, et Eva Croce, débarquée de la péninsule italienne. Leur enquête s’apparente à une placardisation : on leur confie des crimes non élucidés, aidées en cela par Moreno Barrali, un policier qu’un cancer va emporter à court terme. Une série de meurtres rituels avait ensanglanté l’île quelques décennies plus tôt, et voilà qu’une jeune femme, Dolores Murgia, pourrait être la future victime.

    Avec ce premier roman traduit en France, Piergiorgio Pulixi fait fort, voire très fort. Un style haletant, des chapitres courts et parfaitement imbriqués, une intrigue fluide et prenante, voilà les principaux ingrédients de ce premier opus de la série consacrée à Mara Rais et Eva Croce. La première est une pure beauté au look incendiaire tandis que la seconde a quitté le continent suite à une bavure ainsi qu’à un drame familial, mais l’alchimie entre ces deux protagonistes va vite opérer, notamment au gré d’une fraternité solide et de réparties particulièrement décontractées. L’auteur nous gratifie de magnifiques passages quant à la Sardaigne, son histoire et sa géographie, mais surtout à propos de ses us et coutumes, notamment à travers le point de vue offert sur la famille Ladu, une famille de Sardes très soudée et vivant selon la culture nuragique et autres croyances solidement ancrées dans l’esprit insulaire. Le suspense est très habilement entretenu et mené, et les pages des quelque cent-trente chapitres défilent à vive allure. Pas le moindre temps mort pour cette investigation immédiatement addictive qui se conclut en outre d’une très belle manière, avec intelligence et crédibilité, avec d’adroits rebondissements venant parachever ce récit tendu et très efficace.

    Piergiorgio Pulixi signe un roman de toute beauté, singulier et réussi, qui a obtenu le Prix Découverte Polars Pourpres 2021. On ne pourra donc que se ruer sur la suite des enquêtes de Mara Rais et d’Eva Croce, à savoir L’Illusion du mal.

    27/07/2023 à 08:12 9

  • Le Chien jaune

    Georges Simenon

    8/10 A mes yeux comme à ceux des autres lecteurs de Polars Pourpres, un très bon roman de Georges Simenon, comme tant d’autres. D’entrée de jeu, j’ai été happé par le style si sec et, en même temps, si raffiné. Quelques mots habilement choisis, emboîtés dans une syntaxe simple mais prenante. Aucune emphase pathétique, aucune recherche du bon mot juste pour le mérite d’exister : une véritable poésie en prose. A cet égard, le premier chapitre décrivant Concarneau esseulée, est presque un modèle du genre, au même titre que la manière dont l’auteur décrit la manière, insidieuse, dont la peur gagne peu à peu la ville. Une intrigue très intéressante, riche, avec ce petit jeu de massacres, avec armes à feu et empoisonnement, parmi les figures locales, la présence angoissante de ce chien jaune, toujours là quand se produit un drame, et où l’on remonte, lentement mais sûrement, vers l’hypocentre d’une vengeance fort crédible. Toute la personnalité de Maigret transparait ici, à la fois intuitif, parfois bougon lorsque cela ne va comme il le souhaite, patient et, finalement, d’une immense humanité – avec une double preuve de cette philanthropie dans les ultimes pages. Un petit bijou d’intelligence et de justesse, avec une retenue qui ne bâillonne absolument pas une indéniable maestria des mots.

    15/10/2017 à 18:35 9