El Marco Modérateur

3219 votes

  • Vienne la nuit, sonne l'heure

    Jean-Luc Bizien

    8/10 L’aliéniste Simon Bloomberg se retrouve dans les souterrains de Paris, avec un compagnon d’infortune. Persuadé qu’il va y mourir, il se souvient. Récemment, la violence l’a enveloppé. Un couple qui se déchire. Ulysse prêt à en découdre avec des importuns. Sarah horrifiée quand un de ses courtisans use de brutalité pour affronter des crapules. Les exemples se multiplient. Chaque individu semble sauvagement envahi par sa part d’ombre. Et pendant ce temps, un traquenard se refermait lentement sur Bloomberg…

    Après La Chambre mortuaire et La Main de gloire, ce troisième ouvrage poursuit sur la brillante lancée de la série consacrée à la Cour des Miracles. En quelques traits, on retrouve avec délectation le style de Jean-Luc Bizien. Les lieux et l’époque du Paris de la fin du dix-neuvième siècle sont brillamment reconstitués, avec une belle économie de moyens, et sans jamais pour autant apparaître fade ou terne. Les personnages conservent tout leur allant, et ce roman se distingue d’ailleurs des précédents par cette focalisation sur les rapports qu’ils entretiennent entre eux : Sarah Englewood, la belle et jeune employée de maison, Simon Bloomberg, cet aliéniste brillant toujours poursuivi par le doute et rongé par la mort de sa femme, Ulysse, ce si doux et innocent colosse… Dans sa postface, l’auteur explique d’ailleurs que ce livre se voulait singulier dans la série, un moment que l’on interprète volontiers comme une parenthèse, un moment privilégié pour interroger les protagonistes ainsi que le lecteur quant au problème suivant : d’où provient la violence ? L’intrigue imaginée par Jean-Luc Bizien permet en partie d’y répondre, grâce à une histoire concise, sombre, et tragiquement crédible, un guet-apens tout en subtilité.

    Vienne la nuit, sonne l’heure offre donc au lecteur la possibilité de voir les créatures littéraires de Jean-Luc Bizien s’émouvoir, se questionner et douter, encore plus que par le passé. Ouvrage charnière, il fournit cette respiration nécessaire à la saga de la Cour des Miracles, pour engager un approfondissement des natures et devenirs des personnages, sans pour autant délaisser une enquête criminelle, solide et plausible.

    26/08/2012 à 10:39 1

  • Infiltrés

    Laurent Queyssi

    7/10 Adam Verne est un adolescent de quinze ans, vivant dans un fauteuil roulant. Hacker de génie, il passe les brèches informatiques de la CIA par bravade, et devient alors la proie des services secrets. Ces derniers l’assurent de leur indulgence s’il opère pour eux. La mission : participer à une course en Europe et récupérer un virus biologique hyper dangereux.

    Roman de Laurent Queyssi paru dans la collection Thrillers de Rageot, cet opus marque rapidement par l’énergie qui l’anime. Le lecteur bascule presque instantanément dans l’aventure, d’une partie de jeu vidéo à un double enlèvement, que suivent les tractations avec les services d’espionnage. Le style est direct, clairement tourné vers l’action et le visuel, et l’on suit les péripéties d’Adam avec entrain. Plusieurs histoires s’entremêlent, du hacking à la course en passant par la recherche des criminels. Assurément, Laurent Queyssi connait le public auquel il s’adresse, et l’auteur offre à cet égard tout ce qu’il faut pour satisfaire son lectorat.
    Certes, quelques passages sont on ne peut plus invraisemblables, mais ce n’est clairement pas ce qui est recherché par l’écrivain. Les rebondissements sont multiples, les scènes basculent de l’une à l’autre sans temps mort, et l’on achève vite ce livre de deux-cent-trente pages.

    Voilà encore un roman qui répondra pleinement aux attentes des jeunes lecteurs, essentiellement les collégiens. C’est vif et malin à défaut d’être plausible, et l’on en prend vraiment plein les yeux. De nombreux passages sur les méthodes employées par les hackers sont sidérants, et le final, très hollywoodien, à grand renfort d’improbables technologies, achève cet écrit avec un grand point d’exclamation.

    26/08/2012 à 10:34 1

  • Les Secrets d'une voleuse

    Eléonore Cannone

    8/10 Pas la moindre scène sanglante ni susceptible d’effrayer les plus jeunes lecteurs : tout se joue avec retenue et intelligence, s’adressant clairement à de jeunes collégiens. On se réjouit également de l’humour, omniprésent, dans les répliques comme dans les situations, et de l’entrain qu’Éléonore Cannone apporte au récit. Son style, direct et espiègle, offre de bien agréables moments de jubilation.

    26/08/2012 à 10:27 1

  • Boulogne stress

    Patrick S. Vast

    8/10 Bertrand Chaze est cadre dans une boîte qui se consacre à l’événementiel. Harcelé par son patron qui lui demande de l’aider à virer un collègue trop vieux à ses yeux, il finit par accepter. Rongé par les remords, ses angoisses ne vont pas s’arrêter là : un nouveau membre dynamique débarque, décidé à faire le ménage. Il y a aussi une épouse en proie aux doutes, une secrétaire qui aimerait bien mettre la main sur Bertrand, des policiers qui ne savent pas comment mener l’enquête sur le suicide de quatre employés de l’entreprise, etc. Inutile de se le cacher : il va y avoir des drames…

    Troisième ouvrage policier de Patrick S. Vast après les très bons Béthune, 2 minutes d'arrêt et La veuve de Béthune, on retrouve dès les premières pages le style si typique de l’écrivain. Des personnages dépeints avec une grande économie de mots. Des descriptions concises. Une plume si empressée – au sens positif du terme – de mettre en exergue la mécanique de l’écrivain plutôt que de se perdre dans les détails qu’il arrive fréquemment que de nombreuses péripéties surviennent en quelques paragraphes. L’intrigue est toujours aussi bien imaginée, avec des interactions abondantes entre les protagonistes, et débouchant sur des catastrophes. Patrick S. Vast ne déçoit pas le lecteur, avec ce nouvel opus rythmé, au scénario original, et mettant en scène des individus qui vont, pour la plupart, être broyés au gré de ce récit, psychologiquement, socialement, ou physiologiquement.

    Telle une machine infernale, l’écrivain met en place les rouages qui vont prendre les êtres entre leurs mâchoires. Même si certaines interférences entre ces personnages sont parfois peu crédibles, il faut reconnaître à Patrick S. Vast un talent rare : son style littéraire est inimitable et ses histoires rapidement reconnaissables. Peu d’écrivains peuvent se targuer d’une telle qualité, raison pour laquelle il est difficile de bouder son plaisir.

    10/08/2012 à 16:27

  • Retour à Baskerville Hall

    Philippe Chanoinat, Frédéric Marniquet

    2/10 Trois ans après les événements qui ont secoué Dartmoor, de vieux fantômes réapparaissent. La silhouette effrayante d’un chien monstrueux, un voleur qui file entre les doigts de la police après sa sortie de prison, un couple en proie à la panique… Seuls Sherlock Holmes et son fidèle ami le docteur Watson peuvent démêler cette énigme, aussi bourbeuse que les paysages de cette sinistre lande.

    Le scénariste Philippe Chanoinat et l’illustrateur Frédéric Marniquet ressuscitent l’un des plus grands limiers de l’histoire littéraire à l’occasion de cette bande dessinée. Reprenant l’intrigue du Chien des Baskerville écrite par Arthur Conan Doyle – un résumé est d’ailleurs proposé en début d’ouvrage afin de resituer l’histoire, cet opus rend hommage aux personnages créés environ cent-dix ans plus tôt. On retrouve les excentricités de Sherlock Holmes, son don pour les observations, les analyses et les déductions. Par ailleurs, les lieux sont bien rendus, et le scénario tient plutôt la route, jouant à la fois sur l’originalité et l’héritage dont il est issu.
    Cependant, des écueils subsistent. En « osant » reprendre l’œuvre d’Arthur Conan Doyle, il fallait réaliser une bande dessinée forte, puissante, marquante. C’est raté. Les dessins de Frédéric Marniquet manquent cruellement d’expressivité et l’esthétique paraît très datée, tant du point de vue des couleurs que du graphisme. Les scènes croquées sont trop souvent banales esthétiquement, et tous les décors finissent par se ressembler. Quant aux scènes de tension, d’action ou celles où surgit la bête, elles ne provoquent pas de frissons ni de fièvre. Les attaques du molosse sont aussi impressionnantes qu’un pet de hamster. En outre, l’intrigue aurait certainement mérité un meilleur dosage de la part de Philippe Chanoinat : elle semble de prime abord basique, au point de décevoir, reprenant des éléments éculés et rassemblés comme dans un puzzle maladroit. Et quand l’élucidation apparaît, c’est une véritable cascade qui noie le lecteur, au point de rendre ces éclaircissements trop brutaux. Le scénario aurait également pu être plus incisif, pour se mettre à la hauteur des écrits d’Arthur Conan Doyle. Tout paraît un peu trop plat, sage, voire quelconque.

    L’idée de renouer avec Le Chien des Baskerville était osée. Pour réussir cette gageure, il fallait à la fois de l’énergie et de l’inventivité, ce qui n’est pas le cas ici. L’hommage rendu et les allusions aux livres d’Arthur Conan Doyle prouvent que Philippe Chanoinat et Frédéric Marniquet maîtrisent leur sujet et l’univers de l’écrivain, mais ce Retour à Baskerville Hall demeure bancal et bien faible. La décence voudrait parfois que l’on n’exhume pas les morts, ou alors que les fossoyeurs aient la correction de ne pas dégrader le corps du défunt à cette occasion.

    02/08/2012 à 17:13

  • L'Aiglon ne manque pas d'aire

    Patrick Weber

    7/10 Valdémar Aigle, antiquaire dans le quartier du Marais, s’occupe de la liquidation de l’héritage de Lucien Michepape. Parmi ses effets, il découvre des documents signés de Napoléon II. Ce dernier, abandonné par sa mère et livré à l’oubli suite au décès de son père, s’était retrouvé dans l’ennui et la certitude de mourir dans l’anonymat des grandes cours européennes. Cependant, il semblait avoir lentement repris goût à la vie grâce à un stratagème qui lui aurait permis de revenir sur le devant de la scène diplomatique mondiale…

    Voilà un roman à suspense très original. Là où d’autres, avatars plus ou moins heureux de Dan Brown ou de Raymond Khoury, se seraient lancés dans un énième livre mettant en scène un complot lié à l’Histoire, Patrick Weber signe un ouvrage délicieux, à la langue colorée, empli d’humour et de second degré. La cabale existe, certes, mais elle est souvent reléguée au second plan d’un scénario qui met en lumière des personnages atypiques, résolument détonants. L’ironie et l’absurde se côtoient dans ce récit qui mêle descriptions du Marais et de sa faune, interventions de protagonistes presque théâtraux dans leurs actes et attitudes, et narration de la vie de Valdémar. À rythme cadencé, l’histoire s’entrecoupe de lettres laissées par Napoléon II, qui mettent lentement en lumière le plan du fils de Napoléon Ier pour échapper à l’amnésie des dirigeants de son époque.
    L’intrigue est bien imaginée, ménageant quelques rebondissements bienvenus et un final émaillé d’une symbolique pertinente. Le roman est assez court, se lit vite, et offre un contrepoint intéressant aux ouvrages du même genre, qui se montrent parfois trop ambitieux, au risque de perdre en crédibilité. Finalement, le seul reproche que pourront faire certains lecteurs à Patrick Weber tient justement à cette approche mineure de sa propre intrigue : à force de chercher l’humour et la distanciation avec ses condisciples, l’auteur risque de se priver d’un lectorat qui aurait peut-être désiré plus de nervosité ou de sérieux dans la résolution de l’histoire.

    Patrick Weber fait donc la part belle à la décontraction et l’amusement, et évite ainsi les poncifs d’un ixième thriller conjuguant quête historique et cabale ésotérique. Le ton est assumé, avec entrain et efficacité, et brille dans le paysage littéraire comme une bien agréable facétie.

    27/07/2012 à 19:04

  • Le Serpent de feu

    Fabrice Bourland

    9/10 Les deux détectives Trelawney et Singleton enquêtent sur une disparition bien étrange : le corps d’un homme momifié a quitté le lieu où il reposait, au grand dam des deux thanatopracteurs. Encore plus bizarre est le lien qui est rapidement fait entre ce cadavre et le meurtre d’un politicien engagé contre les ligues fascistes. Un mort peut-il être le criminel, comme l’atteste un témoin qui semble digne de foi ?

    Quatrième ouvrage de la série consacrée à ces détectives de l’étrange après Le Fantôme de Baker Street, Les portes du sommeil et Le Diable du Crystal Palace, cet ouvrage réunit tous les ingrédients qui ont fait le succès de cette saga. L’ambiance est rapidement plantée, les us et coutumes de cette période délicieusement reconstitués, et les deux protagonistes sont très attachants. Le lecteur plonge rapidement dans une intrigue de prime abord insoluble : comment un défunt pourrait-il se montrer si vivant ? Et c’est un des nombreux talents de Fabrice Bourland : l’auteur est capable, avec habileté et sans tomber dans les poncifs du genre, de rendre crédible une atmosphère fantastique, à tous les sens du terme d’ailleurs. Les rebondissements sont nombreux et ingénieux, avec une enquête qui mène vers les milieux du cinéma, du spiritisme et de la politique. Le scénario est adroit, et la résolution osée et efficace. Certains passages, notamment vers la fin, sont mémorables, et unissent avec un brio indéniable les genres fantastique et policier.

    Voilà encore un opus signé Fabrice Bourland qui mérite amplement le détour : histoire audacieuse, reconstitution historique érudite sans devenir bavarde ou ostentatoire, et dénouement remarquable. On en vient même à se demander s’il ne s’agit pas là de son meilleur ouvrage à ce jour.

    27/07/2012 à 19:00 1

  • La revanche des crapauds cracheurs

    Pascal Coatanlem

    1/10 Un opus très étrange, et qui me met, chose rarissime, dans un état de doute sans fin. De prime abord, on pourrait penser à un roman à suspense, où les crapauds remplacent les requins ou les araignées, bref, une sorte de « Dents de la terre » pour enfants. Néanmoins, au moins en ce qui me concerne, la sauce n’a pas pris, et ce que j’ai ingéré m’est resté sur l’estomac. Les scènes de frisson m’ont laissé de marbre. Complètement. Presque sur toute la ligne, ça ressemblait à un nanar, avec des clichés par brouettes : le méchant scientifique au rabais avec ses expériences génétiques (dont personne ne sait ni n’explique pourquoi elles ont été réalisées, parce que, tout de même, il faut avoir envie de faire des manipulations aussi saugrenues !), engendrant des crapauds croisés avec des lézards ou des serpents, et prompts à cracher de la bave corrosive (sic !), la gentille rencontre du gentil garçon avec la gentille fille qui, ô surprise pas du tout téléphonée, se trouve être la propre enfant du chercheur, un happy end assez tarte et mal amené... L’auteur aurait pu jouer sur cet ixième degré : que nenni. Il joue sur le premier degré, et l’aspect irréaliste de la situation, voire des situations (le gamin qui va prendre une douche et dormir quand la maison est assaillie par les crapauds, par exemple), rend l’ensemble complètement bancal, voire grotesque.
    Là-dessus, l’écrivain ajoute une couche moralisatrice, qui aurait pu être intéressante mais vire au grand n’importe quoi, par manque d’inspiration ou par pure convention, avec un antidote concocté au pied levé par un enseignant de SVT à partir de pseudos écrits du Frankenstein de service, et qui permet aux cruels crapauds de devenir gentils pour contrer la révolte des méchants, voire rendre amicaux tous ces batraciens. Là, on verse littéralement dans le « oh, et si on pouvait faire de même pour les hommes, il y aurait moins de guerres ». Et paf ! Argument massue ! Démonstration irréfutable ! Il n’y a plus qu’à se taire et hocher la tête comme à la fin d’une messe. Sauf que le prêtre semble ivre comme ça n’est pas permis, et péremptoire en plus. Je me suis dit que cela était sans doute dû au fait que j’étais un adulte, que les enfants auxquels est destiné ce roman réagiraient différemment de moi. Mais ça ne tient pas, du moins pas pour moi : je n’imagine pas mes élèves prenant du plaisir à lire cet ouvrage, quel que soit leur profil scolaire ou cognitif.
    Moralité, pour moi : un nanar insondable, qui hésite sans cesse entre plusieurs genres, au point de tomber dans un burlesque pathétique. Manque d’efficacité narratif et scénaristique, histoire abracadabrante que ne rattrape aucune dérision, postulat de départ atypique qui sombre immédiatement dans un rocambolesque navrant… J’en suis presque désolé, j’ai rarement eu ce ressenti et des propos de ce genre, mais là, je me confesse, cet opus m’est passé bien loin au-dessus de ma petite tête. J’ai dû rater un angle d’approche et n’ai entraperçu qu’une vaste fumisterie. À force de ménager la chèvre et le chou, l’auteur de ce roman n’a généré que du lait caillé et du scorbut.

    23/07/2012 à 18:12

  • Le piège de Dante

    Arnaud Delalande

    8/10 Cet opus conjugue avec ingéniosité plusieurs genres : les mystères du roman d’espionnage, la nervosité du thriller, la fougue des ouvrages de cape et d’épée, auxquels s’additionnent le grand savoir historique d’Arnaud Delalande. Un très bon moment de lecture divertissante.

    18/07/2012 à 14:16

  • Sept ans plus tard

    Jean-Christophe Tixier

    8/10 Pierre-Adrien Nial accepte à contrecœur la proposition d’anciens élèves de sa classe de CM2 : se retrouver, sept ans plus tard, dans l’école qui les avait accueillis. L’occasion d’évoquer le bon vieux temps, celui de la camaraderie, de l’innocence, des blagues de potache. Mais aussi l’époque où tous vivaient sous la coupe d’Anthony, une vermine qui les rackettait et les humiliait. Anthony est également du rendez-vous, et il n’a guère changé : arrogant, mal élevé, et toujours prompt à créer des problèmes. Et si, avec ces retrouvailles, avait aussi sonné le temps de la vengeance ?

    Il est des romans destinés à la jeunesse qui marquent rapidement les esprits par la justesse du ton employé, leur maturité : indéniablement, celui-ci en fait partie. Dès les premières pages, Jean-Christophe Tixier sait happer l’attention du lecteur, par la tonalité des mots employés, l’authenticité des sentiments évoqués, la profondeur des émotions suscitées. Tout sonne vrai, notamment lorsque les scènes sont décrites à travers les yeux de Pierre-Adrien, lycéen blasé et grand amateur de caricatures, croquant chacun des personnages qu’il croise. Cet ouvrage décrit aussi de belle manière les mentalités de l’enfance, entre candeur et découverte des épreuves infligées par les canailles.
    Le lecteur va vite se douter qu’un drame se noue, que les représailles sont proches, que les rancœurs vont ressusciter sous une forme violente lorsque seront invoqués les souvenirs dégradants de la jeunesse des protagonistes. Là où Jean-Christophe Tixier tire également son épingle du jeu, c’est dans la construction du drame à venir : le lecteur ne sait que bien plus tard qui mettra en branle le châtiment, et de quelle manière les rouages mis en place vont ériger Pierre-Adrien en un coupable idéal. Un agencement intelligent et efficace, très crédible, où la noirceur et la tension rendent l’ensemble encore plus oppressant et percutant qu’un inutile jaillissement de sang.

    Jean-Christophe Tixier sait s’adresser aux jeunes, grâce à un style nerveux, des personnages plausibles et un scénario habile. Le roman, dans sa totalité, renverra certainement le lecteur à des réminiscences de ce que lui-même aura pu vivre lorsqu’il était enfant, tout en posant des questions pertinentes quant à l’amitié, la suspicion et la notion de culpabilité.

    18/07/2012 à 14:14 1

  • Hacker à bord

    Christian Grenier

    7/10 Voilà un bon roman policier, à la fois efficace et entraînant. Les rares reproches qu’on peut lui attribuer doivent être replacés dans le contexte de l’œuvre : cette dernière s’adresse aux collégiens, sciemment, et il est fort à parier qu’ils pardonneront d’autant plus facilement ces défauts que le livre remplit haut la main son contrat.

    04/07/2012 à 18:55

  • Frères de chair

    Michael Marshall Smith

    9/10 Dans un futur assez éloigné, Jack Randall, ancien policier dont la famille a été massacrée par le criminel Vinaldi, s’est recyclé dans la protection d’une ferme d’alters. On appelle ainsi des clones qui vivent isolés, parqués comme du bétail, en attendant que leur double, celui disposant d’une réelle existence, ait besoin de tout ou partie de leur corps de dépannage. Mais après s’être occupé de ces alters, Randall ne supporte plus que l’on se serve d’eux, et s’enfuit avec eux. C’est pour l’ex-flic le début d’une descente aux enfers, ponctuée notamment par un retour dans La Brèche, cet univers parallèle que gouverne la peur.

    Ce thriller fantastique de Michael Marshall Smith date de 1996, et pourtant, à sa (re)lecture, le temps passé depuis sa création n’a pas amoindri ses qualités ou son impact. Le genre de l’anticipation est parfois rendu impénétrable par un langage, une vision du monde ou des codes littéraires qui le rendent inintelligible pour nombre de lecteurs ; ici, indéniablement, ce n’est pas le cas. La plume de l’auteur est particulièrement alerte, conjuguant des moments très sombres à des répliques humoristiques particulièrement savoureuses et que l’on imaginerait sans peine dites par des acteurs de blockbusters hollywoodiens. Les scènes d’action sont également nombreuses, très bien écrites, et c’est avec un plaisir soutenu que l’on suit le périple de Jack Randall dans cet avenir empreint de nouvelles technologies.
    D’ailleurs, au-delà du décor et de l’ambiance futuristes, saisissants d’efficacité et, pourrait-on dire, de réalisme, c’est aussi la personnalité de cet ancien policier qui retient l’attention. Marqué à jamais par les combats dans La Brèche, drogué au point d’être devenu un véritable zombi, meurtri par le massacre des siens, c’est au contact des alters, ces petits êtres sans existence officielle et réduits au rang de pièces humaines de rechange qu’il va reconquérir sa part d’humanité. Michael Marshall Smith excelle dans l’art des portraits, par petites touches et flash-backs successifs, jusqu’à peindre des âmes denses et d’une rare profondeur. D’autres auteurs auraient pu se contenter d’esquisser des protagonistes effacés, édulcorés, insipides, au gré d’une intrigue qui n’aurait été que le prétexte à des scènes d’action échevelées. Michael Marshall Smith prend le contrepied de ces facilités, en imaginant un paysage futuriste détonnant, une histoire singulière, et des personnages complexes.

    Ce Frères de chair se situe à la confluence de l’univers inventif de Philip K. Dick, du cinéma spectaculaire couché sur papier et de l’intelligence quant à l’emploi des sciences. Pour se divertir, s’émouvoir ou réfléchir, il s’agit d’un opus de très grande qualité.

    04/07/2012 à 18:53

  • L'Homme à la bombe

    Christian Roux

    9/10 Larry est au chômage. Allant, sans résultat, d’entretiens d’embauche en désillusions, il n’en peut plus, et, presque PAR bravade, confectionne une fausse bombe. Sauf que tout le monde la croit vraie. Au point de prendre le dessus sur de véritables braqueurs et d’emporter, comme unique butin, Lu, une gamine au charisme insensé. C’est le début d’un long périple en France…

    L’auteur du remarquable Braquages revient chez Payot Rivages pour ce roman détonnant, au propre comme au figuré. La situation est rapidement posée, et l’on entre immédiatement dans le vif du sujet. Larry, ingénieur noir, brisé moralement par le chômage et la séparation avec sa famille, commet l’irréparable en créant cette bombe factice. Cela aurait pu être le début d’un énième thriller à l’américaine, pétaradant et invraisemblable : il n’en est rien. En adressant, en fin de livre, une pensée à Jim Thompson et David Goodis, Christian Roux s’inscrit de fait dans la tradition du roman noir. Les protagonistes sont heurtés, broyés par la situation économique et sociale, au point de les pousser aux dernières extrémités. L’engagement de l’écrivain est total, en mettant en exergue un individu lambda, dépassé par une situation dans laquelle il finit par s’enfermer comme une gangue mortifère.
    On se prend de compassion pour ce personnage, Larry, à la fois sympathique et pathétique, qui pourrait être n’importe lequel d’entre nous. Parallèlement, Lu est une scélérate atypique, prompte à aiguiser les appétits sexuels de ses contemporains, ce qui débouchera, comme on s’y attend, sur des embrouilles supplémentaires. Christian Roux n’oublie nullement l’humour, dans les situations comme les dialogues, compensant ainsi la noirceur du récit.

    Tout à la fois sombre et désopilant, cet Homme à la bombe ne peut laisser indifférent. Avec un final aussi inattendu que hautement symbolique, ce livre très court – environ cent-cinquante pages – marquera durablement les esprits par son ton, sa justesse, mais aussi par sa louable propension à éviter les clichés du genre. À cet égard, même si y sont abordés les thèmes du chômage et de la souffrance au travail, il se montre suffisamment éloigné par son intrigue de celles des Visages écrasés de Marin Ledun et du Couperet de Donald Westlake pour se montrer original et intéressant.

    25/06/2012 à 17:23 1

  • Le train des oubliés

    Didier Daeninckx, Mako

    6/10 Des adolescents partent dans une mine de charbon abandonnée, dans le Nord. On découvrira leurs corps. Asphyxie. Mais c'est un peu court comme épitaphe, notamment pour le père de l'un d'entre eux. Car derrière ces morts violentes, se cache un terrible secret.

    Une œuvre en clair-obscur. Les coups de crayon simples et efficaces de Mako, allant à l'essentiel. Le scénario est tout à fait représentatif de la bibliographie de Didier Daeninckx, avec un fort engagement politique et social. L'ensemble se lit rapidement et l'on passe un agréable moment avec le père de Martin, aux prises avec de sombres pans du passé français. À cet égard, même si le nœud de l'histoire peut se deviner avant sa révélation, dans l'ultime page de la bande dessinée, le lecteur restera probablement interdit face à cet aveu glauque.
    Néanmoins, au-delà de ces qualités indéniables, on regrette que les personnages ne soient pas plus fouillés, notamment le papa de Martin, que le choc du deuil ne semble qu'effleurer. Par ailleurs, certains protagonistes manquent de nuances, et la fin est bien trop abrupte.

    Si cette bande dessinée de Didier Daeninckx et Mako ne démérite pas, elle souffre néanmoins d'une concision qui ne lui sied pas. À l'instar du graphisme, épuré, le scénario aurait peut-être mérité un peu plus de profondeur.

    25/06/2012 à 17:18

  • Croisière en meurtre majeur

    Michel Honaker

    7/10 Un ouvrage très plaisant et court à lire, avec une intrigue simple mais efficace, et des personnages bien brossés. L'histoire prend un tour d'autant plus saisissant lorsque l'on apprend qu'une très large majorité des événements relatés est véridique.

    13/06/2012 à 13:21

  • Oscar Wilde et le nid de vipères

    Gyles Brandreth

    8/10 Lors d’une soirée mondaine à laquelle participent, entre autres, Oscar Wilde et Arthur Conan Doyle, la duchesse d’Albemarle est retrouvée morte. Même si bien des gens tentent de taire l’affaire, et surtout les circonstances de ce décès, le trouble demeure : la jeune femme était à moitié dévêtue, les seins zébrés de coups de couteau, et elle portait au cou deux profondes entailles. Oscar Wilde et Arthur Conan Doyle vont alors enquêter.

    Opus de la série écrite par Gyles Brandreth et consacrée à un Oscar Wilde devenu détective, ce Nid de vipères est une nouvelle réussite. Même si certains lecteurs pourront de nouveau trouver assez tiré par les cheveux – voire irrespectueux de l’Histoire – de mettre un personnage réel dans une situation totalement fictive, il faut reconnaître à l’auteur un talent rare, à la fois de conteur et de scénariste. Les divers protagonistes sont tous brillamment campés, depuis les membres de la cour jusqu’aux domestiques, en passant bien évidemment par l’inénarrable Oscar Wilde, dandy tourmenté, et Arthur Conan Doyle. L’ambiance, les lieux ainsi que les mœurs sont parfaitement retranscrits, rendant d’autant plus vivante la peinture de ce Londres victorien. Gyles Brandreth a imaginé et bâti une intrigue à la fois solide et efficace, avec de nombreux rebondissements, et qui ne s’achève que dans les ultimes pages.
    Par ailleurs, la structure du roman semble beaucoup plus concise que dans les précédents ouvrages. Il y a bien moins de digressions, et le récit nous est rendu à travers des correspondances et mémoires, tous émanant des divers personnages, offrant un rythme plus cadencé à l’histoire. C’est aussi pour le lecteur l’occasion de se familiariser avec les sphères royales, les traitements de l’hystérie, et de fréquenter des individus illustres comme Bram Stoker ou Anton Dvorak.

    Ce Nid de vipères – titre ô combien symbolique – est un polar historique de premier rang. En plus de divertir, il propose au lecteur de côtoyer un Oscar Wilde tonitruant : iconoclaste, empreint d’humour et de gravité, torturé par ses démons intérieurs, auteur d’aphorismes tantôt acides tantôt hilarants.

    11/06/2012 à 18:13

  • Coeur de pierre

    Philippe Dorin

    7/10 Un bien joli roman pour les plus jeunes – guère au-delà de la classe de cinquième selon moi – qui conjugue histoire policière et sentiments. A la manière d'États de lame, de Pascal Fonteneau, faire d'un objet le narrateur est judicieux. L'ensemble oscille entre polar et onirisme, et ça passe avec régal. Un quart d'heure de délectation.

    09/06/2012 à 10:00

  • L'Enigme des coeurs gelés

    Emma Kennedy

    9/10 La jeune Wilma vit sur l’île de Cooper. Orpheline, elle a un rêve tenace : devenir un détective privé aussi célèbre et rusé que Théodore P. Lebon, son idole. Devenue fille au pair auprès de l’acariâtre madame Ronchard, Wilma apprend deux grandes nouvelles, concomitantes, qui pourraient bien lui permettre de faire ses preuves : un diamant a disparu et ses deux découvreurs sont retrouvés morts, les cœurs gelés !

    Premier ouvrage de la série consacrée à Wilma Tenderfoot, cet opus est une indéniable réussite. D’entrée de jeu, le ton est donné par Emma Kennedy : ça sera drôle et prenant. L’auteur a su créer un univers bien singulier, mélange de candeur, d’absurde et de suspense, qui n’est pas sans rappeler les mondes de Lewis Carroll ou de Roald Dahl. L’île de Copper vaut à elle seule le déplacement : séparée en deux parties distinctes, une carte placée en début de roman aide le lecteur à situer les divers lieux sillonnés par l’héroïne. Tout y est caustique, extravagant, et les jeunes ne pourront que plonger avec plaisir dans cette communauté atypique. Wilma est également un personnage attachant et burlesque : gamine espiègle, portant en permanence sur elle son Porte-Indices – chapelet d’articles de presse narrant les exploits de son héros détective, elle est affublée d’un chien fidèle et pétillant, Pétrin, qui lui sera d’un grand secours dans cette enquête.
    L’intrigue est très agréable, ménageant un suspense de bon aloi pour les jeunes lecteurs – probablement des collégiens – avec des rebondissements ingénieux et des fausses pistes intéressantes. D’ailleurs, le prochain opus ainsi que les prémices de son intrigue, L'Énigme du poison putride, est annoncé en fin d’ouvrage et fait déjà envie. Mais ce que l’on retient encore plus de ce roman détonnant, c’est finalement sa liberté de ton. Emma Kennedy connaît le public auquel elle s’adresse, maîtrise parfaitement les codes du genre, en joue, mais sait aussi les dépasser pour offrir un livre audacieux, où le cocasse côtoie la tension.

    Rares sont les ouvrages de jeunesse à proposer une approche et un style aussi mordants. C’est vif, extravagant, et sans le moindre équivalent. Il est aussi à noter le remarquable travail d’illustration de Nancy Peña, dont les dessins s’adaptent et enrichissent chaque chapitre avec brio.

    08/06/2012 à 14:27

  • Blackzone

    Philip Le Roy

    8/10 On retrouve, à Cannes, deux cadavres dont les visages ont été arrachés. À côté de l’un d’entre eux, un adolescent trisomique, doté d’une force herculéenne. Il est vite intégré à une escouade de gamins présentant des capacités bien particulières, et ces six ados forment désormais la Brigade des Fous. Leur première mission : comprendre les raisons de l’assassinat de ces deux personnes. Quitte à devoir affronter la mafia taïwanaise et contrer un terrible complot écologique…

    Premier ouvrage de la série consacrée à la Brigade des Fous, ce Blackzone est typique de la bibliographie de Philip Le Roy : écriture nerveuse, très visuelle, combats percutants et action ininterrompue. Dès le début, le ton est donné : ça sera pétaradant, avec de nombreuses références musicales ou cinématographiques. Les personnages formant la troupe commando constituent déjà tout un programme : un génie de l’informatique, une séductrice bipolaire, une experte des sports extrêmes, une gothique qui a troqué l’automutilation contre le sadisme, un fan de jeux vidéo et un colosse à la puissance difficilement gérable. Autant dire que tous les éléments humains sont réunis pour créer un cocktail explosif.
    Et effectivement, le livre tient à ce niveau toutes ses promesses. Philip Le Roy n’a pas son pareil pour imaginer des situations déchaînées, rythmées par des combats d’arts martiaux ou aux armes à feu. Pas le moindre temps mort, une plume saturée d’effervescence, de la baston à tous les étages. Le fil directeur est d’ailleurs tout aussi tonitruant : le scénario est original, documenté, et les ultimes pages livrent l’intégralité d’une cabale audacieuse. S’adressant à un jeune public, il y a des passages qui ne tiennent pas la route, comme l’attaque de la villa du mafieux, ou le passage où Sem apprend à piloter un hélicoptère en se servant des consignes trouvées sur Internet. Mais ce manque de crédibilité est clairement assumé : l’auteur cherche la percussion et le délire narratifs. À cet égard, Philip Le Roy livre un roman pour adolescents tout aussi échevelé que ne l’étaient Pour adultes seulement ou La Dernière arme pour adultes.

    Faisant partie de la deuxième salve de romans de la collection Thriller de Rageot, cet opus est de la pure dynamite, un blockbuster littéraire qui ravira sans mal les amateurs de sensations fortes.

    06/06/2012 à 08:20

  • Les visiteurs d'outre-tombe

    Stéphane Daniel

    8/10 Carole, une jeune lycéenne dont l’appartement donne sur le Père-Lachaise, fréquente souvent le célèbre cimetière parisien. Madame Bouloche, nourrisseuse de chats errants, Flauberd, professeur de lettres passionné par les tombes, et Mathias, un nouvel élève qui change de tenue au gré des jours, voilà autant de personnages qui tournent dans son entourage et occupent son quotidien. Puis viennent des disparitions de chats, des agissements étranges près des caveaux, des profanations…

    Stéphane Daniel signe un nouveau roman très réussi pour la jeunesse. Carole devient immédiatement une protagoniste attachante, vivant seule avec son père, et hypnotisée par le charme poétique du Père-Lachaise. La langue de l’auteur est un pur régal, lyrique et mélancolique, avec une belle dose d’humour, et le suspense monte crescendo au gré des divers événements. Les jeunes lecteurs n’auront aucun mal à se laisser bercer par les mots de l’écrivain, avec un style efficace et des rebondissements réussis.
    Par ailleurs, l’intrigue ne se résout que dans les ultimes pages, mettant à jour un complot à la fois réaliste et surtout très singulier : on se souviendra longtemps des motivations du coupable une fois le livre achevé, d’autant que les fausses pistes auront été nombreuses et que les desseins du criminel sortent de l’ordinaire.

    Après le très bon Un tueur à la fenêtre, Stéphane Daniel montre une nouvelle fois l’étendue de son talent, grâce à la justesse du ton qu’il emploie et l’originalité de son histoire.

    27/05/2012 à 08:48